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Les Trous De Mémoire-Gadget Par Habib Demba Fall

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Il y a quelques semaines, sur un plateau de télé, des troubadours du micro ont peiné à reconnaître, sur des photos, Lamine Guèye, Mamadou Dia et Blaise Diagne. Senghor et Hugo étaient subite- ment devenus, pour ce temps d’antenne soi-disant bien suivi, des personnes antiques. Désopilante, cette méconnaissance de figures marquantes de notre histoire plus ou moins récente?

Oui, pour les gardiens d’une certaine tradition de culture générale. Non, pour les consommateurs de « fast-infos » engagés dans le tourbillon des innovations technologiques utilisées pour être snob.

Naguère, c’était un devoir de connaître ceux qui faisaient l’actualité ou ceux qui ont fait le monde ; c’était également un devoir d’être au diapason des innovations techniques, des grandes idées, les réussites politiques et les réformes économiques. L’encyclopédie avait une valeur dans un coin de nombre de demeures.

Les livres portant sur les résultats de la recherche en santé ou en économie de même que les théories des sciences sociales étaient des ouvrages de chevet afin que la mémoire fût toujours alerte au contact des innovateurs de l’Humanité.

Chaque mot et chaque accomplissement de ces grands hommes et grandes dames étaient une conquête de la lumière sur les ténèbres de l’ignorance. Lire était un réflexe conforme à la recette d’un enseignant que j’ai connu dans les années 90: « Le savoir se trouve dans les livres. On n’écrit pas une thèse debout.

Il faut s’asseoir, développer des aptitudes de chercheur et un esprit cri- tique ». Pour ce lecteur de Marx et Engels, comprendre le monde était également un défi des trajectoires académiques ou personnelles.

Aujourd’hui, la vitesse de la machine emporte l’intelligence humaine vers le champ d’une paresse fatale à l’exercice de réflexion. Tout est question d’objectif de recherche, de lecture et de formation. Les technologies de l’information et de la communication ont leurs petits génies : des jeunes et moins jeunes soucieux d’explorer les territoires de savoirs interdits à la paresse intellectuelle.

Pourtant, c’est une formidable opportunité à saisir en tant que récepteur et concepteur de contenus. Dans cette approche, l’auto- contrôle fonctionne à merveille, à la vitesse de l’envie d’excellence.

Le savoir déserte les amphis pour habiter les cagibis. Il est maintenant au cyber du coin, loin du contrôle parental ou, simplement, sur l’écran du téléphone bon marché. Socrate est battu à l’audience par n’importe quel batteur au phrasé salace. Le Mp3 voyage en bus avec un ramdam insolent pour la diversité des goûts acoustiques.

Ce format de son berce les nuits des mi- dinettes sous la couette. Il égaie le stress de l’écran blanc (la page blanche est passée de mode !). Même les boute-en-train anonymes deviennent des seigneurs du circuit de partage sans bout. La science coquine supplante la science humaine et la science exacte.

Au temps du clic et de la désinformation en temps réel, le monde appartient à ceux qui ont le pouce alerte plutôt que l’esprit fertile. Autant de claques à la culture générale pour des technologies qui regorgent d’opportunités extraordinaires. L’illusion d’être à jour ouvre les portes d’une nuit de légèretés sanctifiées.

Dans ce contexte, confesser son ignorance face à un portrait de Blaise Diagne n’est pas qu’une lubie de girl ou de garçon très branché. C’est plutôt l’aveu d’une génération dont de larges franges se fixent des centres d’intérêt à côté de la plaque de l’histoire. Peut-être que tout aurait été plus facile avec l’effigie de Me Abdoulaye Wade à la place de l’estampille Blaise Diagne. Cette « volonté » du président Sall n’a pas encore un cachet officiel.

Toutefois, abordée par des sources créditées d’un certain sérieux, « l’intention » est un sujet de débat dans les chaumières et dans la presse. Le trou de mémoire des cerveaux- gadgets est comblé par le recours à un parrain plus familier. Et plus à portée de clic !

Mais à qui la faute de la sélection des sujets à la télé ? Le jour où des documentaires seront régulièrement réalisés sur des tranches de notre cheminement collectif engageant des acteurs comme Blaise Diagne, Senghor, Lamine Guèye, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et Macky Sall, les jeunes les connaîtront mieux.

En attendant, ils doivent faire l’effort de boire à la bonne source et non dans l’eau douteuse des bords de lac. N’est-ce pas mieux que les données stockées dans la mémoire-gadget où tout est su et rien n’est acquis, où tout ce qui est enregistré aujourd’hui s’efface en un clic ?

Habib Demba Fall

lesoleil.sn

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