La pluie de milliards continue. Saint-Louis a ouvert le coffre, Kaolack a eu sa part, Ziguinchor salive à son tour. Au rythme des éditions, le Conseil des ministres décentralisé multiplie les promesses d’investissements à grande échelle. Assez pour faire réagir Mme Ndèye Fatou Touré. La députée Tekki a posé une question à laquelle réponse n’a pas encore été apportée. Les projets annoncés dans les régions déjà visitées relèvent-ils de l’initiative du gouvernement de Macky Sall ou plutôt déjà ficelés par le précédent régime ? Mme Touré envisage une réponse parmi les deux possibles, et exprime son étonnement.
Si tout ce qui est annoncé depuis quelques semaines est à attribuer à l’actuel pouvoir, la désormais candidate à un nouveau mandat législatif veut savoir comment expliquer une telle désinvolture, alors que le Premier ministre n’a pas encore soumis au parlement, l’examen de sa feuille de route. C’est une des incohérences du provisoire.
Le président de la République avait annoncé lui-même que c’est en intelligence avec la direction du parti de la majoritaire parlementaire – le Pds – qu’un accord avait été trouvé pour reporter de trois semaines, les législatives qui devaient avoir lieu en juin. En allant dans cette direction, Macky Sall s’est arrêté à mi-chemin de la tradition républicaine qui veut qu’un Chef du gouvernement fasse une déclaration de politique générale pour avoir l’onction de la représentation nationale.
D’avoir fait l’économie d’un passage à l’Assemblée donne à la démarche du gouvernement un goût de mépris pour les procédures. Il est compréhensible que le pouvoir n’ait pas voulu soumettre son programme de gouvernement à l’avis de députés dont il souhaite qu’ils débarrassent rapidement le plancher à la Place Sowéto. C’est hélas oublier que jusqu’à nouvelle élection, c’est l’Assemblée nationale en cours de mandature qui représente le peuple. Une consultation anticipée aurait aidé à résoudre l’équation, sauf à éviter de faire des annonces d’investissements massifs comme c’est le cas en ce moment. Tant pis pour les défenseurs de l’orthodoxie ; le Président aurait eu une démarche politiquement suicidaire, au regard des crispations et autres frustrations exprimées ça et là dans le camp des victorieux du 25 mars dernier. Qu’en aurait-il été si le tout nouveau Chef de l’Etat se risquait à organiser les législatives dans le strict respect du calendrier républicain ? La coalition Bennoo Bokk Yaakaar en souffrirait. Il y a quand même eu élégance dans la gestion de la question. Comparez avec ce qu’il en fut en 2005, relativement à la présidentielle prévue en 2006. Avec l’accord conclu sur le report des législatives au 1er juillet 2012, le landerneau se retrouve dans un cas de figure où on accepte que le décideur prenne le beurre sans renoncer à l’argent du beurre.
Le tout partagé entre les vainqueurs d’aujourd’hui et les défaits qui ont quand même la haute main sur les deux Chambres du Parlement. Laisser jouir encore des privilèges liés aux fonctions de député, le temps que BBY prenne ses marques. Voilà les termes de ce qui aurait s’apparenter à un gentleman agreement. En vérité un pis-aller pour le pouvoir.
Restons toujours dans le cas de figure envisagé par la députée Tekki, c’est-à-dire que les projets et investissements annoncés sont effectivement initiés par Macky Sall et son gouvernement. On se demanderait, le cas échéant, à quel rythme les nouveaux ministres et leurs conseillers ont travaillé pour concocter en quelques semaines, tous ces projets qui font déjà rêver les populations des régions ayant accueilli le Conseil. Concluons sur cette hypothèse pour dire que les nouvelles autorités son en plein dans l’approximation et donc doivent s’attendre à rapidement être découvertes dans ce jeu de mauvais goût.
Considérons l’autre possibilité. Tout ce qui est annoncé depuis quelques semaines, relève de programmes déjà étudiés par l’ancien régime. Alors, il ne doit y avoir aucune gêne pour l’équipe au pouvoir, à édifier les Sénégalais, quitte à invoquer la continuité de l’Etat. Car, que l’on sache, les milliards inscrits aux projets d’investissements ne devaient pas sortir de la poche du Président Wade s’il s’avérait que c’est effectivement son gouvernement qui avait étudié ce que Macky publie. L’argent du contribuable investi dans des secteurs profitables aux populations, rien de normal, quel qu’en soit l’ordonnateur. Ne pas envisager la continuité de l’Etat sous cet angle ne grandirait pas le Pouvoir issu du vote du 25 mars. Si les nouvelles autorités ne se privent pas de dénoncer les mauvaises pratiques d’avant, il ne leur coûterait rien de reconnaître ce qui a été fait de bien. A moins d’envisager que 12 ans de Wade c’est 12 X 0.
Tout cela nous ramène à une réalité plus terre-à-terre : la continuité de l’Etat est dans un état désastreux. Ainsi, le changement toujours promis à l’issue d’une élection ne peut être visible que, lorsque les vainqueurs communiquent en long, en large et … seulement en surface, sur la mauvaise gestion des perdants. Abdoulaye Wade ne s’en priva pas à son accession au Pouvoir en 2000. Même s’il avait décidé d’autorité, que son prédécesseur et sa famille ne pouvaient être audités de leur gestion. En cela, l’élu d’il y a 12 ans mettait en pratique ce qu’il avait théorisé des années auparavant, jusqu’à initier la tenue à Dakar, d’une conférence sur la transition démocratique en Afrique. Me Wade était ministre d’Etat sans portefeuille.
Si les Sénégalais estiment que les Libéraux ont commis des « fautes de gestion sans commune mesure » avec ce dont on pouvait accuser leurs prédécesseurs socialistes, il peut être compréhensible que Macky Sall n’hésite pas. Comme il serait mille fois mieux cependant, que tout tenant de Pouvoir donne le bon exemple en tout !
Hélas, les modèles se font si durablement et vainement attendre, que le site AgoraVox.fr conclut dans un texte mis en ligne en 2008, à « l’introuvable formule », en parlant de transition démocratique en Afrique. Selon l’auteur de la réflexion, « de plus en plus, la classe politique africaine, toutes tendances confondues, a mal à sa carrière. Outre que l’appareil d’État et les économies sont très souvent mal gérés, un mal ronge continuellement et dangereusement les pays du continent : la faillite des acteurs politiques. Nouveaux ou anciens, tenants du pouvoir et opposants se montrent habiles manœuvriers pour détruire, mais piètres architectes lorsque vient le temps de se concerter pour rebâtir ensemble. Exit alors cohésion et respect mutuel (pour laisser place à de) vives intrigues, trahisons et complots qui montrent que la confiance ne dure jamais que le temps du passage des médiateurs ».
Pour le Sénégal, jusqu’ici, c’est dès que le Conseil Constitutionnel a fini d’installer le nouvel élu. Un point rassurant : les antagonismes ne s’expriment que par des mots. Pourvu qu’à force d’invectives on n’en arrive à l’argument des biceps. Là ou la ligne rouge a été franchie…
CONTRE-COURANT – Par Ibrahima BAKHOUM