Lettre ouverte à Me Amadou Diouf, Procureur de la République du Sénégal (Par Pathé Guéye)

Date:

Monsieur le Procureur,

En toute franchise, je brandis le drapeau de la reine des preuves pour vous avouer certaines peines et hésitations que j’aie à vous dédier et à vous diffuser aussi généreusement cette si longue lettre.  Or, le devoir citoyen qui s’impose tout naturellement me l’ordonne et me pousse à m’y soumettre avec responsabilité et sans détour.

Monsieur le Procureur,

Pour ainsi dire, le doyen Jean Carbonnier avait vu juste en nous rappelant que « le droit n’est pas cet absolu dont souvent nous rêvons ».  À cet effet, à l’instar de plusieurs autres pays, la justice sénégalaise en quête permanente d’une indépendance effective, est phagocytée par plusieurs sortes de crises (matérielle, fonctionnelle, morale, éthique voire identitaire. Contrairement à nos besoins et à notre aspiration commune en tant que Peuple souverain et résolument engagé dans la voie irréversible de la « démocratie », la séparation des pouvoirs au Sénégal tant chantée se présente comme une décision à force de chose jugée réduite malheureusement à une retentissante « fiction constitutionnelle ». Des fonctionnaires du corps judiciaire sénégalais ayant l’honneur et le privilège de requérir au nom de l’État et de la loi, éprouvent la plupart du temps des difficultés à faire front aux pressions provenant principalement d’un pouvoir exécutif animé par une prétention arbitraire, absurde et fortement imbibé de calculs de politique politicienne. Beaucoup d’entre eux vivent à la merci d’une tutelle tyrannique qui fait de la coercition du droit et du monopole de la violence illégitime son emblème. Aussi, le juge judiciaire sénégalais, pourtant « pilier de l’ensemble du système de justice » brave et engagé qu’il veuille paraitre, avec des défis majeurs connus de tous, ne peut plus jouir de l’indépendance suffisante pour rendre à la règle de droit sa finalité essentiellement sociale ou simplement faire briller son caractère général, abstrait et obligatoire. Au lieu d’être des acteurs judiciaires impartiaux à la recherche de la vérité juste, ces magistrats usent, abusent de leurs rôles et laissent fréquemment des citoyens inculpés dans une attente insupportable qui se transforme en une épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête. Pour plusieurs dossiers, notre système judiciaire peine à entendre les causes dans des délais raisonnables. L’indulgence institutionnalisée à l’endroit de la « culture des délais », représente un réel déni de justice pour l’inculpé, les victimes, les familles voire la population sénégalaise dans sa globalité. Aux délais déraisonnables, viennent s’ajouter des procédures et ajournements inutiles, des pratiques inefficaces et mesquines, le manque criard de ressources et la corruption. À ce titre, l’ancien bâtonnier du Sénégal Me Mame Adama Gueye avait sonné l’alerte en affirmant que «la situation de la justice sénégalaise s’est progressivement dégradée et l’incertitude judiciaire au Sénégal se situe à tous les niveaux. La corruption est intolérable partout, encore plus dans la justice. C’est pourquoi, nous constatons un dysfonctionnement extrêmement grave du service public de la justice ».

Monsieur le Procureur,

Croyez-le! Face à ce tableau non reluisant qui décrit en grande partie cette dite « justice des vainqueurs » du Sénégal si réfractaire aux réformes majeures tant voulues et espérées, permettez… Permettez, monsieur le procureur de la République…

Vous voilà installé récemment et flagorné si naïvement par votre pitoyable prédécesseur Serigne Bassirou Gueye. Permettez-moi donc en guise de rappel de « marcher délicatement sur la langue» du courageux et dévoué juge Baudot pour vous haranguer à mon tour, afin de corriger quelques-unes des choses qui vous ont été dites ou faites et de vous en faire entendre ou comprendre d’autres.

Monsieur le Procureur,

En entrant dans la magistrature, vous étiez devenu un fonctionnaire d’un rang modeste. Gardez-vous de vous griser de l’honneur, feint ou réel, qu’on vous témoigne. Ne vous haussez pas du col. Ne vous gargarisez pas des mots de « troisième pouvoir », de « de procureur du peuple sénégalais », de « gardien des libertés publiques », etc. Dans ce Sénégal crépusculaire assombri par les nuages de scandales si retentissants et jusqu’ici impunis, on vous a doté d’un pouvoir médiocre : celui de mettre en prison. On ne vous le donne que parce qu’il est un pouvoir généralement inoffensif. Quand vous infligerez cinq ans ou dix ans de prison au citoyen sénégalais, voleur de bicyclette ou de poulet, vous ne dérangerez personne. Évitez donc d’abuser de ce pouvoir!

Monsieur le procureur,

Ne croyez pas que vous serez d’autant plus considérable que vous serez plus terrible.  Serigne Bassirou Gueye peut vous servir amplement d’exemple à ce sujet. Ne croyez pas non plus que vous allez ainsi vaincre l’hydre de la délinquance par une répression impitoyable. Si la répression était efficace, il y a longtemps qu’elle aurait réussi au Sénégal et dans le monde. Si elle est inutile, comme je crois, n’entreprenez pas de faire carrière en vous payant la tête des autres Sénégalaises et Sénégalais. Ne comptez pas la prison par années ni par mois, mais par minutes et par secondes, tout comme si vous deviez la subir vous-même. Prenez sur vous le temps d’aller passer ne serait-ce qu’une nuit dans une prison du Sénégal.

Monsieur le procureur,

Il est vrai que vous occupez une profession où l’on vous demandera souvent d’avoir du caractère mais où l’on entend seulement par-là que vous soyez impitoyable aux misérables. Lâches envers leurs supérieurs, intransigeants envers leurs inférieurs, telle est l’ordinaire conduite des hommes. Tâchez d’éviter cet écueil. On rend la justice impunément : n’en abusez pas!

Dans vos fonctions, ne faites pas un cas exagéré de la loi et méprisez généralement les décrets, les arrêtés et la jurisprudence. Il vous appartient d’être plus sage que la Cour suprême, si l’occasion s’en présente. La justice n’est pas une vérité figée dans le temps ou dressée comme une tente pour le sommeil. C’est une création perpétuelle. Elle sera ce que vous en ferez au nom du Peuple sénégalais, vous procureur de la République du Sénégal!

Monsieur le procureur,

N’attendez pas le feu vert du ministre ou du chef de l’Exécutif ou du législateur ou des réformes, toujours envisagées. Réformez vous-même. Consultez le bon sens, l’équité, l’amour du prochain plutôt que l’autorité ou la tradition.

La loi s’interprète. Elle dira ce que vous voulez qu’elle dise. Sans y changer un iota, on peut, avec les plus solides « attendus » du monde, donner raison à l’un ou à l’autre, acquitter ou condamner au maximum de la peine. Par conséquent, que la loi ne vous serve pas d’alibi.

D’ailleurs vous constaterez qu’au rebours des principes qu’elle affiche, la justice sénégalaise applique extensivement les lois répressives et restrictivement les lois libérales. Agissez tout au contraire. Respectez la règle du jeu lorsqu’elle vous bride. Soyez beau joueur, soyez généreux : ce sera une nouveauté !

Monsieur le procureur,

Ne vous contentez pas de faire votre métier. Vous verrez vite que pour être un peu utile, vous devez sortir des sentiers battus. Tout ce que vous ferez de bien, vous le ferez en plus. Qu’on le veuille ou non, vous avez un rôle social à jouer. Vous êtes un assistant social. Vous ne décidez pas que sur le papier. Vous tranchez dans le vif. Ne fermez pas votre cœur à la souffrance ni votre oreille aux cris de vos compatriotes.

Ne soyez pas de ces procureurs de la République soliveaux qui attendent que viennent à eux les petits procès. Ne soyez pas des arbitres indifférents au-dessus de la mêlée. Que votre porte soit ouverte à tous les Sénégalaises et Sénégalais. Il y a des tâches plus utiles que de chasser ce papillon, la vérité, ou que de cultiver cette orchidée, la science juridique.

Ne soyez pas victime de vos préjugés de classe, religieux, politiques ou moraux. Ne croyez pas que la société Sénégalaise soit intangible, l’inégalité et l’injustice inévitable, la raison et la volonté humaine incapables d’y rien changer.

Monsieur le procureur,

Ne croyez pas qu’un homme soit coupable d’être ce qu’il est ni qu’il ne dépende que de lui d’être autrement. Autrement dit, ne le jugez pas. Ne condamnez pas l’alcoolique. L’alcoolisme, que la médecine ne sait pas guérir, n’est pas une excuse légale mais c’est une circonstance atténuante. Parce que vous êtes instruit, ne méprisez pas l’illettré. Ne jetez pas la pierre à la paresse, vous qui ne travaillez pas de vos mains. Soyez indulgent au reste des femmes, des hommes et des enfants. N’ajoutez pas à leurs souffrances. Ne soyez pas de ceux qui augmentent la somme des souffrances de vos compatriotes Sénégalais.

Soyez partial. Pour maintenir la balance entre le fort et le faible, le riche et le pauvre, qui ne pèsent pas d’un même poids, il faut que vous la fassiez un peu pencher d’un côté. C’est la tradition capétienne. Examinez toujours où sont le fort et le faible, qui ne se confondent pas nécessairement avec le délinquant et sa victime. Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l’enfant contre le père, pour le débiteur contre le créancier, pour l’ouvrier contre le patron, pour l’écrasé contre la compagnie d’assurance de l’écraseur, pour le malade contre le centre de santé, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice.

Monsieur le procureur,

Souvenez-vous toujours avec l’économiste et lauréat du prix Nobel Amartya Sen que pour être juste, notre cher Sénégal doit posséder, entre autres, ces trois caractéristiques: des lois justes, des institutions solides, une vraie justice dans la vie des Citoyennes et Citoyens sénégalais.

Souvenez-vous également avec le juge Kéba Mbaye que « ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir et en abusent, ou qui se sont enrichis en foulant aux pieds les règles d’éthique se le disent bien ; ils n’inspirent aucun respect aux autres Sénégalais. Or le respect de ses concitoyens est le bien le plus précieux du monde. C’est le seul qu’il faut désirer, qu’il faut rechercher. C’est le seul qui est admiré.

Le respect dû au pouvoir ou à l’argent, s’il a un autre nom, s’il s’appelle crainte ou courtisanerie, c’est que les paramètres éthiques qui les régissent se sont déréglés. Or, la crainte et la courtisanerie sont détestables parce qu’elles avilissent celui qui les inspire comme celui qui en est la proie. Elles ne durent que le temps que dure la force ou la fortune qui les motivent, c’est à dire peu ; et elles s’effacent avec la perte du pouvoir ou de l’argent ».

Me Amadou Diouf, procureur de la République du Sénégal! Oui, longue est cette jasette citoyenne mais retenez que je voulais simplement vous inviter à vous transcender avec honneur afin d’avoir le mérite permanent et l’élégance ostentatoire de vous lever et d’effectuer, pour le salut et la grandeur de notre cher Sénégal si brimé par les assauts réplétifs d’un pauvre gueux revêtu qui s’est autoproclamé président, votre travail de procureur de la République. La grande porte du changement salvateur de la justice ne peut s’ouvrir que de l’intérieur de la justice!  Et la grâce du Seigneur a fait que vous détenez aujourd’hui une des clés pour ouvrir cette porte devant l’histoire. Ne ratez pas ce tournant historique, je vous en supplie avec mes vœux les meilleurs pour cette nouvelle année.

Pathé Guèye

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

CAN 2023

DEPECHES

DANS LA MEME CATEGORIE
EXCLUSIVITE

BASSIROU DIOMAYE, DITES-VOUS ? (par Elie Charles Moreau)

J’ai eu l’occasion d’échanger avec lui, en 2019/2020 (en...

REPONSE DES CADRES DE TAXAWU SENEGAL A MONSIEUR GUY MARIUS SAGNA (par Made Code Ndiaye)

L’honorable député Guy Marius Sagna a entrepris de répondre...

Les 12 travaux d’Hercule du prochain président de la République (Alioune Diawara*)

Le rideau est tombé sur la vraie fausse crise...

LIESSE POPULAIRE POUR DES « PYR0MANES » (Par Kaccor Bi)

Y en a certainement qui n’ont pas fermé l’œil...