Gardien zélé du musée vivant de la Françafrique, Me Robert Bourgi cultive sa légende avec une touchante opiniâtreté. Le communiqué que lui inspire ce lundi matin le triomphe de Macky Sall au Sénégal mérite de figurer en bonne place dans une anthologie des acrobaties courtisanes. Dans un long texte au lyrisme pompier, l’avocat natif de Dakar louange en ces termes, fautes de syntaxe comprises, le sortant Abdoulaye Wade, lequel a félicité dès dimanche soir -quoi de plus naturel en démocratie ?- son challenger victorieux « Votre geste exceptionnel se situe dans le droit fil des brillants exemples qui nous furent offerts par ses ( ?) illustres fils de la Teranga: Blaise DIAGNE, Galandou DIOUF, Lamine GUEYE, Léopold Sédar SENGHOR, Mamadou DIA, et Abdou DIOUF. Votre geste d’hier, Président WADE, est fidèle à ce qui, tout au long de votre vie politique, a guidé votre réflexion et votre combat: le triomphe de la Démocratie. Vous les avez nourri (sic) dans la lumière, comme dans la pénombre des cachots. Le Sénégal, les sénégalais (re-sic), ont un profond respect pour leurs aînés. Jusque-là vous étiez leur « le Gorgui », « le vieux ». Depuis hier soir, vous êtes « notre » Gorgui, le Gorgui de tous les sénégalais (re-re-sic), jeunes et vieux. »
A ce stade, le lecteur est prié de ne pas lâcher son manuel de l’aubade grandiloquente illustrée. « La nouvelle symphonie » qui « va retentir » avec l’élu du 25 mars, lit-on pieusement ensuite, « ne serait que plus belle et plus grande si vous acceptiez d’en inspirer la baguette du nouveau Chef d’orchestre. » Une petite touche de folklorisme, peut-être ? C’est parti : « Tous les sénégalais [qui hélas ne méritent toujours pas le S majuscule de rigueur], de quelques (re-re-re-sic) bord politique qu’ils soient, dans la joie, pinceront les koras et frapperons [étant à court de sic, je jette l’éponge] les balafons. Macky SALL veut que son Gorgui, assis sous le baobab, lui distille sa sagesse et ses conseils. Dieu vous garde longtemps encore, Président WADE ! Nous ne voulons pas que la bibliothèque que vous avez été, brûle. » Amen.
« Bob » Bourgi, lui, fait feu de tout bois. Pour un peu, on oublierait que dans le retentissant entretien accordé en septembre 2011 au Journal du Dimanche, le fameux convoyeur de mallettes, jadis porte-coton empressé de Sa Majesté Omar Bongo Ondimba, avait cité le même baobab parmi les généreux bienfaiteurs de la Chiraquie. Avant il est vrai de se rétracter piteusement.
Voilà quatre jours, le marabout africain de Claude Guéant, décidément très en verve ces temps-ci, a fermement condamné le putsch perpétré par une bande d’aventuriers en treillis au Mali voisin, pays dont, souligne notre poète de cour, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et le Mouvement national de libération de l’Azawad, ou MNLA, menacent l’intégrité territoriale et l’unité. Dans l’épreuve, le président élu Amadou Toumani Touré sera à coup sûr soulagé d’apprendre que Robert Bourgi « se tient plus que jamais à ses côtés ». ATT est sauvé, et la démocratie africaine avec lui.
Post scriptum. A 12H10, soit deux heures après l’envoi de la première mouture de ce morceau de bravoure, l’Organisation de la Presse Africaine, qui a l’insigne honneur de diffuser la prose de Robert Bourgi, a expédié une version corrigée. Le « s » de « nourris » refait ainsi surface, tandis que le « quelque » épinglé ci-dessus perd opportunément le sien. « Frapperons » échange avantageusement son propre « s » final contre le « t » réglementaire. En revanche, les Sénégalais n’ont droit à la restauration de la majuscule que dans un cas sur deux. Allez, encore un effort…
Le BLOG de Vincent Hugeux