Le code consensuel est mort, faut-il saluer le nouveau règne de la loi de la majorité ? Cette interrogation suffit-elle à résumer l’évolution récente, mais régressive du droit électoral sénégalais ? En tous les cas, le produit de substitution du code consensuel de 1992 ou le nouveau code électoral du 18 janvier 2017 repose sur un vide juridique qui nécessite une révision de la Constitution avant l’élection présidentielle du 24 février 2019. En effet, les articles L.115 à L.123(1) du Code électoral qui fixent le régime législatif de dépôt et de déclaration de candidature à l’élection présidentielle n’ont aucune base constitutionnelle alors qu’ils sont censés compléter les articles 28 et 29 de la Constitution. Ces derniers, ni aucune autre disposition de la Constitution n’habilitent le législateur organique encore moins le législateur ordinaire à fixer le régime de dépôt et de déclaration des candidatures (I).
Pourtant le Conseil constitutionnel, dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori du code électoral, avait l’occasion de sanctionner le texte notamment en le renvoyant à l’Assemblée nationale jusqu’à l’adoption d’une disposition constitutionnelle de renvoi. Précisons cependant que les articles L.115 à L.123 du Code électoral actuel ont été à la base adoptés par l’Assemblée nationale en tant que dispositions organiques (LO. 115 à LO. 123) *le 2 janvier 2017. C’est le Conseil constitutionnel, confronté à leur absence de base constitutionnelle, qui a procédé à leur requalification d’office en tant que dispositions ordinaires. Ainsi, dans sa décision n°4/C/2017 du 13 janvier 2017, le Conseil constitutionnel s’est attribué ex nihilo un pouvoir qu’il n’a pas (II). Ce faisant, il laisse tout entier le vide juridique concernant l’absence d’une disposition constitutionnelle de renvoi concernant le régime de dépôt et de déclaration de candidature à l’élection présidentielle. Aujourd’hui, une nouvelle révision constitutionnelle s’impose afin de redonner à l’institution présidentielle toute sa dignité (III).
I°) L’absence d’une disposition constitutionnelle de renvoi, fondement de l’incompétence matérielle du législateur
L’étape du dépôt et de déclaration de candidature à l’élection présidentielle souffre d’un vide juridique, celui de l’absence de base constitutionnelle. Concrètement, il n’y a pas une disposition constitutionnelle de renvoi conférant compétence au législateur à intervenir et qui donnerait une base juridique aux dispositions du Code électoral relative à cette composante du mode d’élection du Président.
Soulignons, tout d’abord, que la technique du renvoi est le procédé par lequel la Constitution, pour mettre en œuvre, compléter ou préciser certaines de ses dispositions, renvoie à des normes ou différents types d’actes qui lui sont extérieurs. C’est le cas lorsqu’une disposition de la Constitution prévoit que la règle qu’elle pose pourra être complétée par une loi ou que la compétence qu’elle institue sera mise en œuvre « dans les conditions prévues par une loi organique ». Dans cette hypothèse, la disposition de renvoi est en même temps une disposition d’habilitation, car au-delà de renvoyer à un texte extra-constitutionnel elle habilite aussi le législateur organique à exercer une compétence déterminée(2). La disposition constitutionnelle de renvoi crée ainsi vis-à-vis de la norme à laquelle elle renvoie une double relation de subordination qui apparait à travers le principe de hiérarchie et le principe de compétence.
Cette définition nous permet d’analyser le vide juridique qui caractérise le régime constitutionnel de dépôt et de déclaration de candidature à l’élection présidentielle. En la matière, les dispositions pertinentes sont les articles 28 et 29 de la Constitution. Ils fixent successivement les conditions d’éligibilité(3) et de recevabilité(4) des candidatures. En dehors de la disposition sur le parrainage (alinéa 7 nouveau de l’article 28) qui renvoie au législateur ordinaire pour sa mise en œuvre, ni l’article 28 ni l’article 29 de la Constitution ne renvoient au législateur quant à leur mis en application.
Pourtant, les articles L 115 à L 123 du nouveau Code électoral, curieusement, fixent le régime de dépôt ou de déclaration de candidatures à l’élection présidentielle. Ils visent ainsi à mettre en œuvre ou compléter les articles 28 et 29 de la Constitution, c’est-à-dire le régime constitutionnel de déclaration des candidatures. Or l’article 67 de la Constitution qui fixe le domaine de la loi, ne cite pas l’élection du Président de la République au titre des matières à propos desquelles l’Assemblée Nationale peut légiférer. Autrement dit, le régime de dépôt et de déclaration de candidature à l’élection présidentielle n’est pas du domaine de la loi. Mieux encore, c’est le Conseil Constitutionnel saisi aux fins de vérifier la conformité du Code électoral qui nous le rappelle« (…) la Constitution, s’agissant du dépôt de candidature à la Présidence de la République, n’a pas renvoyé à une loi organique » (5).
Dès lors on peut se demander d’où est-que le législateur ordinaire, à travers les articles L 115 à L 123 du nouveau Code électoral, tire-t-il compétence pour compléter le régime constitutionnel de dépôt et de déclaration de candidature à l’élection présidentielle ? En l’absence de disposition constitutionnelle de renvoi et donc d’habilitation, le législateur peut-il s’arroger ex–nihilo le pouvoir de mettre en oeuvre les articles 28 et 29 lesquels n’ont renvoyé ni au législateur organique ni au législateur ordinaire ?
Le non est catégorique en raison de la violation de deux principes élémentaires de droit constitutionnel qui régissent les rapports entre Constitution et loi : le principe de compétence et le principe de hiérarchie. Les articles L 115 à L 123 violent le principe de compétence ou d’attribution parce que la loi ne peut régir que les matières que la Constitution lui a expressément attribuées. Les articles L 115 à L 123 expriment en conséquence une méconnaissance de la répartition des compétences telle qu’elle est constitutionnellement fixée. En clair, toute compétence non attribuée par l’article 67 ou par une autre disposition de la Constitution n’appartient pas au législateur ordinaire. La violation du principe de hiérarchie quant à elle découle directement de la violation même du principe de compétence. Dans un système hiérarchisé de normes comme le nôtre chaque règle tire sa source de validité dans une norme qui lui est supérieure. Or en raison de leur manque de base constitutionnelle, les articles L 115 à L 123 n’ont aucune existence sur le plan normatif, car ils méconnaissent la suprématie de la Constitution en violant les articles 28, 29 et 67.
Le vide juridique que constitue l’absence d’une disposition constitutionnelle habilitant le législateur à définir un régime législatif de dépôt et de déclaration de candidature a été constaté par le Conseil constitutionnel. Il a pourtant décidé de ne pas en tirer toutes les conséquences juridiques qui siéent. La solution finale proposée par le juge constitutionnel sénégalais peut être qualifiée d’inconstitutionnelle parce qu’il a unilatéralement modifié la nature juridique des règles adoptées en des termes différents qu’on lui avait demandé de contrôler.
II°) La solution inconstitutionnelle du Conseil constitutionnel : la requalification d’office de dispositions organiques contrôlées en dispositions ordinaires
Par sa décision n°4/C/ 2017 du 13 janvier 2017, le Conseil constitutionnel a créé un cafouillage juridique sans précédent en modifiant les grands équilibres qui sous-tendent le régime électoral du Président de la République. Son contrôle de constitutionnalité du code électoral a abouti à une déclaration de conformité très surprenante. En réalité, la déclaration de conformité des dispositions relatives au dépôt de candidature à l’élection présidentielle déconcerte le bon sens juridique pour au moins quatre (4) raisons.
Une incompétence du législateur constatée par le Conseil constitutionnel. L’incompétence du législateur organique à fixer le régime de dépôt et de déclaration de candidature à l’élection présidentielle n’est pas un simple commentaire dont nous faisons part. C’est le Conseil constitutionnel qui nous l’apprend, c’est lui-même qui nous le dit: « il résulte de l’article 78 de la Constitution que le législateur organique ne peut intervenir que sur invitation du Constituant et sur des matières que ce dernier a expressément qualifiées comme telles ; »(7) Or « la Constitution, s’agissant du dépôt de candidature à la Présidence de la République, n’a pas renvoyé à une loi organique ; que, par conséquent, les articles LO.115 à LO.123 n’ont pas un caractère organique. »(8) Le Conseil constitutionnel admet ainsi, sans réserve, l’incompétence matérielle du législateur organique. C’est en d’autres termes une manière de dire que les articles LO 115 à LO 123 ont été adoptés en violation des règles constitutionnelles de répartition des compétences. Pourquoi il n’en a pas tiré la conséquence juridique qui sied et qu’appelle cette incompétence ? Pourquoi n’a-t-il pas fait prévaloir les principes de compétence et de hiérarchie qui régissent les rapports entre Constitution et loi organique ? La non motivation de sa décision finale de requalification ne permet pas d’y voir clair.
Une requalification non motivée et non fondée. La solution proposée par le Conseil est surprenante, car au lieu de sanctionner la violation des principes de compétence et de hiérarchie, il a préféré couvrir cette inconstitutionnalité manifeste par une opération de déclassement ou de requalification. Aux termes de l’article 2 de son dispositif on peut lire : « Les dispositions des articles LO.115 à LO.123, (…) n’ont pas un caractère organique, et les numéros de ces articles doivent être transcrits ainsi qu’il suit : L.115, L.116, L.117, L.118, L.119, L.120, L.121, L.122, L.123 (…)».
Ce qui est le plus déconcertant dans cette décision c’est que le juge constitutionnel change lui-même la nature juridique des dispositions contrôlées (LO.115 à LO.123>>> L 115 à L 123) sans nous dire pourquoi il requalifie et sur quelle base ! Encore faudrait-il avant de requalifier ou de passer de dispositions organiques à des dispositions ordinaires vérifier au préalable si le législateur ordinaire est compétent ou non. Vérification préalable d’autant plus nécessaire que le législateur ordinaire, (tout comme le législateur organique en vertu de l’article 78), ne peut en vertu de l’article 67 intervenir que sur invitation du Constituant et sur des matières que ce dernier a expressément qualifiées comme telles. Or ni l’article 67 ni aucune autre disposition de la Constitution n’invitent expressément le législateur ordinaire à compléter le régime de dépôt et de déclaration de candidature à l’élection présidentielle. Par conséquent, les articles L 115 à L 123, initialement LO 115 à L O 123, ont été requalifiés par le juge constitutionnel en méconnaissance des règles élémentaires de répartition des compétences de la Constitution. En fait, tout comme le législateur organique, le législateur ordinaire est frappé d’incompétence en raison de l’absence d’une disposition constitutionnelle de renvoi.
Un conseil constitutionnel législateur ! En décidant de requalifier lui-même en dispositions ordinaires des dispositions organiques soumis à son contrôle, le Conseil constitutionnel a aussi violé le principe de la séparation des pouvoirs(8). La traduction constitutionnelle de ce principe est la répartition des compétences entre les trois pouvoirs. Dès lors, le Conseil constitutionnel est incompétent pour réécrire et / ou requalifier certains articles de la loi électorale à la place du législateur qui les initialement adoptées. Cette prérogative relève de la compétence exclusive du législateur. En cherchant à combler un vide juridique laissé par le constituant, le Conseil constitutionnel est devenu un juge usurpateur d’une compétence et d’une fonction que la Constitution ni son statut ne lui attribuent. D’ailleurs, il faut relever que c’est un grand paradoxe pour un juge qui a l’habitude et le réflexe d’interpréter restrictivement ses compétences de s’ériger subitement en législateur.
Le refus de vérifier si le législateur ordinaire est constitutionnellement compétent et d’assurer ainsi la motivation de sa solution décrédibilise la décision du Conseil. Deux hypothèses pourraient expliquer une approche aussi déroutante : un mimétisme raté et/ou la pression du calendrier électoral en 2017. Pour la première, on peut subodorer que la décision n° C/4/2017 soit une réplique manquée de la décision n°75-62 DC du 28 janvier 1976 du Conseil constitutionnel français. Dans sa décision le juge français certes avait requalifié des dispositions organiques en dispositions ordinaires. Cependant, ce que le Conseil Constitutionnel sénégalais a oublié ou n’a pas semblé comprendre c’est que dans le cas français le législateur organique avait empiété sur le domaine de la loi ordinaire. Pour son homologue français, il s’agissait juste de rétablir et de faire respecter, au moyen du principe de compétence, la répartition des compétences telle que fixée par la constitution française. Ce qui veut dire que la requalification est possible mais à condition que la loi organique intervienne dans une matière déjà attribuée par la constitution au législateur ordinaire. Il est clair qu’on ne se trouve pas dans ce cas de figure avec notre exemple.
La seconde hypothèse est celle qui consiste à soutenir que si le Conseil constitutionnel a cherché à couvrir plutôt qu’à sanctionner l’inconstitutionnalité du Code électoral, c’était pour éviter deux autres procédures législatives distinctes qui risquaient de mettre le Gouvernement dans une situation de violation manifeste de la règle de la CEDEAO qui interdit, en l’absence de consentement d’une large majorité des acteurs politiques, toute réforme substantielle de la loi électorale dans les six (6) mois précédant les élections (9). Il était en effet évident qu’une déclaration d’inconstitutionnalité aurait entrainé l’initiative d’une procédure de révision constitutionnelle et l’adoption d’une nouvelle loi électorale. Ce que la proximité des élections législatives du 30 juillet 2017 ne permettait pas.
Aujourd’hui, une révision constitutionnelle est plus qu’impérative afin de combler non seulement une lacune constitutionnelle, mais aussi restaurer la dignité de l’institution présidentielle.
III°) L’atteinte à la dignité de l’institution présidentielle
Le nouveau code électoral rompt avec une tradition juridique de plus d’un demi-siècle. Le statut du président de la République a toujours été fixé par la Constitution et par des dispositions à caractère organique. Le législateur ordinaire n’a jamais eu part à la détermination du régime relatif au mode d’élection du président de la République.
Le vide juridique qui affecte le mode d’élection du président de la République, à savoir l’absence d’une disposition constitutionnelle de renvoi habilitant le législateur (organique comme ordinaire) à fixer le régime de dépôt et de déclaration des candidatures remonte pourtant à la Constitution du 7 mars 1963. Nonobstant cette incompétence matérielle historique du législateur, c’est avec une régularité de 55 années, sans discontinuité(10), que le législateur organique est intervenu pour fixer, après la Constitution, le régime législatif concernant l’élection du Président de la République. L’accessibilité, avec le nouveau code électoral, du ‘‘législateur ordinaire’’ à la matière de l’élection présidentielle est un précédent dangereux. Cette grande lacune du droit constitutionnel sénégalais et entièrement imputable au Conseil constitutionnel (décision C/4/2017). Elle pose aussi un problème de lisibilité, de rigueur, bref de cohérence dans l’encadrement constitutionnel des institutions.
Antériorité de l’incompétence matérielle du législateur et régularité de l’intervention du législateur organique. Un regard rétrospectif permet de s’apercevoir que le droit constitutionnel sénégalais traine et souffre de cette lacune depuis la Constitution du 7 mars 1963. Cette dernière issue de la crise opposant le chef du Gouvernement, Mamadou Dia, au président de la République, Léopold Sédar Senghor avait surtout pour objectif de donner au Chef de l’Etat une légitimité populaire à travers la consécration de son élection au suffrage universel direct. A ce titre, elle s’inspirait de la Constitution française du 4 octobre 1958. Sauf que cette dernière, contrairement à la Constitution sénégalaise, aussitôt après avoir posée le principe de l’élection du Président au suffrage universel direct ajoute que « Les modalités d’application sont fixées par une loi organique »(11). Une disposition de renvoi aussi générale dans la Constitution de 1963 aurait permis au législateur organique sénégalais de définir une bonne partie du mode d’élection du prédisent de la République. Autrement dit, il n’y avait pas dans la Constitution de 1963 une disposition de renvoi équivalente à l’article 6 alinéa 3 de la Constitution française qui expressément habilite le législateur organique français à compléter tout le mode d’élection. Ainsi, l’article 24 de la Constitution de 1963 relatif au dépôt des candidatures ne renvoyait pas à une loi organique. Il faut cependant souligner que, malgré l’absence d’une disposition constitutionnelle de renvoie concernant le dépôt de candidature, le législateur organique sénégalais a paradoxalement toujours entrepris, la même démarche que son homologue français en prenant des mesures d’application des dispositions constitutionnelles relatives à l’élection présidentielle. A ce titre, il convient de citer l’ordonnance n° 63-09 du 26 août 1963 portant loi organique relative à l’élection du président de la République abrogée et remplacée par la loi n° 1981/80 du 28 décembre 1981 relative à l’élection du président de la République et des députés à l’Assemblée nationale. Cette dernière sera à son tour abrogée et remplacée par la loi organique n° 92-15 du 07 février 1992 portant Code électoral (partie législative). Le code de 1992 a continué à proposer un régime de dépôt de candidature sans base constitutionnelle même après l’adoption de la Constitution du 22 janvier 2001.
L’ordonnance organique n° 63-09, ensuite la loi organique n° 1981/80, en fin la loi organique n° 92-15 du 7 février 1992 ou le code consensuel de 1992, en complétant sans habilitation les dispositions constitutionnelles relatives au dépôt et à la déclaration des candidatures à l’élection présidentielle de la Constitution de 1963 puis celle de la Constitution du 22 janvier 2001 pour le code consensuel, n’avaient pas respectées les principes de hiérarchie et de compétence qui régissent les rapports entre le pouvoir constituant et le législateur organique. La persistance, pendant 38 ans, de cette inconstitutionnalité n’appelle aucune réserve sauf pour le code consensuel.
Comment le Code électoral de 1992 a-t-il pu servir de base au contrôle de validité des candidatures alors que le régime de dépôt et de déclaration des candidatures qu’il avait fixé n’avait pas de base constitutionnelle ? Même si interrogation laisse entrevoir une inconstitutionnalité formelle manifeste du Code électoral en 1992, on peut relativiser et se demander si le particularisme processuel ou le consensus national historique qui a prévalu lors son l’élaboration et de son adoption n’auraient pas permis de surmonter son inconstitutionnalité formelle ? (12) En tous les cas, entre la date de son adoption jusqu’à son abrogation, le régime de dépôt et de déclaration de candidature institué par Code électoral consensuel de 1992, même en l’absence de toute habilitation constitutionnelle, a servi et a été utilisé lors des quatre dernières élections présidentielles (1993, 2000, 2007 et 2012).
Aujourd’hui, l’abrogation du code consensuel 1992 par le nouveau code électoral laisse le problème encore tout entier. En effet, le nouveau Code électoral, à savoir la loi n° 2017-12 du 18 janvier 2017, partage avec son prédécesseur le même défaut, celui de l’absence de base constitutionnelle ou d’une disposition constitutionnelle de renvoi habilitant le législateur à appliquer les articles 28 et 29 de la Constitution. La nouvelle lacune, consécutive à la décision n°C/4/2017 du Conseil constitutionnel étant, quant à elle, l’existence de dispositions ordinaires et non organiques qui fixent le régime de dépôt et de déclaration de candidature à l’élection présidentielle. Le nouveau code électoral rompt ainsi avec une tradition juridique de plus d’un demi-siècle et introduit deux types d’incohérences concernant l’institution présidentielle : une incohérence matérielle ou de fond et une incohérence de forme.
L’incohérence de fond. En requalifiant sans fondement les articles LO 115 à LO 123 en dispositions ordinaires (L 115 à L 123), le Conseil constitutionnel n’a pas seulement remis en cause 55 ans de tradition juridique, il a aussi remis en cause l’équilibre des institutions, notamment le principe de la séparation des pouvoirs. En effet, le fait pour le constituant de renvoyer à des lois organiques pour compléter des dispositions constitutionnelles relatives aux institutions de la République(13) et d’y associer en même temps la règle du contrôle constitutionnalité préalable et obligatoire en vertu de l’article 78 a une signification juridique spécifique. L’intervention a priori du Conseil constitutionnel est obligatoire, car il s’agit pour le constituant de veiller à ce que la mise en œuvre des dispositions constitutionnelles relatives à chaque institution respecte la répartition constitutionnelle de leurs compétences et fonctions. Par conséquent, le contrôle de conformité obligatoire des lois organiques est une technique de garantie de l’équilibre des institutions. Or avec des dispositions ordinaires le contrôle obligatoire et préalable disparait pour toutes les réformes qui toucheront les articles 115 à 123 ou le régime législatif de dépôt et déclaration de candidature à l’élection présidentielle. La loi constitutionnelle instituant le parrainage intégral a d’ailleurs élargi cette incohérence matérielle parce qu’elle renvoie elle aussi au législateur ordinaire pour fixer les modalités de contrôle des signatures.
L’incohérence de forme. Avec le nouveau code électoral ‘‘issu de la décision n°C/4/2017’’(14), deux catégories de règles défissent, pour la première, le régime législatif du mode d’élection du Président de la République. Les règles de dépôt et de déclaration de candidature sont des dispositions ordinaires (articles L.115 à L. 123) tandis que le contrôle de la régularité de la campagne électorale (articles LO 25 ; LO.124 à LO. 131), le contrôle de la régularité du scrutin présidentiel (articles LO 132 à LO.137) et le contentieux de l’élection présidentielle (LO.140 à LO.143) sont régis par des dispositions organiques. Cette hybridité révèle la réalité juridique du moment : les dispositions organiques ont une base constitutionnelle alors que les dispositions ordinaires (L.115 à L. 123) ne reposent pas sur une habilitation constitutionnelle.
Notes :
*) L’Assemblée nationale est dite le législateur organique lorsqu’elle adopte un texte sur la base de l’article 78 : « Les lois qualifiées organiques par la Constitution sont votées et modifiées à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale. » L’Assemblée nationale est dite législateur ordinaire lorsqu’une majorité simple lui suffit pour adopter un texte de loi. Le contrôle constitutionnalité des lois dites ordinaires n’est pas obligatoire.
1) Dans le code électoral, les articles intitulés « L » sont des dispositions dites ordinaires tandis que ceux intitulés « LO » désignent les dispositions à caractère organique.
2) Agnès ROBLOT-TROIZIER, Contrôle de constitutionnalité et normes visées par la Constitution française. Recherche sur la Constitutionnalité par renvoi, Dalloz, 2007, p. 4 et s.
3) Il dispose que : ‘‘Tout candidat à la Présidence de la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise, jouir de ses droits civils et politiques, être âgé de 35 ans au moins le jour du scrutin. Il doit savoir écrire, lire et parler couramment la langue officielle.’’
4) Ils tournent principalement autour de trois points : 1 l’autorité compétence pour recevoir les déclarations de candidatures, le délai de dépôt qui leur est applicable et enfin la condition du parrainage. Précisions cependant que pour cette dernière l’alinéa 7 de l’article 29 nouveau, issu de la loi constitutionnelle 2008-14 du 11 mai 2018 portant révision de la Constitution, renvoie à une loi pour en définir les modalités de contrôle des listes de parrainage.
5) V. Décision du Conseil constitutionnel, n° 4/C/2017, considérant n° 25.
6) Idem., considérant 132
7) Idem., considérant 25
8) Le Préambule de la Constitution du 22 janvier 2001 proclame que « Le Peuple sénégalais souverain proclame la séparation et l’équilibre des pouvoirs conçus et exercés à travers des procédures démocratiques. »
9) V. article 2 paragraphe 1 Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité, 21 décembre 2001.
10) Par analogie, on peut rappeler que ce principe de continuité des règles relatives à l’institution présidentielle a été argumenté par le Conseil constitutionnel sur l’impossibilité de réduire le mandat présidentiel en cours en ces termes : « s’agissant des modalités d’application dans le temps des lois de révision ayant une incidence sur la durée du mandat en cours du Président de la République, que des précédents se sont succédés de manière constante depuis vingt-cinq ans ; qu’il résulte de ces précédents, initiés sans texte lors de la révision de la Constitution de 1963 par la loi constitutionnelle n° 91-46 du 06 octobre 1991 et consolidés lors de l’adoption de la nouvelle Constitution du 22 Janvier 2001 et de la révision constitutionnelle n°2008-66 du 21 octobre 2008, avec le soutien de dispositions transitoires destinées à différer l’application de la règle nouvelle, que le mandat en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi de révision, par essence intangible, est hors de portée de la loi nouvelle. » (Décision en matière consultative n°1 / C / 2016, Considérants 29 et 30.)
11) Article 6 alinéa 3 de la Constitution française du 4 octobre 1958.
12) Dans son élaboration comme dans son adoption, c’est le consensualisme qui a prévalu. V. El Hadji MBODJ, « La démocratie multipartisane sénégalaise à la lumière du nouveau code électoral », Alternative Démocratique, n°6 – octobre 1992, p. 73.
13) D’après l’article 6 de la Constitution, « Les institutions de la République sont Président de la République ; Assemblée nationale ; le Gouvernement ; le Haut Conseil des Collectivités territoriales ; Conseil économique, social et environnemental ; le Conseil constitutionnel, la Cour suprême, la Cour des Comptes et les Cours et Tribunaux ».
14) De fait, le Conseil constitutionnel a réécrit la loi électorale.
Mouhamadou Ngouda MBOUP, Assistant de droit public FSJP / UCAD
Ibrahima KA, ATER en droit public, Université du Littoral Côte d’Opale, France