Un champion olympique a toujours plein de gens à remercier. Renaud Lavillenie en avait des millions à qui dédier sa victoire, ceux qui avaient suivi la finale du saut à la perche vendredi. Ses partenaires privés ou publics, ses proches, son entraîneur aussi. Et surtout sa famille. Pour son indéfectible soutien durant les années de travail, évidemment, pas pour le patrimoine génétique qu’elle lui a légué. Il aurait peut-être raison de s’en plaindre, puisqu’il est le plus petit (1 m 77) des grands perchistes, et n’est donc statistiquement pas prédestiné à sauter 6 m. Il ne vient jamais à l’idée aux champions d’attribuer leur succès ou leur échec par des caractères innés, pourtant certains scientifiques sont tentés de le faire depuis un siècle.
Les Jeux olympiques, qui réunissent des milliers de sportifs de (presque) toutes les régions du monde dans une même ville, sont des opportunités rares pour étudier les caractères biologiques observables (phénotype) et les facteurs héréditaires (génotype) qui seraient corrélés avec les résultats sportifs. Lors des Jeux de Rome en 1960, de Mexico en 1968 et de Montréal en 1976, des milliers de participants classés par groupes ethniques et disciplines sportives se sont soumis à des questionnaires, des photographies, des rayons X, des prises de sang, des prélèvements buccaux, des relevés d’empreintes digitales pour connaitre leur ordre de naissance dans la famille, les dimensions de leur squelette, leurs masses musculaire, adipeuse et osseuse, leur composition sanguine, leurs différences chromosomiques… Les rares découvertes, les biais méthodologiques et les résultats contradictoires, bien qu’entretenant une certaine fascination pour la biologie sportive, n’ont pas contribué à y voir plus clair dans les relations entre génotype, phénotype et performance.
L’achèvement du Projet Génome Humain en 2003, la baisse des coûts des analyses génétiques ont multiplié les publications scientifiques et relancé l’intérêt des chercheurs pour expliquer, prédire, voire fabriquer la performance. La carte du génome pour la performance et la santé dans le sport comporte plus de 200 gènes sur 20 000 qui seraient associés à la performance physique sportive selon une carte du génome régulièrement mise à jour par la revue Medicine & Science in Sports & Exercise. La plupart de ces gènes, agissant sur l’expression de la vitesse ou de l’endurance, se trouvent chez une minorité de la population mondiale, et leurs combinaisons sont rares. Théoriquement, il y aurait moins d’une chance sur un million de posséder le génotype du sportif parfait selon la revue Sport Medicine. Des universités jamaïcaines, chinoises, polonaises, russes ou espagnoles scannent leurs meilleurs athlètes dans l’espoir de trouver la clé de la performance permettant d’ouvrir le coffre des médailles. Par ailleurs, l’Agence Mondiale Antidopage a déjà légiféré sur les dérives de ce qui est déjà identifié comme « dopage génétique ».
Pour les sportifs qui n’ont pas les bons parents et ne sont pas intéressés par le dopage génétique, il y a encore des raisons d’y croire. L’influence de l’environnement et de l’histoire individuelle sur l’expression des gènes, qu’étudie l’épigénétique serait majeure. Une étude longitudinale effectuée chez les sportifs espagnols révèle que la contribution à la performance sportive des facteurs génétiques étudiés ne serait que de 21,4 %. Cela laisse beaucoup de place à l’incertitude en sport, permettant d’être surpris par le Trinidadien Keshorn Walcott en or au lancer du javelot, la Cubaine Yarisley Silva en argent à la perche et le Qatari Mutaz Barshim en bronze au saut en hauteur, disciplines habituellement dominées par les Européens.
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