Désastre ! La ville de Louga balayée par l’harmattan chaud et sec a perdu son unique poumon vert. Cette sorte de point d’eau dans le désert. Des générations entières pleurent la disparition de la bande verte coincée entre la vieille Louga et l’extension de la ville appelée « Grand Louga ». La bande verte constitue depuis plus de deux décennies une aire de sinécure où s’émanaient des vents arrosant de leurs douces fraîcheurs les chaumières qui bordent son pourtour. Les nostalgiques se souviennent d’un long espace parsemé d’arbres et rendu plus hospitalier par les gazouillements des oiseaux de toutes espèces. Une véritable beauté sauvage. Le temps d’un ramadan les jeunes venaient s’abriter sous l’ombre exquise des feuillages touffus. Ce beau paysage fait désormais place à une plaine rase. Au fil des années, les autorités ont abandonné cet espace vert à la cupidité des bûcherons qui ont déboisé l’essentiel du domaine. En 2008, coup de théâtre ! L’espace vert morcelé et distribué. « L’ancien maire Maniang Faye a octroyé en catimini des parcelles sur ce site classé. Ceci en violation de l’esprit et des textes qui ont institué ce poumon vert », accuse le maire Aminata Mbengue Ndiaye. Interrogés, les conseils de l’ancienne équipe municipale assurent qu’il n’existe aucune délibération qui a statué sur l’octroi de ces terrains.
Or, la délibération de cette instance dans l’affectation de parcelles reste une exigence du Code des collectivités locales. El hadji Modou Fall est le plus « chanceux » de tous les propriétaires de terrain sur la bande verte. Sa société « Souris Immobilier » a bénéficié à elle seule de 6,960 hectares, la presque totalité. L’attribution de cet immense patrimoine foncier à un seul privé révulse beaucoup de Lougatois qui peinent à avoir un lopin de terre dans la commune. Quant au promoteur, il prévoit de construire un marché, 147 logements et un hôtel. Sur le site, il a démarré ses activités, en dépit des multiples protestations. Du bois mort, des briques, du béton et des tas de sable jonchent le sol. Cette attribution dénoncée par des habitants de la ville cristallise beaucoup de tensions.
Violation flagrante
La bande verte est le résultat d’une politique globale d’urbanisme. Louga fait partie des rares villes du Sénégal disposant d’un plan directeur d’urbanisme. Celui-ci qui date de 1978 organise l’occupation du sol en zone d’habitat, zone industrielle, zone d’extension, zone verte et zone non aedificandie. C’est dans ce cadre que la bande verte s’étalant sur deux kilomètres de long et cent mètres de large a été aménagée lors de l’exécution du programme spécial indépendance de 1982. Un travail titanesque qui a nécessité le déguerpissement pour cause d’utilité publique de 150 familles, relogées dans des zones périphériques, notamment à Artillerie et à keur Serigne Louga. « Pour réussir le pari environnemental, l’inspection régionale des eaux et forêts a affecté deux camions pour arroser régulièrement les arbres durant 5 ans. Ils ont fait de cette espace un véritable poumon vert de Louga », témoigne un agent des eaux et forêts à la retraite. Aujourd’hui, l’actuelle équipe municipale dénonce l’octroi irrégulier de ces terres. Selon Aminta Mbengue Ndiaye : « le terrain en question fait partie de la bande verte définie par le plan directeur de l’urbanisme de la ville. Par conséquent, aucune cession par voie de bail ne peut être faite sur ledit terrain sans pour autant que sa vocation première ne fasse l’objet d’un changement de destination ». Elle ajoute que ceci doit « obéir à une procédure administrative, ne serait-ce que par respect du parallélisme des formes ».
Or, aucune décision en ce sens n’a été prise à ce jour pour les autorités compétentes. Ce projet en phase d’exécution n’a pas encore « obtenu, ni l’approbation des populations ni l’avis favorable du conseil municipal, encore moins du conseil régional. Alors que ces étapes restent une exigence rigoureuse des dispositions du Code de l’urbanisme », explique un conseiller sous couvert de l’anonymat. Nonobstant ces griefs, le promoteur continue son chemin. L’année dernière, il a introduit une demande d’autorisation de construire qui a été refusée par le conseil municipal. Dans une lettre en date du 4 avril 2010, le maire explique au chef de la division de l’urbanisme et de l’habitat et au ministère des Finances, les motifs de son refus. Elle évoque « le non déclassement de la partie du site, objet du bail pour un projet incompatible avec sa vocation première et l’absence de l’avis du bureau autorisation de construire des services d’urbanismes ». D’autres points également sont ajoutés dans la lettre, particulièrement « l’opposition farouche des populations déguerpies du site, pour la construction de l’assiette, pour cause d’utilité publique qui ne peuvent admettre la réaffectation partielle d’une partie de la bande verte, à un privé pour réalisation d’un projet personnel non-conforme à sa vocation et dont les tenants et les aboutissants ne sont pas transparents ».
Les populations qui étaient victimes de la vague de déguerpissement se sentent aujourd’hui trahies par les autorités. « Quand nous avons appris cette histoire nous avons senti que la mairie nous avait déplacé pour des motifs légers. Nous étions 150 familles frappées par cette décision alors qu’aujourd’hui on revient attribuer toute cette terre à une seule personne. C’est une injustice », persifle Abdoulaye Ndiaye, père de famille déguerpi en 1982. En 2010, une marche a été initiée par les jeunes pour dénoncer l’attribution de ces terrains. Actuellement un comité pour la défense de la bande verte est en gestation. De l’autre côté, le promoteur El Modou Fall brandit des documents signés par les autorités compétentes à savoir, la mairie, la direction de l’urbanisme, la direction des Impôts et domaines, le service d’hygiène et la Préfecture. Il estime que le refus du Maire de signer l’arrêté est motivé par des raisons politiques. « Aminta Mbengue a refusé de signer les documents parce qu’elle m’en veut personnellement pour avoir soutenu son challenger, Maniang Fall. Elle dit à qui veut l’entendre qu’elle est prête à démissionner de son poste si le terrain m’est attribué », se défend M. Fall. Concernant la question environnementale, le promoteur estime qu’il ne s’agit pas de bande verte. « Il n’y a pas de bande verte, lorsque je prenais le terrain tout était déjà déboisé. Je n’ai coupé que 12 arbres pour effectuer mes travaux », soutient-il. L’homme d’affaires a attaqué la mairie devant la Cour suprême. Celle-ci a cassé la décision de la municipalité pour vice de forme car, le document n’a pas été transmis au Préfet.
Boulimie foncière
Louga est confrontée à une pression foncière. Le périmètre communal ne parvient plus à contenir la croissance démographique galopante. Le décret pour l’extension du périmètre communal tarde à être signé depuis 2008. Les immigrés revenus d’Europe quittent les villages environnants pour venir s’établir dans la commune. Cet exode ajouté à la poussée démographique a favorisé la montée en flèche du prix du mètre carré. A titre d’exemple un terrain de 10 x 15 à proximité de ce site est vendu à 5 millions. Devant cette situation, la mairie obligée de construire des édifices publics pour répondre aux besoins croissants des populations, est de plus en plus confrontée à un problème de terres. En 2010, pour faire face à la pléthore d’élèves admis en classe de 6éme, la municipalité a voulu construire un collège. Mais, elle n’a pu trouver un site pour construire une école. « Nous étions obligés de louer une maison, en attendant de trouver un site approprié », explique Aminata Mbengue. D’autres projets d’utilité publique de la mairie dont les financements sont déjà bouclés peinent à trouver de sites pour les abriter. Il s’agit notamment de la construction d’un parcours sportif, d’un plateau multifonctionnel, d’une station de relèvement de la canalisation des eaux usées etc. Pour ces raisons, la municipalité souhaite exploiter la bande verte en cas de déclassement.
En revanche, face à la réticence du promoteur de céder une partie du terrain pour la réalisation de la station de relèvement, la mairie a pris un délibéré pour s’octroyer 200 m2. Cette décision suscite l’ire du promoteur qui indexe le préfet. « Je ne comprends pas comment le Préfet, Mame Gor Diop, qui a signé mon bail a pu approuver l’érection de la station sur le même site. Il existe d’autres site où la mairie peut installer ce projet », s’offusque M. Fall. Mais, dans une correspondance adressée au ministre de l’Economie et des finances, le maire souligne que « depuis quelques années, on a constaté des morcellements tous azimuts des réserves de la commune, sans tenir compte des dispositions du plan directeur et du Code de l’urbanisme ». Elle en veut pour preuve l’octroi du site devant abriter la caserne des sapeurs pompiers logée présentement dans un immeuble communal, la distribution de la zone d’extension du Lycée Malick Sall et de la pépinière régionale entre autres. Des agents des services techniques qui ont collaboré dans ce partage des terres en ont beaucoup bénéficié. Des documents confidentiels dont nous avons copie révèlent les noms de plusieurs agents techniques propriétaires de terres et qui ont servi à Louga. En attendant, l’arbitrage de la tutelle, le danger couve et des affrontements peuvent survenir à tout moment.
Réponse de Maniang Faye
« Le terrain appartient à l’Etat, je suis étranger à cette affaire » « Je ne suis ni de près ni de loin, impliqué dans cette affaire. C’est le Comité de Contrôle des Opérations Domoniales (CCOD) logé au ministère de l’Economie et des finances qui a octroyé ce terrain au promoteur. La mairie n’est informée qu’en aval. C’est pourquoi, il n’y a pas eu de délibération. Le terrain appartient à l’Etat donc, il ne revient pas au maire de procéder à son attribution. Le promoteur bénéficie d’un bail alors qu’aucun maire du Sénégal ne peut délivrer ce document. Cela explique que je suis étranger à cette histoire. Si j’avais attribué ce terrain, le promoteur n’aurait jamais raison devant la justice. Je pense objectivement que, même si le promoteur a avec lui un acte légal, il n’est pas légitime d’attribuer l’unique réserve foncière de 8 hectares à une seule personne. Elle risque de se heurter à la résistance des populations. On lui attribue gratuitement un terrain qu’il peut revendre facilement à 3 milliards. Je suis entièrement d’accord avec la position de l’actuel maire parce que nous avions identifié ce site pour abriter plusieurs projets de la municipalité. Des ingénieurs et des architectes étaient déjà consultés pour la réalisation de ces projets. De ce fait, le CCOD devrait consulter la mairie avant de déclasser et d’attribuer le site. La démarche la plus sage est d’organiser une discussion entre la mairie, les populations et le promoteur. Ce dernier doit accepter de céder une partie au moins 40% du terrain ».
Baye Makébé SARR, lagazette.sn