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Lumieres Sur Une Justice Aux Ordres: Lettre Au Magistrat Ibrahima Hamidou Deme par Dr Cheikh Tidiane Dieye

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Mon cher compatriote,
Vous avez adressé à son Excellence Monsieur le Président de la République une lettre annonçant votre démission du poste de membre du Conseil Supérieur de la Magistrature. Je vous apporte un soutien sans réserve. J’endosse votre acte ainsi que l’intégralité des arguments que vous mettez en avant. Le diagnostic que vous faites du système judiciaire est la réalité hideuse qui se donne à voir tous les jours. Il suffit d’observer dans le mode de fonctionnement, ou de dysfonctionnement, de cette institution centrale ou par les interstices de sa relation avec le pouvoir exécutif pour s’en convaincre.
Avancer l’argument, comme le fait le Ministre de la justice, selon lequel vous seriez tenu par l’obligation de réserve et que vous ne devriez pas communiquer est un faux alibi. Un alibi commode et facile par lequel les autorités, une fois encore, se cachent derrière leur petit doigt plutôt que de s’attaquer aux maux qui gangrènent cette prestigieuse institution dont certains des membres, tout comme vous, sont de valeureux sénégalais patriotes et progressistes. Ils attendent encore au sein de cette institution, hélas, des réformes trop longtemps étouffées sous la chape de plomb des calculs et intérêts politiciens.
La sortie du Ministre de la justice contre vous est regrettable. Oubliant que la justice est la propriété exclusive du peuple au nom duquel elle est rendue, le Ministre rue dans les brancards et tente d’imposer la loi de l’omerta au sein de l’appareil judiciaire. Ne sait-il pas que lorsque l’essentiel est en danger, parler et agir pour le changement deviennent un devoir pour tout patriote, à quel que niveau où il exerce dans l’appareil d’Etat? L’ingratitude vis-à-vis d’un pouvoir mal-agissant est une vertu. Préférer l’intérêt général à l’intérêt momentané d’une classe au pouvoir est un acte de devoir. Ceux qui ont fait comme vous dans la passé ont été sanctionnés. Vous le serez aussi, peut-être. Mais votre pays le vaut bien. La justice le vaut bien. Et demain il fera jour.
Vous avez tout mon respect. En refusant le silence de la compromission, vous mettez une apaisante baume sur le cœur de tous ceux qui aiment l’Etat de droit et œuvrent pour sa consolidation.
Qu’avez-vous dit qui n’ait déjà été dit? Voici vos propos:  » la justice traverse aujourd’hui une crise profonde, étroitement liée au manque de transparence dans le choix des magistrats. Ainsi constate-t-on, un traitement de certaines affaires, qui renforce le sentiment d’une justice instrumentalisée et affaiblit considérablement l’autorité des magistrats. Bien évidemment, la vitrine de la justice ne doit pas être une magistrature sous influence, mais plutôt une magistrature indépendante et impartiale, démontrant constamment dans ses décisions, que la justice est exclusivement au service de la vérité.
Pardi! Bien avant vous, la Commission nationale de réforme des institutions (CNRI) avait fait le même diagnostic de la séparation des pouvoirs: « Les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, théoriquement indépendants les uns des autres, ne sont en fait ni séparés ni équilibrés… On note une « prédominance du Président de la République » sur les pouvoirs législatif et judiciaire…Il peut décider de tout, sans que sa responsabilité soit réellement engagée… Le Parlement est trop largement soumis à l’influence du chef de l’exécutif; il n’exerce pas toutes ses prérogatives dans le vote des lois et dans le contrôle efficient de l’action du gouvernement… Le Pouvoir judiciaire, supposé indépendant, se retrouve sous une certaine dépendance au Pouvoir ». (Rapport de la CNRI, page 13)
Sur la justice en particulier, la CNRI a révélé que « l’indépendance de la Justice a toujours été formellement proclamée mais n’a pas toujours été vécue surtout en ce qui concerne les magistrats du parquet ». Or il est de notoriété publique, et en cela vous ne déflorez aucun secret, que seule une justice indépendante à l’égard des Pouvoirs législatif et exécutif est en mesure de garantir l’Etat de droit auquel nous aspirons, mais qui reste encore une vieille chimère.
Le Ministre de la justice a-t-il lu le diagnostic de la justice que le candidat Macky Sall avait fait dans « Yoonu Yokuté », lorsqu’il aspirait à gouverner le Sénégal? Ses propos d’alors ressemblent à s’y méprendre aux vôtres aujourd’hui:  » Mis sous tutelle du pouvoir exécutif, instrumentalisé par ce dernier et insuffisamment doté en ressources humaines et matérielles, le pouvoir judiciaire n’est pas toujours en mesure d’assurer pleinement ses missions dans l’impartialité et l’indépendance. » (Yoonu Yokkuté, 2012)
Rien n’a changé, ou presque, depuis ce diagnostic. Sur le fond, le pouvoir avait l’occasion d’appliquer de véritables réformes lors du référendum, lesquelles aurait permis de corriger tous les maux que vous étalez à juste titre. La CNRI lui en avait donné l’occasion à travers une recommandation consistant à revoir la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature pour en sortir le Président de République et le Ministre de la justice. Ainsi, présidé par le Président de la Cour Constitutionnelle, institution dont il fallait introduire la création parmi les points de réforme du référendum de mars 2016, le Conseil supérieur de la magistrature aurait eu plus d’indépendance, de marge et de légitimité pour gérer la carrière des magistrats et organiser le système judiciaire conformément à l’intérêt général et pour le compte de la Nation sénégalaise.
Dans une démocratie digne de ce nom, le pouvoir judiciaire est soustrait de l’empire du pouvoir exécutif ou du législatif. Les juges américains qui bravent les décisions de Donald Trump nous administrent la preuve de ce que doit être un magistrat conscient de son rôle social et historique. Ne méritons-nous pas autant que le peuple américain?
Vous, Monsieur Dème, avez choisi votre camp. Celui de l’intérêt général. Votre Ministre de tutelle, celui de son parti politique. Invitons vos collègues magistrats à en faire autant.
Honneur à vous Monsieur Ibrahima Hamidou DEME.
Votre compatriote, Patriotiquement.

LUMIERES SUR UNE JUSTICE AUX ORDRES: LETTRE AU MAGISTRAT IBRAHIMA HAMIDOU DEME
Dr Cheikh Tidiane DIEYE
Membre Fondateur de la plateforme Avenir Senegaal Bi Nu Begg

3 Commentaires

  1. Ah ! Ça c’est rassurant. Cela veut dire qu’il y a parmi eux qui ont encore la tête sur les épaules, qui n’ont pas bradé le principe pour le privilège. Je disais que quand la justice de Macky Sall aura fini son travail, la justice du Sénégal aura perdu son âme. Rassouloullah (SAS) disait: « Les peuples qui nous précédé, et qui ont été anéantis par la colère divine, l’ont souvent été surtout parce que les savants, parmi eux, ont commencé à se taire en regardant le mal se propager ». Dans une citation plus actuelle, Albert Einstein disait: « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent faire ». Ce que les intellectuels sénégalais doivent se rappeler, c’est qu’il n’y a jamais eu de dictateur, dans le monde, depuis le Pharaon jusqu’à ce jour, qui n’ait pas compris que dans le territoire où il doit appliquer sa dictature, il y a une catégorie de personnes qu’il lui faut d’abord s’acheter pour s’assurer de leur silence complice. Si Macky ne l’avait pas compris il aurait été un mauvais dictateur.
    Maintenant attendons les Yakham, Madiambal, la meute de Youssou Ndour ou de Bara Tall. Dans quelques jours ils vont nous titrer que Ibrahima Hamidou Dème était un coureur de jupons, par exemple. Parce qu’il a osé ne pas être d’accord avec le déni de la république déroulée par Macky Sall.

  2. Arguments clairs et limpides Dr. Dieye, merci.
    Bien vu xeme.
    Merci a tous les patriotes de ce pays, qui seuls batirons le future de ce pays pour les generations a venir. Le reste, comme les animaux sont trop occupés par la survie du moment.

  3. Un magistrat en exercice a une autre manière de se révolter.
    Il juge en âme et conscience, je veux dire il regarde les dossiers et donne systématiquement raison aux faibles à titre d’exemple :
    -Il refuse de mettre en examen Monsieur Abdoul Mbaye dans une affaire civile.
    -Il annule la radiation de Monsieur Sonko
    -Il refuse de mettre en détention de Bamba Fall pour une affaire politique qui n’a rien de pénal.
    -Il garde en prison un certain chanteur impliqué » dans une affaire de faux billets de banque ou libère en même temps son présumé complice.
    -Il met en détention un certain marabout tonitruant impliqué dans une affaire d’assassinat ou il met en liberté toutes les personnes concernées par cette affaire.
    -Il accède aux demandes de mise en liberté présenté dans une feuille de papier par des détenus sans aucun moyen d’avoir un avocat, car ces demandes sont aussi recevables.
    -Il ordonne la mise en liberté provisoire de toute personne détenue depuis plus d’une année, dès lors qu’il est saisi par cette personne ou son avocat.
    -Il ne prononce jamais la détention pour des pères de famille ayant des garanties de représentation et qui ne sont généralement poursuivis que pour des affaires civiles.
    Lorsque le colonel Aziz Ndaw a dévoilé des crimes très graves dans la gendarmerie il ne poursuit pas le colonel mais les personnes dénoncées.
    Lorsqu’un magistrat est enregistré dans un magnétophone en train de discuter de corruption, il ne poursuit pas le journaliste mais le magistrat.
    Tout cela pour dire que le magistrat a des moyens beaucoup plus efficaces pour se révolter : c’est faire son travail nonobstant les pressions voulues directement ou indirectement.
    Signé Maitre Ngala

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