Dans votre gouvernement et dans celui qui vous a précédé, je comptais des amis avec qui j’échangeais régulièrement par téléphone, courriel, SMS ou Facebook entre autres, sur beaucoup de sujets d’intérêt général. Tout se passait bien jusqu’au jour où votre choix s’est porté sur certains d’entre eux pour siéger dans la prestigieuse salle du Conseil des ministres. C’est à partir de cet instant que j’ai noté que les amis d’hier avaient changé de visage et de comportement. Comme beaucoup de Sénégalais, j’ai noté que la plupart de vos présidents d’institutions, ministres, Directeurs généraux et j’en passe, ne répondent jamais aux correspondances et coups de fil qui leur sont adressées par leurs compatriotes.
Dans la plupart des cas, vos ministres et DG se réfugient derrière une administration froide et impersonnelle ou se servent de leurs innocentes secrétaires comme boucliers humains, pour fuir leurs responsabilités et leurs obligations, face aux sollicitations quotidiennes des usagers de l’administration et des institutions de la République. Et si par hasard un citoyen anonyme débarque dans les locaux d’une quelconque administration publique pour une urgente raison personnelle, on lui oppose invariablement l’obligation de prendre un rendez-vous avant de pouvoir rencontrer le maître des lieux. Quand il téléphone pour prendre ce fameux rendez-vous, on fait semblant de prendre note en promettant de le rappeler, sans jamais le faire. Résultat : votre administration se transforme progessivement en une redoutable machine de fabrication de frustrés et de mécontents contre vous et votre gouvernement !
J’aurais pu vous donner des noms de ministres, DG et autres hauts responsables de votre gouvernement qui, quand ils étaient dans l’anonymat, étaient d’une courtoisie exemplaire ! Certains d’entre eux arrêtaient même leur véhicule ou traversaient la chaussée pour saluer les gens des deux mains. Mais voilà que ces mêmes personnes, dès qu’elles sont devenues ministres ou DG, par votre volonté, se sont métamorphosées en personnalités inaccessibles, hautaines, austères et discourtoises vis-à-vis de leurs anciens amis et autres citoyens sénégalais.
Ces personnalités nouvellement promues n’ont sûrement pas compris et retenu ce message que nous a légué le Président Lamine Guéye et que notre ami Elhadj Mansour Mbaye nous rappelle souvent : « Monter c’est facile, mais monter et rester soi-même, c’est ça qui est difficile »
Monsieur le Président de la République, l’expression « lettre morte » est pratiquement devenue une règle dans votre gouvernement. En effet, ce gouvernement ne répond plus ! Votre administration ne répond plus ! Même votre courrier « arrivée » n’est pas épargné par les lenteurs bureaucratiques. En effet, si je dois me fonder sur mon expérience personnelle et les complaintes que je glane ça et là à travers le pays, votre boite aux lettres est également victime du syndrome des « lettres mortes » générant ainsi autant de Sénégalais mécontents et frustrés de ne jamais recevoir de réponses de leur Président.
Monsieur le Président, à titre d’exemple je vous ai adressé une lettre en date du 16 juillet 2013, plus d’un mois après, je n’ai pas encore reçu de réponse. J’ai également adressé à votre ministre de l’Environnement et du Développement durable, une lettre en date du 20 février 2013, il n’a jamais daigné répondre à ce courrier. Enfin, j’ai adressé une correspondance en date du 16 juillet 2013 à la Présidente du Conseil Economique Social et Environnemental, mais jusqu’à ce jour, aucune réponse ne m’est parvenue de sa part. J’aurais pu vos fournir d’autres exemples…
Et pourtant, au temps du Président Senghor, l’administration était disciplinée. Elle respectait scrupuleusement les règles de la déontologie en la matière. La réponse au courrier des citoyens était sacrée. Senghor répondait presque à tout le monde et dans les délais les plus courts. Il exigeait autant de ses ministres. C’est ainsi que, quand la requête d’un citoyen exigeait une étude plus ou moins longue, le Président-poète lui adressait un accusé de réception sous forme de lettre d’attente. Ce qui était tout à fait courtois et rassurant.
La première lettre de Senghor, je l’ai reçue à l’âge de 24 ans. Il n’avait sous estimé ni mon jeune âge, ni mon rang modeste. La lettre en question portait la référence n° PR/DC1/000415 du 22 mars 1972. J’en ai reçu bien d’autres par la suite, en plus des audiences périodiques qu’il m’accordait, sans jamais me faire poireauter!
Monsieur le Président de la République, je voudrais vous inviter très respectueusement à rappeler à l’ordre votre gouvernement et votre administration, pour que leurs membres fassent preuve de plus de respect et de considération à l’égard des Sénégalais. Qu’il vous plaise M. Le Président, de leur imposer l’obligation de réserver chaque semaine, une journée d’audiences sans rendez-vous, afin de permettre aux Sénégalais qui le désirent, de les rencontrer sans formalité.
Chaque journée d’audience libre fera l’objet d’un rapport qui vous sera adressé avec ampliation à M. le Premier Ministre. Je suis persuadé que vous tirerez de ces rapports, des enseignements insoupçonnés. En plus de cette innovation, adressez des circulaires à vos ministres comme le faisait Senghor pour leur rappeler leurs obligations régaliennes et les bonnes manières de se conduire à l’égard du peuple sénégalais.
Enfin, je voudrais conclure ma lettre ouverte par ces propos courtois et élégants contenus dans une autre lettre que Senghor m’avait envoyée depuis Verson et qui porte le numéro 1037 du 22 mai 1984 :
« Cher Guéye. Ma confusion de répondre si tard aux félicitations que vous m’avez tout de suite adressées, après mon élection à l’Académie française, n’égale que ma gratitude pour votre geste.
C’est que mon élection a coïncidé avec des voyages pendant lesquels une partie de mon courrier, alors très abondant, a été retardé. Il s’y ajoute que vos félicitations étaient dans une chemise qui avait été égarée et que je n’ai retrouvée que ces jours-ci. Tout cela pour vous dire que vos paroles ont été parmi celles qui m’ont, le plus profondément, émus ma femme et moi. Elle se joint à moi, cher Guéye, pour vous assurer de nos pensées attentivement fidèles. ( L.S. Senghor). »
Moumar GUEYE
Écrivain
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