Moralisation de la vie publique sénégalaise
L’Angélisme Rose-Bonbon
De Monsieur « Propre »
Confrontés à la réalité du pouvoir, certains engagements électoraux majeurs du candidat Macky Sall se sont révélés être un véritable frein à l’épanouissement du président de la République dans sa volonté de moraliser la vie publique sénégalaise. Ainsi, aussi bien le souhait d’accélérer l’alternance démocratique que la nécessité de la reddition des comptes publics ne connaissent, pour le moment, l’issue souhaitée par le chef de l’État. Au risque de rater le coche, le Sénégal est en route vers des restrictions graves des droits humains.
La publicité à outrance dans le dossier de Abdoulaye Baldé renseigne sur le peu de respect du pouvoir de la dignité de la personne humaine : la politique d’une justice spectacle a ameuté des journalistes, avec la mise en branle d’une fourgonnette et d’une unité de gendarmerie pour aller cueillir une personnalité publique qui aurait répondu tranquillement à un simple coup de fil ou une convocation en bonne et due forme.
En bon droit dans une République qui respecte la dignité humaine, telle aurait dû être la procédure. La « disparition » de l’intéressé pendant tout le long week-end marial (15-17 août) sans autre conséquence (avis de recherche, mandat d’amener) prouve qu’en bon procédurier, Abdoulaye Baldé a refusé son enlèvement, le jeudi 14, pour finalement déférer, le 18, à une convocation, selon une procédure éculée testée sans grand succès trois jours auparavant.
En soi, ce vaudeville prouve la gêne du pouvoir à appliquer la jurisprudence Karim Wade : venu déposer ses réponses, il est cueilli et mis en garde à vue le jour même, avec le même mauvais scénario de série « B » qu’avec Baldé, le 14 août dernier, avant d’être déféré. Selon le grand manitou, maître de la cérémonie et des poursuites, les 3.000 pages étaient déjà un aveu de culpabilité ; avec Baldé, mille pages suffisaient à déclencher une profonde réflexion sur la démarche à suivre. Le spectacle du 14 août ne fait alors que renforcer ce sentiment diffus d’une justice injuste, appliquant des sentences en fonction de considérations non à la portée du premier venu et qui conforte les tenants de la thèse d’une appréhension émotive de la loi dans toute sa rigueur. Comme ces jugements de Cour qui vous rendent Blanc ou Noir.
Le dossier Baldé fait partie de l’engagement politique du candidat Macky Sall de lutter pour la moralisation de la vie sénégalaise ; celle-ci devait prendre le visage d’une accélération de l’alternance démocratique à la tête du pays par un séjour ne devant pas dépasser dix ans (contrairement à Wade qui jouait sur la durée du mandat présidentiel), et par un devoir de reddition des comptes publics pour les acteurs publics ayant à gérer des sommes importantes.
La remise à l’honneur de la Cour de Répression de l’Enrichissement illicite (Crei) rentrait dans cette logique, de même que la volonté d’écourter son mandat ; cette conception rose-bonbon des bâtisseurs de cathédrales devait aider le président de la République à réaliser ses vœux électoraux déclamés aussi bien au Sénégal qu’auprès de nos partenaires traditionnels au développement, en particulier la Belgique, la France et les États-Unis. Malheureusement, un décalage social n’a pas joué en sa faveur, trahi lui-même par une société qui rêvait de justice sociale et qui avait pour priorité une « Moralität » du raciste Hegel,…tant que Me Wade était au pouvoir.
Le pouvoir a en effet péché par excès en faisant de la lutte contre l’enrichissement un programme de gouvernement après le 19 mars, alors que la société avait décidé de solder son compte avec le clan Wade par les urnes ; la violence pré-électorale, révélatrice d’une boulimie du pouvoir de l’époque, s’est pourtant soldée par des élections pacifiques qui ont démontré la maturité et l’intelligence d’un peuple qui voulait rappeler à qui voulait encore en douter que le dernier mot lui appartenait. L’élégance avec laquelle il a isolé son candidat face au président sortant et aux autres candidats était déjà une manifestation de sa volonté de laisser Macky Sall seul maître à bord, aux dépens des majors traditionnels, professionnels de la politique politicienne. Malheureusement, le nouveau pouvoir n’a pas décodé le message,qui a voulu imposer par la fenêtre ceux que la société avait décidé de liquider : le principe éculé du soutien au candidat de l’opposition le mieux placé ne tenait plus avec le score de géant de Macky Sall qui doublait à lui tout seul les performances réunies de Moustapha Niass (13%) et de Ousmane Tanor Dieng (11%).
Passe encore, sur ce décalage épistémologique entre une société apparemment en avance et un domaine politique à la traîne ; mais les formes de lutte pour l’application des positions d’antan du président de la République posent problème : l’évolution sur des positions antérieures donne lieu à des supputations les plus variées, au moment où le questionnement social ne trouve pas de réponse satisfaisante. La sélectivité apparente des dossiers transmis à la Justice, la maturation d’une révision de la constitution qui se veut un problème personnel de Macky Sall cherchant à écourter un mandat sans toucher à la loi fondamentale amènent à se poser des questions sur la sincérité des positions antérieures testées à l’aune de l’exercice du pouvoir : les difficultés dans la gestion du temps et de l’espace social sous le nouveau président, les louvoiements d’un pouvoir en butte à un électorat qui le boude de plus en plus (législatives de juillet 2012 et locales de juin 2014, notamment) renseignent sur un sentiment de désillusion de franges importantes des populations sociales, au sens culturel du terme, devant un président élu mais insuffisamment outillé au Parlement et dans les instances électives locales. A la légalité d’une élection et à la légitimité de l’exercice du pouvoir, Macky Sall doit désormais allier une légitimation sociale des actes de souveraineté qu’il entend poser.
Pathe Mbodj