Le Président de la République a pris de bonnes mesures sur le plan de la riposte macroéconomique face aux effets de la pandémie qui « en nous mettant à l’épreuve » nous fait faire ce qui devait être fait même sans la crise. Le creusement du déficit associé au remboursement des arriérés de l’état répond à la critique que nous avions formulée sur le programme du FMI publié en janvier 2020 « Programme Sénégal-FMI : Décryptage et Paradigmes à Revoir ». Il est également en ligne avec les recommandations que nous avions formulées dans notre tribune intitulée « Organiser la résilience systémique à la crise » au vu de notre contrainte monétaire qu’il faudra lever dans une deuxième phase et qui nous imposait une riposte budgétaire d’envergure financée par le FMI, les bailleurs, et les banques. Les mesures fiscales nous semblent également appropriées, de même que le programme de garantie de crédits bancaires responsabilisant qui de droit. Par ailleurs, le Ministère des Finances devrait profiter de l’effacement de la dette fiscale pour préparer une réforme fiscale d’envergure en 2021 dans le cadre du programme « Yaatal » et réduire les taux et types d’impôts afin d’élargir l’assiette fiscale à tous. Le Ministère de l’Economie quant à lui devrait travailler à l’élaboration d’une stratégie de résilience systémique au-delà de la crise. En effet, les options stratégiques du Plan Sénégal Emergent ne renforcent pas notre résilience puisque ce sont des plans locaux dans la diversité qu’il aurait fallu et comme nous l’avons argumenté ailleurs, une économie basée sur des PMEs du secteur informel plus productives.
Sur le plan social cependant, nous aurions préféré comme nous le disions, un transfert de cash de 25000 FCFA à chaque sénégalais adulte ou les 6 millions ayant une carte d’identité pour un montant de 150 milliards. Un kit alimentaire assorti de paiements de factures est un plan de « résistance » spécifique et non de « résilience ». La résilience est le résultat de réactions diverses et appropriées à nos échelles individuelles et collectives contre des chocs et selon nos circonstances. Avec un transfert de cash, le montant par famille aurait ainsi varié et la dépense en fonction des besoins qui ne sont pas nécessairement des vivres de soudure, et aurait indirectement soulagé certains sénégalais dans la diaspora qui sont des soutiens de famille au Sénégal. L’effet macroéconomique aurait également été systémique et pas seulement dans le secteur de l’alimentation moins touché dans la conjoncture d’une économie au ralenti mais sans confinement. Le secteur informel au cœur de notre économie en aurait également davantage profité.
Le Président de la République a néamoins fait dans le compromis en tenant en compte des thèmes chers à son opposition : « mettre l’humain au cœur du développement » ou encore la « souveraineté alimentaire », mais la liberté à laquelle il a appelé pour que nous réalisions notre destin ne sera pas pour bientôt. En effet, nous ne partageons pas, en ce qui concerne le Sénégal, que notre dette bilatérale et multilatérale soit effacée, même si tel peut être le cas pour d’autres états africains fragiles.
Le Sénégal a dépassé ce stade et a argumenté que son endettement extérieur en devises de ces dernières années était nécessaire et bien utilisé pour une croissance future et du pétrole en perspective. Tel n’était pas le cas et nous avons encore la possibilité de changer de cap pour ne pas répéter l’histoire et effectivement réaliser notre destin dans la responsabilité sans tendre la main à autrui. Les bilatéraux représentent des peuples libres et dignes et nous voulons que nos enfants aspirent à la même chose. Les multilatéraux sont des banques dont nous nous aurons besoin dans le futur. L’appui que le FMI vient de nous octroyer dans un contexte où nous ne lui devions presque rien par les efforts du sénégalais lambda est un appui normal pour tous les pays du monde qui doit nous être disponible à nouveau demain. Seul un moratoire nous semble approprié pour le Sénégal, et encore, car ce dont nous avons besoin c’est de substituer la dette extérieure en devises en une dette en monnaie nationale détenue par des non-résidents investisseurs non bilatéraux et multilatéraux. Ces investisseurs ne prêtent pas à des états qui au moindre problème demandent des effacements de dettes du fait d’une mauvaise gestion en périodes favorables et sans les instruments de gestion macroéconomique, notamment la monnaie. En effet, ce ne sont pas des effacements de dettes qui sont sollicitées par les entreprises auprès de nos banques privées et à la BCEAO, mais bien des rééchellonnements et reports d’échéances.
Nous préférons également une révolution agricole à une souveraineté alimentaire. Une grande productivité agricole peut nous garantir la sécurité alimentaire sans passer par une politique d’autosuffisance alimentaire potentiellement inefficace. Pour ce faire, nous invitons nos autorités à mettre en œuvre une réforme foncière d’envergure dans le cadre d’un nouveau plan national d’aménagement du territoire et de plans locaux complémentaires. En effet, la finalité de la production dans une économie monétaire et d’échange et non de subsistance n’est pas la consommation propre des producteurs (individuellement ou collectivement) mais la vente pour des revenus. La finalité est l’obtention de revenus pour pouvoir se procurer ce que l’on désire d’où que ça puisse provenir tout en garantissant la sécurité alimentaire. Dans cette perspective il nous est même possible de garantir un revenu minimum à notre population rurale qui n’est pas obligée de travailler la terre qui continuera à lui appartenir, mais exploitable par des usufruitiers plus efficaces qui maitrisent les chaines de valeur. Nous l’avons argumenté dans notre contribution intitulée «Un Revenu Minimum Garanti pour une Révolution Agricole » qui inciterait nos agriculteurs dans leurs localités aux cultures vivrières à cycles courts.
Réalisons notre destin, réellement libres, après 60 ans d’indépendance. Cette liberté nous ne pourrons l’obtenir sans passer par l’épreuve du fer comme l’a dit le Président de la République, donc celle de la rupture. Comme nous le disions à la veille de la Présidentielle de 2019, « Optons pour un Sénégal qui prend son destin en main pour découvrir ce qu’est ce destin avec courage et foi ».
Ce destin nous ne pourrons le découvrir libres sans l’inclusion financière de notre population dans une monnaie compétitive dans le contexte d’un environnement de liberté économique et une décentralisation autonomisante et responsabilisante de pôles régionaux résilients et librement solidaires. Nous avons travaillé dans ce sens sur un projet novateur et structurant, l’avons exposé aux autorités monétaires qui n’ont pas émis d’objection (www.sofadel.com). Nous l’exposerons aux autorités et à la classe politique pour bâtir un consensus qui permettra à nos PMEs et nos collectivités locales de réaliser leur potentiel sans tendre la main à autrui.
Bonne fête de l’indépendance
Dr Abdourahmane Sarr
Président CEFDEL/MRLD
Moom Sa Bopp Mënël Sa Bopp