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Mariam Sankara : « L’idéal de Thomas Sankara est plus que jamais vivant dans le cœur des Burkinabè »

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Le « pays des hommes intègres » n’avait pas connu pareille agitation politique depuis le 4 août 1983. Ce jour-là, au terme d’une révolution à la fois militaire et civile, Thomas Sankara et son compagnon le plus fidèle, Blaise Compaoré, prenaient la tête de ce qui s’appelait encore la Haute-Volta. S’ouvre alors une période pleine de promesses qui s’arrête brutalement, le 15 octobre 1987. À cette date, Sankara trouve la mort, trahi par Compaoré, qui prend le pouvoir et en profite pour mettre en place un des pires régimes du continent africain (sous bienveillance française). Mais après vingt-sept ans de règne, les choses se retournent enfin contre le dictateur. Car jeudi 30 octobre, le Burkina s’est insurgé contre le régime : l’armée a annoncé elle-même la dissolution de l’Assemblée nationale et la mise en place d’un gouvernement de transition, plaçant Blaise Compaoré devant le fait accompli. Le président, qui a promis à la population qu’il ne chercherait pas à se représenter aux futures présidentielles, a dénoncé « une confusion générale au sommet de l’État ».
Nous avons souhaité reproduire ici une interview de Mariam Sankara, la veuve de Thomas, datant de 2007, à son retour au Burkina Faso et dix ans après avoir porté plainte pour l’assassinat de son mari. Elle exprime notamment son envie de voir enfin la vérité éclater sur les conditions du meurtre de son défunt mari.

Rémi Rivière : Après vingt ans d’exil, quel est votre sentiment au lendemain de votre retour au Burkina Faso ?

Mariam Sankara : J’ai l’impression d’être partie hier. Mais j’ai été très émue à mon arrivée. Je ne m’attendais pas à trouver autant de monde. J’ai trouvé une foule impressionnante de personnes qui ont témoigné leur sympathie pour mon mari. Cela m’a vraiment fait chaud au cœur. Je me suis rendu compte que l’idéal de Thomas Sankara est plus que jamais vivant dans le cœur des Burkinabè. J’ai vu cette jeunesse qui marchait à côté de ma voiture et m’a raccompagnée jusqu’à mon domicile. C’est vraiment impressionnant.

Vous saviez pourtant que votre mari est toujours présent au Burkina ?

Oui mais cela fait vingt ans que je suis partie, et je ne m’attendais pas à autant de ferveur. Je sais que chaque année se tiennent des commémorations, mais en voyant l’accueil des gens, cela donne de l’espoir.

Vingt ans après comment expliquez-vous cette ferveur ?

Les gens ont compris que le message que délivrait Thomas est important pour le Burkina Faso. Et que c’est un message dont le peuple et la jeunesse ont besoin. Par ailleurs, ils ont vu également d’autres personnes à l’œuvre pendant vingt ans, et cela n’a pas changé leur situation. Ils regrettent donc Thomas et son message.

La presse burkinabè posait la question de votre sécurité. Vous-même vous sentez-vous en sécurité ici ?

Pour l’instant je suis avec les camarades sankaristes qui assurent ma sécurité. Mais je n’ai rien remarqué de particulier. Je suis chez mon frère et je me sens en sécurité sous cette garde.

 

Votre venue ici est-elle également une façon d’appuyer la demande de procès que vous réclamez depuis dix ans, à la faveur de la décision récente du Comité des droits de l’Homme de l’ONU ?

Je demande toujours justice. Je veux que justice soit faite. J’espère que les camarades ici vont m’appuyer dans ce sens. J’espère aussi que l’État burkinabè ira dans le sens des recommandations faites par les Nations unies, que le dossier soit transmis en justice et qu’on puisse avoir la vérité. Et je crois que la vérité est très importante car elle permettra d’arriver à une réconciliation nationale. Aujourd’hui, on nous demande de pardonner. On ne peut pas pardonner si on ne sait pas ce qui a été fait. On veut bien pardonner mais encore faut-il savoir ce qu’il y a à pardonner. Je ne fais que demander justice. Et les Nations unies disent aujourd’hui que j’ai droit à cette justice. Il appartient au pouvoir de s’y conformer en respectant son engagement à ce pacte international. Du reste, je suis convaincue que l’impunité ne saurait se pérenniser sur ce crime. Tôt ou tard, la justice finira par aboutir car la vérité finit toujours par triompher.

Vingt ans après, une nouvelle génération émerge en Afrique. Quels sont les enseignements de Thomas Sankara et que reste-t-il de son héritage ?

Vous savez, la situation de la jeunesse aujourd’hui est davantage plus dramatique qu’hier. Voyez combien de nos sœurs, nos frères, nos enfants à la recherche d’un mieux-être sont engloutis par la mer. S’ils sont obligés de quitter nos pays, de braver l’adversité à chaque pas, de risquer leur vie sur chaque vague, c’est bien parce que chez eux, aucune perspective ne s’offre. C’est parce que leur pays a mal à sa gouvernance politique et économique. C’est tout simplement parce que chez eux, ils sont sans existence. N’est-ce pas pour éviter une telle situation que le combat dont Thomas Sankara était porteur prônait qu’une meilleure vie pour le peuple ne pouvait être que la résultante de ses efforts, ses sacrifices et sa capacité à organiser de façon endogène son développement ? Dans un de ses messages si je ne me trompe, Thomas a eu à dire que « là où s’abat le découragement s’élève la victoire des persévérants ». C’est une adresse forte à la jeunesse, à tous ceux qui luttent pour vivre mieux et autrement. Il s’agit de ne pas baisser les bras, de se libérer des chaînes et de prendre en charge soi-même son destin car personne d’autre ne le fera à votre place.

Propos recueillis par Rémi Rivière

Source : ThomasSankara.net

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