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Meissa Babou, professeur d’économie : «Si on ne change pas d’optique politique, la croissance n’aura aucune signification pour le peuple»

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L’équipe d’experts de la Banque mondiale (Bm) a décrit une situation peu reluisante de l’économie sénégalaise. Entre déséquilibres macro-économiques, croissance faible et hausse de la pauvreté, l’économie sénégalaise n’est pas en bon état, malgré le Plan Sénégal émergent (Pse). L’économiste Meissa Babou estime que la Bm a raison.

Selon la Banque mondiale, l’économie sénégalaise est marquée par une série de déséquilibres macro-économiques. Quelle lecture en faites-vous ?

Il s’agit d’un retard de croissance observé par la Banque mondiale (Bm), parce que le Sénégal n’est pas encore dans la moyenne africaine de 7 à 9%. Il s’agit aussi de retard d’investisseurs étrangers, le Sénégal est à -2%, là où la moyenne africaine dépasse les 7%. Mais ce sont aussi des dépenses que la Bm juge onéreuses, par rapport au ratio de la masse salariale, et aussi à la nature des investissements qui ne sont pas porteurs de progrès social ou économique. Sans compter les surcharges observées et décriées par le représentant de la Bm. C’est donc un ensemble de facteurs qui font que globalement le Pse est en souffrance, et ce Pse est peut-être justement le problème, ce que la Bm a dit de façon voilée.

Une croissance faible et instable a aussi été notée. Qu’est-ce qui l’explique ?

C’est en fait l’option politique qui est en cause, c’est le projet politique du président de la République que la Bm a mis à nu. Une croissance doit être, avant tout, équilibrée. Quand bien même nous sommes à 4%, cette croissance est extrêmement déséquilibrée. La Directrice du Fonds monétaire international (Fmi) nous a bien signifié que les ¾ de l’économie sénégalaise sont le fait des marchands ambulants ; autrement dit, l’économie informelle. Cela veut dire que si la croissance n’est rien d’autre que la résultante de sociétés qui ont atteint leur apogée et qui ne réinvestissent pas, à l’image des sociétés de téléphonie, de ciment ou des banques. Cette croissance ne peut pas être équilibrée. La croissance populaire qu’attend le peuple n’est pas dans ce que la Bm voudrait, c’est-à-dire une croissance qui partirait des segments comme l’agriculture, la pêche, le tourisme… En plus de cela, non content d’avoir une croissance déséquilibrée, on se permet de faire des surcharges de dépenses à des postes qui ne sont pas du tout clairs aux yeux de la Bm. Donc c’est l’option politique du président de la République qui est en cause. Si on y ajoute les investissements comme le Centre de conférences de Diamniadio, l’autoroute Thiès-Touba qui ne sont pas des urgences pour les populations, on voit nettement que la Bm a raison d’attirer l’attention. La Bm comprend parfaitement que le Sénégal est en train de se surendetter, même si elle n’a donné aucun franc, cela n’empêche qu’elle surveille les agrégats macro-économiques.

Concrètement, qu’est-ce qui a causé ces déséquilibres, à votre avis ?

Ce sont les mauvais choix, je pense qu’on devrait partir des bases de la société sénégalaise pour investir. Il faut que l’investissement soit porteur. Si on avait investi suffisamment dans l’agriculture, ou alors dans la formation professionnelle des jeunes, dans des secteurs qui pourraient porter l’émergence, on n’en serait pas non seulement à équilibrer la croissance, mais on ne ferait pas des investissements extrêmement lourds qui n’ont pas une conséquence économique et sociale, comme les Bourses de sécurité sociale, par exemple. Je crois que c’est une erreur de casting et il faudrait revoir la copie.

Qu’en est-il de l’augmentation exagérée des indemnités qui a également été relevée ?

C’est depuis que le Président a augmenté les salaires et indemnités de tout ce qui est député, membre du Conseil économique, social et environnemental (Cese)… Je ne vois pas une augmentation du côté des fonctionnaires qui mérite d’être commentée. Même la baisse des impôts était insignifiante parce que ça ne faisait pas 29 milliards de FCfa toute l’année, ça doit être l’équivalent de 2 milliards par mois, et c’est pour cela que ça n’a pas porté ses fruits. Et c’est la même chose avec la baisse de 100 FCfa du prix du carburant, quand l’Etat perd presque 100 milliards de FCfa dans une baisse qui ne lui rapporte absolument rien, n’ayant aucune conséquence économique et sociale, parce que les entreprises n’en bénéficient pas et les populations continuent de payer les mêmes prix pour le transport. Voilà ce que j’appelle des erreurs de casting. Pour moi, c’est une fausse route, ils sont en train de faire de la politique politicienne.

Le chômage, le sous-emploi et la hausse de la pauvreté ont aussi été pointés du doigt par la Bm

Mais c’est ce que la directrice du Fonds monétaire (Fmi) avait dit à l’Assemblée nationale de façon voilée. Selon elle, le secteur informel est le grenier de l’économie sénégalaise, il faudrait l’organiser et peut-être aller y chercher le bénéfice fiscal. Il sera difficile d’enrayer le chômage parce que la croissance n’est pas porteuse de progrès social ou économique. Quand la croissance vient de grandes entreprises qui ont atteint leurs limites de développement, c’est-à-dire qui font des profits sans réinvestir, cette croissance ne sert à personne. Si la croissance était le fait de Pme ou de petites entreprises de Baol-baol qu’on encadre et finance, ces entreprises pourraient se développer et recruter des personnes. C’est ce qui devait être à la base du développement du Sénégal. Raison pour laquelle je dis que c’est une mauvaise politique qui est en cause.

Au vu de tout cela, pensez-vous que le taux de croissance de 7% projeté dans le Pse pourra être atteint ?

Ce sera difficile d’atteindre 7% en deux ans, mais si on continue sur cette lancée, même si on atteint un taux de 6%, les Sénégalais ne verront pas les fruits de cette croissance. Ce sera toujours au bénéfice des grandes entreprises, qui multiplient leurs bénéfices et augmentent notre croissance de façon artificielle. Les 70% des populations qui sont au bas de l’échelle ne sentiront absolument rien de cette croissance. Si on ne change pas d’optique politique, la croissance n’aura aucune signification pour le peuple. A mon avis, ils ont démarré une politique à laquelle ils ont accolé le Pse, qui souffre de contenu, et eux-mêmes peinent à le comprendre. Ou alors ils ont des problèmes de mise à niveau de ce Pse.

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