Aïda Ndiongue, qui a reçu une mise en demeure hier, a trente jours pour justifier l’origine licite de ses biens estimés à 40 milliards par le Procureur spécial près la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei). Entre autres, cette fortune est constituée par ses maisons, bijoux, bons de caisse… Au cours de l’audience qui s’est déroulée entre 10h 30 et 13h, Alioune Ndao et l’un des conseils de l’ex-sénatrice, Me El Hadji Amadou Sall, ont failli en venir aux mains.
L’incident est parti des observations «salées» de Me Mbaye Jacques Ndiaye. Ce dernier s’est étonné que sa cliente fasse l’objet de trois procédures devant des juridictions différentes pour les mêmes volets et qu’en parlant d’«ancien régime» on n’ait pas précisé s’il s’agit de Senghor, Diouf ou Wade.
La mise en demeure de Aïda Ndiongue, qui a désormais un mois pour prouver l’origine licite de ses biens, n’est pas passée comme lettre à la poste. Un incident qui a failli virer aux coups de poings a opposé le tonitruant avocat Me El hadji Amadou Sall et le bouillant procureur spécial Alioune Ndao.
C’est l’une des observations de Me Mbaye Jacques Ndiaye qui a été à l’origine du fait insolite. Comme prévu et largement annoncé dans la presse, l’ex édile des Hlm s’est présenté hier matin devant le Procureur spécial près la Cour de répression de l’enrichissement illicite Alioune Ndao. Il y avait dans la salle les conseils de Mme Ndiongue : Mes Moustapha Diop, Borso Pouye, Seydou Diagne, Mbaye Jacques Ndiaye, El Hadji Amadou Sall, etc.
Le procureur spécial a demandé au greffier de lire la loi n°81-53 du 10 juillet 1981 relative à la répression de l’enrichissement illicite.
L’INCIDENT EST PARTI DES OBSERVATIONS DE ME MBAYE JACQUES NDIAYE
Lorsque le greffier a fini de lire les dispositions de la loi, il a demandé aux conseils de Mme Ndiongue s’ils avaient des observations à faire. Me Mbaye Jacques Ndiaye ne s’est pas fait prier pour demander la parole. D’entrée, il a fustigé le fait que dans le procèsverbal de demande d’ouverture d’enquête destiné aux gendarmes de la section recherches de Colobane, il ait été demandé aux pandores de vérifier si les biens répertoriés au nom d’Aïssatou Ndiongue existaient «avant l’ancien régime».
Me Ndiaye a fait remarquer au procureur spécial qu’il y a eu les régimes de Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et qu’aucune précision n’a été faite pour savoir lequel de ces trois magistères est concerné. Si c’est celui d’Abdoulaye Wade, il fallait le préciser noir sur blanc. A moins que le dossier ne soit purement politique et que les gendarmes ne soient aiguillonnés pour voir si Aïda Ndiongue n’est pas un prête-nom…
Ne s’en tenant pas à cette remarque, Me Mbaye Jacques Ndiaye a fait part de sa surprise de voir sa cliente faire l’objet de trois procédures différentes, toutes pendantes. La même Aïda Ndiongue a une procédure devant le doyen des juges d’instruction qui l’a mise sous contrôle judiciaire, le deuxième cabinet pour sa fortune présumée estimée à 47 milliards, et maintenant devant la Crei.
TROIS PROCÉDURES, MÊMES VOLETS POUR UNE PERSONNE
Et ce qui étonne le plus Me Ndiaye, c’est que les délits portent toujours sur les mêmes volets : bons de caisse, emprunts obligataires, bijoux. Pourtant, a plaidé Me Ndiaye, leur cliente n’a jamais géré des biens publics, ce qui le conforte dans l’idée qu’il s’agit d’une affaire politique…
A cet instant, le sang du Procureur spécial qui visiblement s’efforçait de rester zen face aux «observations» du conseil ne fait qu’un tour. Il était environ 11 heures 30 lorsqu’il a interrompu Me Ndiaye en lui intimant de ne plus tenir de tels propos. Me El Hadji Amadou Sall prend alors la défense de Me Ndiaye en disant qu’il est libre de développer les arguments qu’il estime pertinents. Alioune Ndao perd alors son calme et lance à Me Sall: «Faites ch… Vous êtes impoli». Me Sall qui est loin du genre à tendre l’autre joue quand on le gifle, réplique : «Si vous répétez cela, je vous en…» L’adjoint d’Alioune Ndao, Antoine Diome tente de calmer les antagonistes.
LE PROCUREUR SPÉCIAL ALLAIT BOUDER
N’en pouvant plus, Alioune Ndao se dirige vers la sortie, décidé à bouder la mise en demeure. Les avocats se mettent en travers de son chemin et l’empêchent de franchir la porte. Le parquetier menace de porter plainte. Le Président de la Crei joue les sapeurs pompiers et invite tout le monde à retrouver son calme. Au bout de quelques minutes, on enterre la hache de guerre. Pour décrisper l’atmosphère, Alioune Ndao dit à Me Sall : «On va se retrouver dans mon bureau, boire du thé… ». Les avocats répondent alors qu’ils sont venus pour plaider leur dossier, pas pour plaisanter.
LES GRIS-GRIS DE LA TÊTE AUX PIEDS DE KARIM WADE
Un autre incident s’est produit hier. Alors qu’Alioune Ndao avait catégoriquement refusé de serrer la main de Karim Wade, les avocats d’Aïda Ndiongue ont conseillé à cette dernière de s’abstenir de tendre la main au Procureur spécial. Mais curieusement, lorsque l’ancienne sénatrice est arrivée, c’est le procureur lui-même qui lui a tendu la main. Alioune Ndao a expliqué son comportement d’alors face au fils de l’ex-président de la République par le fait que ce dernier portait des gris-gris de la tête aux pieds. C’était donc pour éviter «les missiles mystiques» de Karim Wade qu’Alioune Ndao avait retenu sa main. A la sortie de l’audition, Aïda Ndiongue envers qui Alioune Ndao a manifesté beaucoup de respect, a confessé: «C’est un homme qui n’a rien sur le coeur».
DES MAISONS ESTIMÉES A 300 MILLIONS, DES BIJOUX A 3, 7 MILLIARDS, DES BONS DE CAISSE A 24 MILLIARDS
Appuyée par ses conseils, Aïda Ndiongue a plaidé son dossier. Au lieu des 47 milliards annoncés en grande pompe par le procureur de la République Serigne Bassirou Guèye, le parquet spécial a fait état de 40 milliards dans la mise en demeure. Cette fortune, de l’avis du parquet, concerne entre autres ses maisons estimées à 300 millions, ses bijoux à 3,7 milliards, 24 milliards en bons de caisse… A propos de ce dernier montant, le parquet a estimé que c’est une valeur de 19 milliards que l’ancienne sénatrice a achetée à 24 milliards. Les conseils d’Aïda Ndiongue prévoient de faire face à la presse dans les prochains jours.
Après la mise en demeure, elle a émis des réserves sur le fait que le parquet spécial n’ait pas tenu compte des biens issus de ses activités licites et prouvées par des documents. Bien avant d’être sénatrice, s’est-elle défendue, elle avait des bons de caisse. En 1988 déjà.
L’AS