Dans son réquisitoire transmis au Doyen des juges d’instruction de Dakar sur le dossier de l’Agence sénégalaise d’électrification rurale (Aser), le Procureur de la République met le doigt sur la somme de 5.172.451.371 F Cfa. Modibo Diop, Pape Diallo et Ibrahima Dieng, écroués hier sont considérés comme les auteurs principaux de détournement, escroquerie portant sur des deniers publics, faux et usage de faux en écritures privées et de banque, autour de cette somme. Ma Anta Thiam, Abdoulaye Diop et Fara Diallo, sous mandat de dépôt également, sont considérés comme des complices, en même temps que Cheikh Mbaye des « Entreprises Ma Anta » qui sera inculpé aujourd’hui. Il ne se trouvait pas à Dakar hier. Malgré les assurances à lui données par un ministre d’Etat, l’ancien D.G de l’Aser, qui combattait Pape Diop et Samuel Sarr, son ministre de tutelle d’alors, se retrouve en prison. Les conclusions de l’enquête de la Division des investigations criminelles (Dic), obtenues par L’As, se passent de commentaires.
5 milliards et plus de 100 millions de francs Cfa. C’est le montant que le Procureur de la République vise dans son réquisitoire transmis au doyen des juges d’instruction de Dakar, Mahawa Sémou Diouf. Réquisitoire à l’origine du placement sous mandat de dépôt, hier vers 19 heures, de Modibo Diop, ancien directeur général de l’Aser ; Pape Diallo, ancien directeur de l’Electrification rurale ; Ibrahima Dieng, ancien directeur des travaux d’électrification rurale et enfin Ma Anta Thiam, Fara Diallo Thioune et Abdoulaye Diop, tous trois agents de l’Aser. C’est hier matin que le Procureur de la République est monté au créneau pour transmettre six ordres de conduite en son parquet à la Dic. Dans la matinée, les enquêteurs ont effectué une discrète descente à l’Aser pour cueillir Ma Anta Thiam et Pape Diallo.
Convoqué par téléphone, Modibo Diop a été le dernier à se présenter dans les locaux de la Dic. Ce, a-t-il affirmé, en raison d’une « réunion à la Senelec » (l’ancien directeur général de l’Aser avait été embauché à Senelec en 2006 avant son détachement à l’Aser). C’est vers les coups de 18 heures 30 qu’ils ont été acheminés au parquet, avant que le Procureur ne les « confie » au doyen des juges, en même tant que son impitoyable réquisitoire. Ils auront néanmoins la chance de n’être pas passés par la cave.
Des réquisitions aux banques confirment le scandale financier
Le doyen des juges a ainsi placé sous mandat de dépôt Modibo Diop, Pape Diallo et Ibrahima Dieng pour détournement, escroquerie portant sur des deniers publics, faux et usage de faux en écritures privées et de banque portant sur la somme de 5 milliards et des clopinettes. Le reste a été inculpé pour complicité. Tous les inculpés ont contesté les faits devant le doyen des juges, après lecture des chefs de prévention. Une septième personne sera écrouée aujourd’hui, à moins qu’elle n’opte pour la fuite. Il s’agit de Cheikh Mbaye, patron des « Entreprises Ma Anta ». Convoqué par les enquêteurs, il a déclaré être hors de Dakar avant de promettre de se présenter aujourd’hui. Le Procureur a requis aussi le mandat de dépôt contre lui.
Vu l’importance du montant mis en cause, une consignation devenait presque impossible, même si Modibo Diop est interpellé directement sur 400 millions de F Cfa, selon des sources autorisées. Le préjudice de plus de 5 milliards retenu dans les conclusions de la Dic représente la totalité des malversations, marchés fictifs… constatés formellement par les enquêteurs. Le trou dans la gestion a été chiffré à plus de 2,220 milliards de F Cfa.
L’enquête rondement menée par la Police judiciaire a été sanctionnée par des réquisitions de banques qui sont venues confirmer les faits établis lors des investigations. Des marchés fictifs dans le cadre des travaux d’aménagement intérieur, notamment d’électrification de 300 villages dont 100 villages en 2008 et 200 en 2009.
Pape Diallo, le cosignataire des chèques, met tout sur le compte de Modibo Diop
Pis, alors qu’un budget a été établi pour ces travaux, les fonds ont été puisés dans d’autres rubriques avant d’être maquillés. Un détournement d’objectif dénoncé dans le rapport de la Dic. Ce, en même temps que la violation flagrante du Code des marchés publics. C’est ainsi que des marchés qui devaient passer par appels d’offres ont été fractionnés. Cheikh Mbaye, présenté par la Dic comme un homme de paille, a été l’un des bénéficiaires principaux de ces pratiques. Interpellé par les enquêteurs sur le non-respect du code des marchés et sur les faveurs accordées, entre autres à Cheikh Mbaye, Modibo Diop a affirmé sur procès-verbal que c’est compte tenu de l’urgence, vu les demandes des familles maraboutiques et la volonté du Président d’électrifier le maximum de villages, que les procédures n’ont pas été respectées. Des explications qui n’ont pas convaincu les enquêteurs qui parlent plutôt d’un système de copinage, surtout que la Dic ne manque pas de lister des sociétés fictives à qui des marchés d’études jamais exécutés mais payés ont été donnés.
Ancien directeur de l’Electrification rurale, Pape Diallo n’a pas manqué d’indexer Modibo Diop dans les procès-verbaux, tout comme Ibrahima Dieng. Une bizarrerie révélée par l’enquête est que les chèques mis en cause étaient cosignés par l’ancien directeur de l’Electrification rurale, au mépris des textes régissant l’Aser. Mais Pape Diallo a affirmé aux enquêteurs, après avoir précisé qu’il était juriste de formation, que ce sont des ordres que lui donnaient ses supérieurs et par conséquent, il ne pouvait pas refuser de les exécuter. Sur les marchés mis en cause et le système de copinage, Pape Diallo a encore évoqué des « instructions » de son patron, Modibo Diop. Des accusations réitérées par Pape Diallo, lors de la confrontation avec son ancien directeur général. N’empêche, les enquêteurs ont signalé dans leurs conclusions que le fonds de contrepartie de la Banque mondiale, estimé à 300 millions de F Cfa, avait été lui aussi détourné et utilisé à d’autres fins. Dans sa déposition en tant que partie civile, le directeur général de l’Aser n’avait pas manqué d’évoquer une lettre de la Banque mondiale qui s’interrogeait sur l’utilisation de ce fonds.
Ma Anta Thiam et Abdoulaye chargent leur ancien boss
Concernant le découvert bancaire à la Cbao de 1,6 milliard de F Cfa, Modibo Diop a expliqué aux enquêteurs qu’il s’agit d’un montage financier pour un dépôt à long terme devant générer des profits. Mais les enquêteurs pensent plutôt que c’était un moyen de « boucher » des trous de gestion.
Agents de l’Aser, Ma Anta Thiam et Abdoulaye Diop qui retiraient des chèques de l’Aser pour plus de 100 millions de F Cfa, ont indiqué devant les enquêteurs qu’ils étaient envoyés par Modibo Diop. Et qu’une fois ces fonds retirés, ils remettaient les montants retournés au directeur général de l’époque. Modibo Diop, dont la signature est bien visible sur les copies des chèques, a pourtant nié avoir envoyé les deux hommes de main. Évoquant plutôt des…primes. Des déclarations rejetées par Ma Anta Thiam et Abdoulaye Diop, qui ont juré n’avoir été que des commissionnaires de l’ancien directeur général. Et qu’en bons agents, ils s’exécutaient sans murmure.
X dans le collimateur du Procureur
Dans son réquisitoire, le ministère public, en dehors des personnes susnommées, vise aussi « X » qui devrait être identifié lors de l’instruction du Doyen des juges d’instruction. L’enquête de la Dic a décelé un certain nombre de faits susceptibles de mouiller d’autres complices. Il en est ainsi d’une subvention versée à une société de communication de la place, sans aucune base légale. Et de décaissements en faveur de particuliers et de « petits marabouts », dont certains ont été identifiés. Hier d’ailleurs, lorsque le dossier a été déclenché, des pressions énormes ont été exercées sur le ministre d’Etat, ministre de la Justice Cheikh Tidiane Sy. Des sources renseignent que le garde des Sceaux a été intransigeant, surtout que le président de la République avait lui-même béni le déclenchement du dossier, arrivé récemment au parquet après l’enquête rondement menée par la Dic. Pour autant, des sources judiciaires autorisées affirment que « la traque ne fait que commencer ». D’autres dossiers, les uns plus explosifs que les autres, sont en instance de procédure au parquet de Dakar. Et il est fort probable, comme le demandent certains responsables du Pds, que de « vieux » dossiers soient activés. Maintenant qu’un libéral, qui plus est membre de la « Génération du concret » (Karim avait rendu visite à Modibo Diop lors de la Korité), dort depuis hier à Rebeuss.Interpellé hier sur les faits reprochés à son « client », Me Ousmane Sèye affirme simplement au bout du fil : « Je ne suis plus son avocat ».
Cheikh Mbacké GUISSE
lasquotidien.com