Moussa Diaw, enseignant-chercheur à l’UGB – « Ce jeu d’alliances traduit un manque de consistance de la démocratie »

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La participation de l’opposition en rang dispersé aux travaux de la revue du code électoral met à nu un manque de consistance de la démocratie sénégalaise. Selon le Pr Moussa Diaw qui en fait l’analyse, le jeu d’alliance au gré des intérêts auquel se livre la classe politique pose un problème au sein des partis qui sont, ‘‘sans repères et sans idéologie’’. Dans cet entretien avec EnQuête, l’enseignant-chercheur en Sciences politiques à l’Université Gaston Berger de Saint Louis (Ugb) estime que la division survenue au sein de l’opposition traduit une pluralité qui n’est pas mauvaise en soi, mais montre toute son incapacité à s’unir autour de l’essentiel et à transcender ses divergences. Une situation qui fait les affaires du Président Macky Sall qui demeure jusque-là le maître du jeu politique.

Quelle lecture faites-vous de la situation politique sénégalaise où les alliances se font et se défont au gré des intérêts du moment ?

On se rend compte qu’il y a ce constat relativement à des alliances conjoncturelles, ponctuelles, au gré des circonstances. Cela traduit tout simplement un manque de consistance de la démocratie. Mais, aussi un problème au niveau des partis politiques sans repère idéologique et aussi avec des convictions peu profondes de la part de certains responsables et leaders politiques. Donc, en tout, ça montre quand même des difficultés de l’ancrage de la démocratie et du respect des règles du jeu démocratique. Cela explique tout simplement qu’on a une certaine conception de la politique qui renvoie à un certain nombre d’idées développées déjà par des théoriciens et qui consistent à penser la politique au travers d’alliances conjoncturelles pour un positionnement de pouvoir et la capacité d’accumulation de ressources. Ça rejoint tout simplement le ‘néo-patrimonialisme’.

Cette conception ‘néo-patrimonialiste’ de la politique est donc une réalité au Sénégal ?

C’est une conception classique de la politique, en Afrique. Mais, la politique ne se limite pas à cela. Elle ne se réduit pas seulement à une gestion néo-patrimoniale des ressources. C’est aussi un engagement. C’est à travers cela qu’on arrive justement à une réalité de la politique, à l’action politique noble qui consiste d’abord à un engagement par rapport à des idéaux, des principes et une idéologie. C’est cela qui manque à ces partis politiques. Il n’y a pas d’idéologie. Les convictions sont fragiles et s’illustrent en fonction des circonstances. Je pense que là, il va y avoir une recomposition qui permettra de mieux lire et de mieux pratiquer la politique, en fonction de l’engagement d’abord, et ensuite de répondre de façon idoine aux aspirations des populations.

C’est ce à quoi on arrive aujourd’hui, par rapport à ce dialogue national qui manifeste les difficultés des responsables politiques. Ils doivent d’abord incarner les règles du jeu démocratique et aussi s’imprégner de la pratique politique, conformément aux aspirations du pays ; par rapport aux ambitions des uns et des autres pour participer à l’effort de développement national.

N’est-il pas temps d’assainir l’espace politique ?

Je pense qu’au-delà de la nécessité de rationnaliser l’espace politique, il va y avoir aussi la nécessité de former les hommes politiques à la chose politique, de les sensibiliser sur le fait qu’ils sont là pour répondre aux sollicitations des citoyens et non pas pour des intérêts partisans ou particuliers. C’est ce à quoi on assiste d’ailleurs, avec la mise en place de pôles, au gré des circonstances. Parce que, ça traduit l’éclatement du Pds qui a perdu le père fondateur, du moins, qui se trouve éloigné de l’action politique, qui n’est plus présent. Donc, il ne joue plus son rôle d’encadreur, de chef charismatique qu’il a toujours joué dans l’espace politique sénégalais. Malheureusement, il n’est pas présent pour encadrer ses troupes, pour les aider à désigner parmi eux quelqu’un qui pourrait servir de leader afin de reconquérir le pouvoir. On assiste donc à une fragmentation. Il y a un regroupement qui vient de naître, à la suite du dialogue national.

Justement, est-ce que cette nouvelle dissidence ne traduit pas dislocation de l’opposition ?

Ce regroupement montre encore une fois toute l’incapacité de l’opposition à s’unir autour de projets. Cela traduit aussi des ambitions personnelles ou personnalisées. Cela veut dire qu’il devait y avoir une prise de conscience, parce qu’on est dans un espace de dialogue, un débat d’idées pour permettre à la démocratie sénégalaise de se consolider, d’avoir des hommes qui sont à la hauteur des enjeux. Mais aussi de répondre de façon efficiente aux besoins des populations pour que le Sénégal puisse se développer, s’épanouir et répondre justement à des enjeux internes et internationaux.

Pensez-vous que des partis comme celui de Modou Diagne Fada, Souleymane Ndéné Ndiaye ou encore Aliou Sow puissent être acceptés dans le pôle de l’opposition dirigé par le Pds ?

Ce pôle qui vient de naître va s’imposer. Au moins, il réunit trois personnalités politiques qui viennent du Pds. Il va y avoir des rivalités, ça c’est certain, entre ce nouveau groupe et celui dirigé par le Pds, parce qu’ils ne s’entendent pas. Il y a des rivalités de pouvoir, de personnes. Chaque groupe va essayer de se poser en leader de l’opposition. C’est là que réside leur fébrilité, parce qu’ils n’arrivent pas à dépasser leurs contradictions individualistes et s’inscrire dans une logique collective. On sera bientôt devant les enjeux des prochaines échéances et la nécessité de s’unir s’impose.

La confrontation est-elle inévitable ?

Bien sûr, il va y avoir une confrontation. Les deux pôles vont montrer leurs capacités de mobilisation et de création de progrès et de programmes. C’est justement là que les attendent les Sénégalais, parce qu’eux ont des aspirations, des besoins, des demandes. Ils attendent que ces projets puissent satisfaire leurs besoins. Mais cela ne se fait pas du jour au lendemain. Il nécessite beaucoup de temps et de travail au niveau du débat de fond, au niveau des idées, de la pratique politique et des structures qui sont mises en place. Il y a donc un enjeu important qui se dessine et qui va peut-être conforter l’opposition dans sa conquête du pouvoir.

Le pôle de l’opposition composé par les partis de Modou Diagne Fada, Souleymane Ndéné Ndiaye et Aliou Sow ont réussi à bloquer les travaux de revue du code électoral et contraint le Pds et ses alliés à la négociation. Peut-on parler d’un piège pour les contraindre à négocier ?

Je ne le pense pas. Dans tous les cas, ce groupe qui vient de se former a saisi l’opportunité de s’imposer, pour dire que c’est une alliance qui existe et qu’il faut désormais compter avec elle au niveau de l’opposition. Il n’y aura pas qu’un seul pôle. Il y en a deux, voire plus. Cela montre qu’il y a une pluralité dans l’opposition. Cette pluralité, sur le plan démocratique, n’est pas mauvaise en soi. Mais, il faut à un moment donné, qu’on puisse la mobiliser et la cristalliser autour d’un projet unique. Et c’est cela le problème justement. La conquête du pouvoir ne peut aboutir à une victoire que quand il y aura une union. Et il sera difficile de rassembler tous ces partis autour d’un seul projet.

Que risque l’opposition en étant si atomisée ?

Ils risquent de rester longtemps dans l’opposition. Sauf que quelques-uns vont être récupérés par le pouvoir. La majorité va essayer de récupérer ceux qui lui sont proches. D’ailleurs, on le voit déjà, il y a des appels, de temps en temps, à travers des discours et des prises de position. Tout cela montre la disposition de certains à  rejoindre la majorité présidentielle, dès que l’opportunité se présentera.

Cette situation est donc à l’avantage du président de la République ?

Tout à fait. C’est lui qui va engranger tout cela. Le maître du jeu actuellement, quand on regarde l’opposition dans ses manœuvres, c’est Macky Sall. C’est lui qui tire les ficelles et c’est lui qui va profiter de cette situation pour se renforcer et éventuellement reconquérir le pouvoir tranquillement. Parce que l’opposition n’est pas soudée et ne constitue pas un adversaire qui fait peur. Donc, elle sera facile à manipuler et à utiliser.

Est-ce que tout cela ne traduit pas une stratégie payante du Président Sall, si on sait que depuis quelques temps, il manœuvre beaucoup pour une dislocation de l’opposition ?

C’est du machiavélisme de la part de Macky Sall. Il connait ses camarades libéraux. Il connait l’opposition dans sa diversité. Il joue le jeu qui lui permet de réaliser ses ambitions. C’est cela le sens de la politique.

Dans quelle mesure la libération de Karim Wade va-t-elle contribuer à l’atteinte de cet objectif de déstabilisation de l’opposition ?

Pour la libération de Karim Wade, il y a eu beaucoup de spéculations, déjà. Mais dans tous les cas, sa libération peut constituer un atout de plus, une ouverture au dialogue et à l’apaisement. Mais aussi montrer qu’il (Macky Sall) a cette capacité de pardonner, parce qu’on est dans un pays musulman. On pardonne et puis on tourne la page, pour relever les autres défis. Justement, tenir un discours rassembleur qui lui permettra de jouer le rôle de maître dans l’espace politique.

Quelles pourraient être les retombées politiques ?

Renforcer son image, en tant que leader, en tant que chef de l’Etat doté de capacités politiques solides, engranger un certain nombre d’atouts. Ce qui lui permettrait d’être au-dessus de la mêlée, parce qu’ayant les ressources nécessaires pour gouverner tranquillement et ne pas être gêné dans ses projets.

Quels peuvent être, selon vous, les inconvénients d’une libération de Karim Wade ?

Il peut y avoir quelques contraintes, parce qu’il y a des engagements qui ont été pris, notamment, concernant la moralisation de la vie politique. C’est un discours de campagne qui, dans la réalité, est très difficile à réaliser dans notre pays. Faudrait-il que les hommes politiques s’engagent et soient imprégnés des règles de morale et d’éthique pour jouer un rôle dans le sens élevé de l’Etat ? Cela reste encore un travail difficile à réaliser mais avec la volonté et l’engagement d’une nouvelle élite politique, peut-être qu’on y arrivera un jour.

EnQuête

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