Se pourrait-il que Ndoumbélane soit le pays dont le principal génie est de
dénaturer ce que les autres ont créé ? En plus d’avoir battu le record d’amnésie
culturelle, le peuple de Ndoumbélane est également spécialiste du syncrétisme
sur les choses les plus précieuses et les inventions les plus progressistes. On leur
légué une république, ils en ont fait une véritable « publica privatis », une
république privatisée ou un jouet d’une caste qui tire sa gloire, son plaisir ainsi
que son patrimoine dans la colonisation de son propre peuple. Oui colonisation !
Ce sont des colons autochtones, des colons sur notre foncier, des colons sur nos
ressources naturelles, des colons sur notre conscience. C’est à se demander s’ils
aiment réellement leur peuple. Au lieu de s’employer scrupuleusement à
combattre la misère de leur peuple, ils sont plutôt préoccupés par des combines
pour se partager le pouvoir, quitte à soumettre les institutions à leurs désirs et
envies. Tels Étéocle et Polynice, finiront-ils en « cadavres » de l’histoire
politique de Ndoumbélane ou réussiront-ils à imprimer à ce peuple le destin qui
leur chante ?
La mythologie grecque nous donne une très belle métaphore de la malédiction
que vit présentement Ndoumbélane à cause de l’appétit du pouvoir, de la
trahison instituée en mœurs politique et de la transhumance comme culte. À la
suite de la révélation de l’inceste d’Œdipe, Étéocle et Polynice fruits du mariage
incestueux de ce dernier le chassèrent de Thèbes, mais ils furent maudits par
leur père qui leur prédit qu’ils se diviseront et mourront l’un de la main de
l’autre. Pour conjurer cette malédiction, les deux frères s’entendirent pour se
partager le pouvoir, c’est-à-dire, pour gouverner alternativement l’un après
l’autre. Mais les plans de Dieu ne peuvent nullement être perturbés ou infléchis
par les fourberies humaines. Une fois au trône, Étéocle refusa de le céder à son
frère, ce qui poussa ce dernier à lever une armée et, avec l’aide d’autres cités, à
combattre le pouvoir confisqué par son frère : tous les eux moururent aux portes
de la cité. Les deux perdirent la vie, l’un le pouvoir qu’il avait, l’autre le droit
aux honneurs et leurs parents la paix d’un deuil bien fait. La leçon de morale
qu’il faut en tirer est que les combines ne suffisent pas à garder un pouvoir, car
après tout, seul Dieu peut être le maître infaillible du destin des hommes.
Les gens de Ndoumbélane (comme le peuple de Thèbes) sont vraiment
malchanceux sur le plan politique. Ils sont confinés dans une culture de
l’informel et de la débrouillardise universelle par une élite qui, au lieu de penser
à soulager son peuple, est plutôt préoccupée à perpétuer son règne. Ce peuple
qui a tout enduré pour construire une démocratie a plutôt réussi la prouesse
d’instituer un système de conspiration où une esthétique politique de la laideur a
étouffé toute forme de génie positif et toute éthique politique. Le plus vil est
béatifié, le noble est combattu, les hommes de valeur sont ostracisés et les
criminels absous de leurs péchés. Ce peuple nanti de toutes les commodités en
est réduit aujourd’hui à vivre de restes, à être la poubelle du monde, les
charognards de l’humanité.
Dieu leur a donné une peau ébène, ils cherchent à la dépigmenter ; Dieu les a
bénis en les gratifiant de ressources naturelles immenses, ils en ont fait une
malédiction en les sacrifiant sur l’autel de leurs dieux incarnés (toubabs de
surcroit) ; on leur a donné un État, ils l’ont déchiqueté en mille morceaux ; on
leur a donné la voiture ils l’ont transformée en cercueil roulant ; on leur a donné
la télévision, ils en ont fait une bombe atomique pour la cohésion sociale ; Dieu
leur a donné la lumière et l’énergie naturelles (le soleil) ils l’abandonnent pour
s’exiler dans des pays qui n’en ont point ; la nature leur a donné de beaux
cheveux crépus, ils préfèrent aller couper ceux des morts d’outre-Ndoumbélane
pour greffer les leurs ; les Grecs ont inventé la démocratie, et à Ndoumbélane on
l’a pervertie en complot-cratie. Complot toujours, complot rek, complot
partout ! Le peuple de Ndoumbélane a été, depuis la nuit des temps persuadé,
par ses propres dirigeants, qu’il ne pouvait guère mériter le respect et la
redevabilité de ses élites. Tant qu’on est au pouvoir, on est autorisé à tout faire !
La seule chose que le peuple de Ndoumbélane a reçue sans l’avoir pervertie
c’est la langue de l’autre, et devinez pourquoi ? Parce que cette langue leur a été
imposée par la chicote. Tous ceux qui s’aventuraient à prendre des libertés par
rapport à la langue imposée se voyaient marqués du symbole de la
dégénérescence intellectuelle : vous ne pouvez être intelligents qu’en parlant la
langue d’autrui. Et vous aurez remarqué que depuis l’abolition de la chicote à
l’école, la maîtrise de la langue s’est à son tour évanouie. Et curieusement, c’est
cette langue qui les a humiliées et chicotés qu’ils tiennent en respect.
Le Casse-pied de Ndoumbélane