Nous avons lu et commenté pour vous une réflexion sur le recrutement des leaders à l’échelon gouvernemental. Leçons apprises du secteur privé (II)

Date:

Hiring Government Leaders. Lessons from the private sector. Geoff Smart, Maria Blair, and Jeff McLean. November 2020, American Enterprise Institute For Public Policy Research

L’une des plus importantes décisions et l’un des plus grands défis auxquels un Président nouvellement élu doit faire face est le « staffing » de son cabinet et la sélection des personnes et des dirigeants des services publics chargés de l’exécution des politiques et programmes publics et de l’accompagner. La structure de ce cabinet et la manière dont il est constitué augure des intentions de management, de formulation des projets et programmes, d’arbitrage et des modalités d’interactions avec les individus et les parties prenantes. Il annonce aussi le type de leadership et de gestion des talents qui sera privilégié. « Dis-moi quelle équipe tu as, je te dirais quel management et leadership entends-tu et peux-tu mener ? »

Les modalités de constitution de son équipe, de son entourage, voire de son cercle rapproché sont importantes pour le nouvel élu. Aussi, ce livre, sous la guidée du Dr. Geoff, connu comme l’un des plus grands experts au monde dans la sélection des talents, des cadres et des leaders, par des méthodes innovantes de recrutement est-il utile. Geoff et son équipe sont connus pour avoir formalisé plusieurs outils en ce sens, parmi lesquels:

Des fiches d’évaluation et tableaux de bord connus sous l’appellation de Scorecard dont la finalité est de décrire ce qu’un individu, voire un candidat est censé accomplir à travers une mission (1), des impacts (2), des compétences (3) ;
Un processus dit « sourcing » destiné à constituer un flux de candidats porteurs inspiré des bonnes pratiques de grands leaders soucieux de dénicher les talents chargés de les accompagner en puisant dans un vaste réseau issu de l’expérience de travail ;
Des entretiens structurés pour dépister les profils préliminaires des candidats portant sur des thèmes pertinents tels que les objectifs de carrière, les aptitudes ou lacunes professionnelles avérées, les positions antérieures dans d’autres structures, la vérification des références accumulées par le candidat ;
L’interview centrée sur le passé des candidats en tant qu’individus (Who’s Interview) en l’occurrence sur leur cheminement de carrière, leurs forces et faiblesses lors de ce périple, les influences subies, les raisons pour lesquelles ils ont été recruté ou ont quitté divers emplois, leurs erreurs et succès, etc. ;
Des interviews qui privilégient des domaines significatifs ou des questions particulières jugées importantes qu’il conviendrait d’élucider ;
Les interviews sur les références avec des enquêtes auprès d’anciens employeurs, clients, fournisseurs, écoles sur leurs relations et les contacts avec les candidats, leurs forces et faiblesses, les domaines qu’il semblait nécessaires d’améliorer à l’époque ;
Des modalités de « Vente du poste » au candidat en les motivant à s’engager ;
Des discussions pour susciter l’enthousiasme des candidats aux termes d’échanges sur les priorités en s’appuyant sur la fiche « Scorecard » et sur les relations qui ont influencé sa carrière et ses réalisations.

Geoff et Randy Street ont développé bien d’autres outils, notamment pour l’évaluation des qualités de leadership, etc. Cette expérience est mise à profit dans ce nouvel ouvrage. A cet égard, l’applicabilité au secteur public de ces techniques habituellement appliquées par les grandes entreprises de classe internationale est ramenée aux cas des cabinets ministériels et présidentiels et d’une manière générale, à la sélection de cadres supérieurs du secteur public. Geoff, avec ses co-auteurs, rappellent la nécessité d’une approche plus convaincante et robuste de « staffing » des membres des cabinets et de l’encadrement supérieur opérant au niveau de ces cabinets. Ils s’approprient les recherches menées pendant un demi-siècle par la psychologie industrielle et organisationnelle, convoquent leur expérience de plus de 25 ans de pratique professionnelle dans l’évaluation de dizaines de milliers de candidats à l’embauche dans de grandes organisations du secteur privé et à but non lucratif. L’expérience en conseils dans des processus de sélection au profit de Gouverneurs en exercice aux Etats Unis est aussi invoquée. Sur ces bases, les auteurs plaident pour une approche plus robuste pour la sélection des membres des cabinets et hauts fonctionnaires de l’administration.

L’ouvrage est novateur, du moins par rapport à des pays comme les nôtres, et rappelle qu’une sélection réussie reviendrait à déterminer ce qu’une personne doit accomplir au niveau du poste de travail (le Scorecard précité), à générer une liste de candidats (le sourcing sus-évoqué), à collecter des données valides et fiables pour pouvoir sélectionner une personne qui a au moins 90% de chances de remplir le rôle avec succès (les processus d’interview ci-dessus explicités) et convaincre la personne d’accepter l’offre d’emploi (la vente du poste de travail susvisée). Mais, les auteurs sont conscients que « pour de nombreuses raisons, les institutions politiques ne peuvent pas embaucher comme le secteur privé ». Cependant, une nouvelle administration présidentielle peut s’appuyer sur des approches rationalisées, inspirées des meilleures pratiques d’entreprises privées et escompter une meilleure performance de ses hauts fonctionnaires dans l’exécution des programmes gouvernementaux.

L’ouvrage propose ainsi quatre étapes concrètes de recrutement destinées à améliorer les résultats de l’administration en arguant que si la Maison Blanche utilisait de telles pratiques issues du secteur privé – tableau de bord, sourcing, interviews modélisés, sélection et vente – un Président peut s’attendre à un taux de réussite de la sélection estimée à 90% de candidats capables de réaliser les performances attendues.

L’ouvrage rappelle différentes doctrines comme celle de Ronald Moe qui défend que «le cabinet ne doit pas être considéré comme une institution de conseil politique, mais plutôt comme un levier de gestion caractérisé par la sélection de fonctionnaires capables et compétents qui garantit que la vision du président approuvée par l’électorat américain sera réalisée selon des normes les plus élevées possibles pour de meilleurs résultats. Selon l’ouvrage, le modèle de Moe pour les rôles d’un cabinet comprend les aspects suivants : (1) conseils politiques et de gestion, (2) résolution des conflits interministériels, (3) cohérence administrative, (4) assistance politique. » D’autres apports de politologues sont résumés par l’ouvrage, par exemple Nelson Polsby qui identifie trois approches philosophiques que les Présidents ont tendance à suivre pour sélectionner les personnes nommées par le cabinet en se fondant sur la segmentation en :
spécialistes dont les profils légitiment les choix effectués, connaissant et maîtrisant des contenus techniques, différentes alternatives programmatiques, les modalités de fonctionnement des services publics gouvernementaux;
cadres orientés-clients opérant au niveau du cabinet incluant des individus capables de former des coalitions et des alliances externes avec les parties prenantes;
généralistes qui ont des liens de confiance avec le Président, une présence dans les circonscriptions politiques ou des compétences en leadership exécutif.
Un autre modèle décrit dans l’ouvrage est la distinction de Thomas Cronin entre :
le cabinet «interne» composé des cadres supérieurs de la Maison Blanche, des Secrétaires d’État, de la Défense et du Trésor et le Procureur général «sélectionnés principalement sur la base de leur loyauté personnelle envers le président et servant en qualité de conseillers et de conseillers.
Le cabinet «externe» destiné à réaliser «un meilleur équilibre politique, géographique, ethnique ou racial».

En outre, l’ouvrage explore les mécanismes de sélection pour en montrer les limites et les améliorations possibles en examinant notamment trois questions centrales:
Comment un Président sélectionne-t-il les chefs de cabinet et les cadres supérieurs?
A quels niveaux les processus peuvent-ils et/ou doivent-ils être améliorés?
Quelles sont les méthodes de sélection à fort impact et qui garantissent une sélection fiable à hauteur de 90 % des cadres compétents susceptibles de réaliser les objectifs ?

On n’est plus dans une logique de « politique politicienne », mais dans une perspective de management des organisations, voire de management public, de gestion des performances et des talents. Il faut le reconnaître, une telle réflexion est importante pour des pays comme les nôtres qui ne privilégient que le critère supposé de la confiance – et encore- souvent soumise aux aléas politiques au niveau des cabinets, qui « politise » tout l’encadrement supérieur, la direction et la gestion des conseils d’administration, des entreprises publiques, etc. L’ouvrage illustre les modalités d’opérationnalisation de chacune des étapes de la Méthode A de recrutement qui pourrait ainsi être utilisée dans le secteur public pour une meilleure dotation en ressources humaines et hauts fonctionnaires, en quantité et qualité appropriées. Toutes les étapes qui font l’originalité de cette méthode sont documentées. A cet égard, les auteurs rappelant la nécessité de tenir compte du contexte et des spécificités, des contraintes de marges de manœuvre et d’autonomie, de délégation, d’affiliations politiques, etc.

En conclusion, le livre rappelle qu’il important, mais difficile, de choisir les membres et cadres supérieurs des cabinets. Les auteurs suggèrent des améliorations possibles au niveau des méthodes obsolètes, biaisées et peu fiables au cours des différentes étapes du processus de sélection et de recrutement. Mais, de bonnes méthodes de sélection des cadres, toutes seules, ne garantiront pas de bons résultats; d’autres considérations comme la manière dont le cabinet est géré sont importante. C’est en évitant certaines erreurs de sélection au niveau du cabinet qu’un Président peut mieux se préparer à un plus grand succès et éviter des d’embauches coûteuses et distrayantes. Par de telles améliorations, les contribuables obtiendront un meilleur retour sur investissement des dollars dépensés en salaires, de meilleurs résultats dans les relations internationales, les infrastructures, la justice, la sécurité, l’éducation, les soins de santé et la promesse de réaliser le rêve américain. Lorsque l’Exécutif recrute et développe des dirigeants talentueux, diversifiés, des leaders généreux et engagés, la capacité et le leadership de l’Amérique affirment davantage ses chances de contribuer à un monde plus sûr et plus prospère et une meilleure qualité de la vie humaine.

L’ouvrage renferme plusieurs annexes qui retracent les outils qui caractérisent la Méthode A du Dr. Geoff et de ses partenaires : les tableaux « Scorecard, de description de missions et des rôles, le sourcing, l’analyse des compétences, de supports pour les interviews, etc.

Un ouvrage, mais aussi un manuel de référence pour des leaders, les manageurs et réformateurs du secteur public, voire pour les gestionnaires des ressources humaines !

Abdou Karim GUEYE, ancien Directeur général de l’Ecole Nationale d’Administration et de magistrature du Sénégal. Inspecteur général d’Etat de classe exceptionnelle à la retraite,
Consultant international en Réformes, Gouvernance, Management, Surveillance. Conseiller en Gouvernance publique du Président Abdoul Mbaye et de l’Alliance pour la Citoyenneté et le Travail (ACT)

Lecture conseillées : Geoff Smart and Randy Street, Who: The A Method for Hiring (New York: Random House, 2008). Des mêmes auteurs : Power Score: Your Formula for Leadership Success.
Geoff Smart – Leadocracy: Hiring More Great Leaders (Like You) into Government

Lire l’introduction à cet article : « Organisation et recrutement au sein des cabinets présidentiels
et ministériels au Sénégal: genèse d’un modèle discuté », Abdou Karim GUEYE

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