En tournant le bouton de mon téléviseur, la semaine dernière, je suis tombé sur cette déclaration du président de la fameuse UMS (Union des Magistrats du Sénégal) dans laquelle, me semblait-il, il assimilait son association à un pouvoir : Nous sommes un pouvoir s’insurgeait-il ulcéré !
Cela me fit instinctivement pouffer de rire mais sentant la gravité de l’impact d’une telle déclaration sur les couches populaires (profanes) formant la majorité de la population, sur les praticiens du droit ( spécialistes) et sur la pensée politique de manière générale (les philosophes), je me ravisais immédiatement sans doute rattrapé par la gravité d’une telle revendication.
C’était quand même « le président » de la toute puissante et prestigieuse Union des Magistrats du Sénégal qui s’exprimait ainsi ! La paralysie du système judiciaire depuis quelque temps c’est bien lui et ses collègues!
Certainement, ce magistrat visait-il par « nous » le « pouvoir judiciaire » considéré par les théoriciens de « l’Etat moderne » comme le troisième pouvoir à côté du législatif et de l’exécutif. Comme chacun sait, une théorie, quelque soit son attrait par ailleurs, n’est jamais que la jonction d’une vue de l’esprit et d’une réalité donnée en vue de la satisfaction, de la transformation, ou de la production d’un schéma virtuel que l’on tenterait de substituer à une cible concrète bien spécifiée. La justice étant la première vertu des institutions qui composent le corps social, je discriminerai, ici, expressément le pouvoir judiciaire pour m’enquérir de ses revendication. En tenant compte du fait que La vérité doit constituer le soubassement de toute théorie ou systèmes de pensée, un magistrat sénégalais peut-il, se fondant sur notre constitution actuelle, défendre, à bon droit, une séparation rigide des pouvoirs?)
Si élégante et économique que soit une théorie, elle doit être rejetée ou révisée si elle n’est pas vraie ; de même, si efficaces et bien organisées que soient des institutions et des lois, elles doivent être réformées ou abolies si elles sont injustes soutenait le philosophe américain John Rawls dans sa « théorie de la justice ». Il concluait en disant que « la vérité et la justice ne souffrent aucun compromis ! »
La concrétisation d’une vue de l’esprit (une fiction), le passage du virtuel au réel à donné, de la théorie de Montesquieu sur la séparation des pouvoirs, la floraison des formes d’Etats que nous connaissons aujourd’hui.
Pourquoi n’existe-t-il pas, alors, un seul Etat à travers le monde qui ressemblerait à celui que nos honorables magistrats, par la voix de leur président, semblent vouloir imposer à notre pouvoir politique ? Devoir de résistance face à une injustice ou volonté d’affranchissement de la tyrannie de l’exécutif ? Droit ou vœu pieux ?
Mystère et boule de gomme ? Que non ! L’exigence de la séparation « rigide ou absolue » des pouvoirs, telle que prônée, aussi et à tue-tête par l’opposition regroupée au sein de « Benno » n’est pas simplement impossible à satisfaire du fait qu’elle est chimérique mais elle est surtout dangereuse : le risque de déchirure de l’Etat existe (des Etats dans un Etat!)
Je m’explique: commençons par des considérations sémantiques
Sachons d’abord qu’il y’a pouvoir et pouvoir ! Ce n’est un secret pour personne la langue française à des subtilités qui lui sont propres ! C’est donc la différence de qualificatif attaché à chaque terme qui en détermine la portée et le sens. Un pouvoir peut être ainsi originaire ou dérivé.
Le pouvoir originaire appartient au peuple souverain qui l’exerce par l’intermédiaire de ses représentants. Or le seul parmi les trois pouvoirs visés par les théoriciens de l’Etat moderne qui soit investi au suffrage universel est le pouvoir exécutif. Par conséquence la logique voudrait qu’une certaine prévalence soit admise en faveur de ce dernier en vue de faire régner ou respecter la volonté populaire. Veiller à la bonne marche du service public de la justice incombe aussi à l’exécutif ! Et Mr Cheikh Tidjanes SY garde des sceaux ministre de la justice agissant en bon républicain n’a pas eu tout à fait tort d’envoyer des « demandes d’explications » à nos magistrats boudeurs ! Sa démarche bien qu’innovante n’est pas à réprouver, au contraire elle est à soutenir et à encourager ! Il s’agit d’un acte de gouverner. La séparation n’élude pas la collaboration : la justice n’est pas cloisonnée, les pouvoirs ne vivent pas en vases clos ils sont communicants ! Le principe de l’indivisibilité de l’Etat implique et suggère un devoir, fut il non écrit, de coopération !
Le principe de séparation, comprenez l’agencement intelligent des fonctions vise, selon toute invraisemblance, à surmonter le danger de la souveraineté ! Il y’a dans la langue française des mots ou expressions qui sont de vrais « faux-amis » et l’expression « séparation des pouvoirs » en est un.
Chez qui vient-on se plaindre lorsque la justice est défaillante? Qui tient-on pour responsable lorsque les lois ne reflètent plus l’expression de la volonté générale ? Qui paie les défaillances des autres pouvoirs au moment de la sanction populaire ? L’exécutif pardi ! Et pourquoi à votre avis ? Eh bien par ce que la fonction exécutrice comporte la faculté « d’empêcher » c’est-à-dire la possibilité pour l’exécutif de se dresser contre tout dysfonctionnement qui menacerait le corps politique et l’intérêt général. (Méditez le cas Macky Sall lorsque confortablement installé par son parti sur le « perchoir » de l’Assemblée Nationale il entra en conflit avec ses camarades et refusa d’obtempérer à leur injonction, créant de fait une dyarchie au sommet de l’Etat; quelle ne fut rapide et foudroyante la réaction de l’exécutif ! Voir mon article…)
L’interpénétration des pouvoirs et leurs complémentarités constituent donc un gage d’efficacité gouvernementale. La préséance de l’exécutif est imputable, à juste raison, au fait qu’il est le seul à être l’incarnation du suffrage universel. Si de tels mécanismes n’existaient pas l’Etat aurait pu être paralysé, par exemple, dans l’affaire Macky Sall, de même que dans le cas qui nous préoccupe actuellement et ce pour une période que ne viendrait interrompre que le recours à une consultation du peuple et cela aurait été dommageable pour tout le corps social (risque de paralysie constante)
La fonction de « digérer » et celle de « penser » sont certes séparées mais elles s’intègrent toutes à l’harmonie du corps humain, ainsi en est il du corps social ses organes peuvent être considérés séparément mais tous s’organisent à l’effet d’atteindre une efficacité maximale dans l’intérêt du peuple.
Au sens de Montesquieu la séparation n’a qu’un but fonctionnel elle n’est pas absolue. Elle vise une plus grande rationalisation de l’efficacité de la puissance publique.
L’Etat est un tout indivisible et le mythe juridique de la séparation des pouvoirs restera toujours une utopie, un but à atteindre, un objectif vers lequel nous tendons sans cesse par ce que les humains sont des êtres imparfaits leurs œuvres seront toujours entachées d’imperfections mais c’est cette imperfection qui infère et laisse ouverte la notion de perfectibilité (rendre meilleur, mieux vivre ensemble, etc. prolifération des projets de sociétés et des offres politiques, etc.)
La compétition politique trouve sa justification et sa légitimité dans la conscience et la conviction qu’il est toujours possible de faire mieux et plus. Tous les hommes politiques sans exception aucune vous diront qu’ils sont capables de faire mieux et plus que leurs rivaux soit dans l’espoir de leur ravir les sièges qu’ils occupent ou de leur disputer le fameux « fauteuil » objet de tant de convoitises soit dans le but de conserver leurs avantages et attributs plus longtemps ! Tout comme « Polichinelle », « Démagogue » a aussi investi nos sociétés modernes mais c’est de bonne guerre !
Chut, oui mais ça aussi c’est un secret de polichinelle !
L’autre pouvoir reste, donc, un pouvoir dérivé de la fonction de gouverner qui incombe à l’exécutif détenteur du suffrage universel. Et c’est ce pouvoir dérivé que l’on vous a confié, cher président, et pour séparé qu’il soit de la fonction exécutive (pour des soucis didactiques ou pour des préoccupations de rationalisation de l’action de gouverner), il n’en reste pas moins fondamentalement et philosophiquement un authentique dérivé.
Légiférer tout comme juger resteront essentiellement et pour l’éternité des actes authentiques de gouverner.
La messe, pardon, la « xutba » est dite rendons grâce à la république!
M’backé N’diaye Bruxelles
http://mbackendiaye.blogspot.com