De Soumbedioune à Terrou-Bi, Mermoz, Yoff, Virage…, les images sont les mêmes : domaine public maritime bétonné, plages souillées, biodiversité perdue, populations désespérées ou furieuses… Aujourd’hui, c’est au tour des berges de Hann de subir cette furie du béton. En témoigne, le cas de la Cité Isra Bel Air Marinas, un quartier longtemps retiré du désordre urbain. Tel un bijou dans un écrin, ce havre perdu de la capitale se tapit au loin de la baie de Hann et ses friches industrielles…L’on a même du mal à se croire à Dakar tant le calme est paradisiaque. Il n’y a que le chant du muezzin qui vous alerte. Pour le reste, c’est un concert continu au rythme des gazouillis d’oiseaux, du bruissement des arbres et de l’écho des vagues à peine perceptible.
Face au bleu aveuglant de l’océan, ce quartier bénéficie d’une vue magnifique. A l’intérieur, les ruelles ombragées sont droites, bien tracées et rigoureusement tenues. A quelques mètres de là, la superbe marina éponyme. Ses yachts, son hippodrome et ses espaces verts achèvent la féerie du cadre. La beauté rime avec tranquillité dans cet îlot qui a fini de séduire des promoteurs venus investir dans des auberges et restaurants. Bref, ici tout est à sa place. Excepté un bout de plage. Seul espace public disponible à la limite de la cité, ce terrain vague, où viennent s’échouer les déchets des usines, déchire et inquiète les âmes de la localité. Pour cause, M. Oumar Massassy Coulibaly, un gendarme et colonel établi à la Présidence compte construire une maison sur 248 mètres carrés de cette petite portion de plage.
Assis sur un banc public, face à la mer, Diop, comme l’appellent affectueusement les habitants du quartier profite de la fraîcheur matinale. Jardinier, icône de toujours, il regarde avec une grande désolation les souches de cocotiers qu’il avait vues pousser au fil des ans. Destruction de la digue de protection de la mer, abattement des cocotiers bordant la mer, déblayage de la surface à utiliser…Sur ce lieu faisant partie du domaine public maritime, les travaux entamés par le colonel en cause n’agréent pas nombre de riverains. Pour ces derniers : « le colonel Oumar Massassy Coulibaly, tel un envahisseur et un destructeur, veut à tout prix bâtir sa résidence « pieds dans l’eau » contre l’intérêt général. Et en faisant totalement fi des textes portant sur le domaine public maritime (Dpm) ». Anéantissant ainsi des années d’efforts, d’entretien et de sauvegarde en plus d’entraver le libre accès à la plage. « Cette cité est un titre foncier que l’Etat nous a octroyé. Nous avons procédé à sa mise en valeur en investissant des centaines de millions. Maintenant il nous reste à construire une station de collecte des eaux usées. Et cette partie de la plage est le seul espace disponible », plaide M. Mamadou Sylla, habitant de la cité.
A l’origine du différend, un permis d’occuper délivré par les autorités. C’est en effet l’arrêté n°05444 Mef/Dgid/Dedt du 18 juin 2010 signé du ministre d’Etat, ministre de l’Economie et des Finances qui autorise « M. Oumar Massassy Coulibaly et Mme Hadi Fouzia, épouse Coulibaly à occuper à titre précaire et révocable, une parcelle de terrain dépendant du domaine public maritime de Bel Air, à Dakar, d’une superficie de 248 mètres carrés, pour usage d’habitation ». Pourtant, l’article 3 du même arrêté renseigne sans équivoque que « la présente autorisation ne pourra en aucun cas, dispenser le concessionnaire de formuler une demande d’autorisation de construire conformément au Code de l’Urbanisme ». Seulement, les défenseurs de cet espace insistent que, pour le cas d’espèce, le présent article n’a pas été respecté. « Le colonel a abattu les arbres qui longeaient la plage et détruit la digue de protection sans aucune autorisation. Ce sont des années d’arrosage et d’efforts. De plus, si jamais il y a marée haute, le danger est imminent », déplore Mme Sy, présidente de l’Amicale des femmes de la cité. D’ailleurs, interpellée par les riverains sur ce litige, la Division technique de la commune d’arrondissement de Hann Bel air a sommé M. Coulibaly d’enlever ses installations et de procéder à la remise en état des lieux « sans délai » pour motif de « défaut d’autorisation de construire ». Ce, à la date du 11 février 2011. N’empêche, cette assignation n’a jusqu’ici pas eu d’effet et ne semble pas inquiéter le colonel.
Textes latents…
Pourtant, le Code du domaine de l’Etat demeure sans équivoque en ce sens qu’il interdit l’appropriation privée des terres du domaine public maritime. D’ailleurs, dans son article 2, il est stipulé que « le domaine public maritime est inaliénable ». Donc personne ne devrait disposer de titre foncier sur ces terres. Ce que les textes permettent, c’est une occupation provisoire, facilement démontable à la première occasion. Mais de la règle à l’application, il y a bien des écarts. Surtout qu’avec la possibilité de transformer ces autorisations en titres fonciers, la corruption et le laisser-aller ont fini par encourager les pratiques anarchiques, amenant les moins scrupuleux à bétonner sur le Dpm.
Pour y remédier, une réforme sur le permis d’occuper a été récemment votée à l’Hémicycle. En effet, la loi n°11/2010 portant transformation des permis d’habiter et titres similaires en titres fonciers des terrains domaniaux destinés à l’habitation située dans les centres urbains a été votée le mardi 22 février à l’Assemblée nationale… Malgré les déclarations énergiques de certains députés lors du vote de cette loi, le litige précité prouve que rien n’a encore changé. Des raisons qui amènent les riverains à considérer que le colonel Coulibaly, userait de son influence et de sa proximité avec le régime en place pour faire un coup de force. Toutefois, les porteurs de ce combat ne comptent pas céder face à un pareil abus. « Nous nous opposerons catégoriquement à ce projet. Ici, nous sommes sur un terrain de six hectares que l’Etat avait octroyé aux chercheurs de l’Isra. En plus, on est sur le domaine public maritime qui appartient à tout le monde. L’Etat ne peut pas se permettre d’installer quelqu’un chez nous. D’ailleurs, nous ne le laisserons jamais construire ici », peste M. Diallo, chef de quartier. Pour se convaincre de leur résolution, les riverains réunis autour d’une amicale ont déjà lancé une pétition comptant 139 signataires à ce jour. De plus, avec le concours de la mairie de Bel Air, ces habitants désireux de préserver leur habitat, entreprennent des actions de reboisement sur le site où ils ont déjà installé quelques bancs publics pour signifier de leur droit et sonner le glas des occupations anarchiques sur le domaine public maritime devenues une triste habitude dans la capitale sénégalaise.
Colonel Oumar Massassy Coulibaly
« Cette sommation du maire, c’est le cadet de mes soucis »
« Je n’ai aucun contentieux avec les personnes de la cité Isra. D’abord je ne suis pas sur leur terrain, ensuite la zone dont il est question n’a rien à voir avec la cité car c’est sur la zone maritime où je n’entrave personne. On est sur une zone qui ne fait pas encore partie du plan d’édification et que seule l’autorité peut céder de façon précaire et révocable. Une commission domaniale m’a attribué ce terrain de façon légale, et j’ai payé tous les droits. En expliquant à deux personnes de la cité qui m’ont demandé mes droits de propriété, je leur ai remis mes papiers pour qu’ils vérifient et c’est à partir de ce moment qu’ils sont allés faire des exemplaires qu’ils ont distribués dans leur quartier et aux gens qui me connaissent. Quand on réclame quelque chose il faut en apporter la preuve. Ils sont allés voir le maire qui m’a écrit. Mais cette sommation ne m’intéresse pas, c’est le cadet de mes soucis. Car quelqu’un qui n’est pas habilité à faire quelque chose s’il le fait, je n’en tiens pas compte. Si c’est un délit que je suis en train de commettre ils n’ont qu’à intenter une action en justice. S’ils veulent annuler ce terrain qui m’a été attribué, ils n’ont qu’à aller voir les autorités compétentes en la matière. Quelque chose que l’on vous donne de manière légale, ce n’est pas un vol ni une usurpation. Si on veut le reprendre il y a quelqu’un qui est en mesure d’annuler ce bail et c’est à lui de le faire. Je suis un agent de l’Etat soumis aux lois et règlements ».
Papa Adama TOURE
lagazette.sn
il faut les tuer, lui et sa femme.