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[Opinion] Et si le Sénégal disait niet au développement !!!

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Tout d’abord, il m’échoit de vous expliquer mon choix pour le titre de cette contribution. Pour ma part, je ne me suis pas aventuré à un plan trop académique pour donner l’impression de vous livrer un cours magistral sur le développement, Dieu m’en garde! Au contraire, je partirai d’un simple constat général basé sur le vécu quotidien des Sénégalais au plan socio-économique et politique depuis notre indépendance, pour illustrer mon analyse.

En principe, cinquante cinq ans après l’indépendance, il ne nous est plus loisible de réfléchir encore sur la question du développement du Sénégal. À mon avis, l’on devait aujourd’hui se targuer des plus grandes entreprises et industries de l’Afrique Occidentale, mais on constate à regret qu’il n’en est rien de tout cela. Si aujourd’hui un pays comme l’Allemagne est enseigné comme modèle de développement économique européen, c’est grâce à la  rigueur,  l’endurance au travail, la ponctualité, l’amour du peuple allemand en général pour sa patrie. Voilà un pays qui n’est parti de rien, après les clauses de la Conférence de Potsdam au lendemain de la deuxième guerre mondiale, pour devenir aujourd’hui la quatrième puissance économique mondiale. L’expression «Stunde Null» (l’heure zéro) désigne l’aube d’un nouvel âge politique, économique et moral, un renouveau suite à l’anéantissement du Troisième Reich. D’aucuns diraient même qu’il s’agit de l’instinct de survie à l’heure du désespoir. D’ailleurs, je propose ici de situer l’Allemagne à l’heure zéro sur les plans matériel, démographique et économique. Et pourtant, cette Allemagne est devenue aujourd’hui une puissance incontournable sur tous les plans.

Cette immersion dans l’histoire politico-économique allemande me permettra, en ma qualité d’apprenti germaniste, d’évoquer dans cet article les véritables raisons du non développement du Sénégal. Je me propose tout d’abord de parler des multiples facteurs endogènes, pour ensuite terminer par les facteurs exogènes de la situation actuelle du Sénégal. Pour dire vrai, le Sénégal appartient actuellement à la catégorie des Pays les Moins Avancés (P.M.A).

Je parlerai tout d’abord du manque de patriotisme de la part de bon nombre de Sénégalais, à commencer par nos gouvernants et nos sommités intellectuelles. Je n’arrive toujours pas à comprendre le fait que la plupart de nos chefs d’Etat choisissent d’aller habiter en Europe à la fin de l’exercice de leur fonction. Et pourtant ces derniers ont incessamment invité le peuple à l’amour de la patrie. Le phénomène de la fuite des cerveaux est inquiétant. Des personnes à qui l’Etat du Sénégal a octroyé des bourses d’études à l’étranger ont, pour la plupart, décidé de rester et de mettre leur savoir faire au profit d’autres pays. Combien sont-ils aujourd’hui à faire la sourde oreille lorsque leur patrie a besoin d’eux dans tel ou tel domaine? Pour d’autres, c’est encore plus grave, ils ont tout bonnement abandonné leurs études pour se livrer à des activités qui ne les honorent pas, faute de titre de séjour. À mon avis, nul n’a le droit de les diaboliser, encore moins de les juger, si nous savons que dans le Sénégal d’aujourd’hui, le phénomène du «bras-long» est de plus en plus mis en avant au détriment de l’excellence. Au plan professionnel, le constat est que le fils du ministre a plus de chances que celui du paysan, quand bien même ce dernier peut être le plus compétent à tous points de vue. De nos jours, le mérite est relégué au second plan dans beaucoup de domaines, parfois même, on peut penser ou croire que la pauvreté est une fatalité. Au plan culturel et/ou religieux, il y a des personnes qui croient tout se permettre, au nom d’une appartenance à une certaine soi-disant aristocratie. Le phénomène grandissant de la corruption dans les plus hautes sphères de l’Etat ont jusque -là constitué un facteur qui favorise également le sous-développement, et toujours ce sont les plus pauvres qui en pâtissent. Si dans un pays, il y a des privilégiés tels que les familles ou proches des présidents et à côté des laissés-pour compte, si l’Etat ne garantit pas la protection des biens publics contre toute forme de malversation, de détournement, d’accaparement ou de confiscation illégitime, le clivage social devient de plus en plus profond et les souffrances des populations ne cessent de s’intensifier. Et pourtant l’on nous dit dans l’article 1 de la déclaration universelle des droits de l’Homme que «tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits».

Il suffit de faire un tour dans quelques ministères pour découvrir le laxisme existant dans l’administration sénégalaise. Pour beaucoup de travailleurs, le fait d’arriver à 10heures dans son lieu de travail est devenu aujourd’hui chose normale. Ce phénomène est beaucoup plus fréquent chez la gent féminine en général et les secrétaires en particulier qui, non seulement arrivent en retard au travail, mais aussi transforment leurs bureaux en salons de coiffure, où elles passent le plus clair de leur temps à s’occuper de leurs toilettes, bref à avoir comme viatique le verbiage. Et je suis sûr et certain que ces personnes n’auraient pas eu la même attitude dans les entreprises privées. Aujourd’hui, il faut faire le parcours du combattant pour se procurer un simple papier administratif auprès de nos structures publiques. Le même laxisme est également noté dans le domaine de la santé. Qu’en-est-il après de leur traditionnelle prestation de serment devant les autorités compétentes à la fin de leur formation? Nous sommes très prompts à réclamer nos droits, et pourtant  nous ne faisons pas toujours nos devoirs. À vrai dire, la plupart d’entre elles n’ont pas concouru aux postes qu’elles occupent, mais il s’agit en général d’emplois auxquels elles ont été recommandées par des personnes ressources. Dans notre constitution, il est clairement mentionné que l’égal accès aux emplois publics doit être garanti à tous. Les recrutements d’agents publics doivent s’effectuer par des procédures publiques de concours ouverts et transparents.

En ce qui concerne la politique, on constate que beaucoup de nos gouvernants ont plus réussi leurs politiques politiciennes que le développement du Sénégal. Si nous suivons l’actualité nationale, les gens passent plus de temps à faire de la politique qu’à travailler, aussi bien dans l’opposition que dans le camp présidentiel. Plus de théories que de pratiques, il ne se passe pas un seul jour sans qu’on nous tympanise avec la politique.  Je pense qu’il serait bien de créer une loi interdisant à tous les partis toute propagande politique en dehors de la période électorale. Cela pourrait permettre à ces derniers, aussi bien dans le camp présidentiel que dans l’opposition, de mettre leurs expertises au service de l’Etat, pourvu qu’’ils soient habités par le sentiment de servir le pays. Depuis 1960, le Sénégal n’est toujours pas parvenu à faire partie des pays émergents, il y a vraiment anguille sous roche. Force est de constater que nous vivons dans un pays où beaucoup de personnes se livrent plus au bavardage qu’à la tâche, mais aussi dans une société dans laquelle les méchants cherchent toujours à bloquer les quelques gens qui essaient de faire bouger les choses en vue d’un avancement (doo dem, duma dem). Parfois, si tu fais bien ton travail, les gens autour de toi, à commencer par tes propres collègues, parlent dans ton dos en te stigmatisant, ou bien vont même jusqu’à te fabriquer à tort des sobriquets. Ton comportement exemplaire t’attire de faux amis et de vrais ennemis, mais toujours est-il que ces excès de paroles futiles et peu constructives ne doivent guère te détourner de ton objectif, car il y a un proverbe africain qui dit: «Le coléreux se fait du tort à lui-même». Plus loin, Aristote d’affirmer : «Si la vertu ne suffit pas à assurer le bonheur, la méchanceté suffit à rendre malheureux». La vedette aujourd’hui pour bon nombre de personnes c’est le mythomane, le fumiste, l’arriviste, l’imposteur, le délateur, le fanfaron, le tartuffe, bref celui qui dispose d’une certaine capacité oratoire lui permettant d’arriver à ses fins par tous les moyens.

Dans son livre intitulé Education, Culture et Emergence, le Professeur Khadi Fall a essayé de montrer que le développement devra nécessairement passer par l’éducation et la culture. Mais, au vu de la crise scolaire, il me semble difficile de croire à l’émergence de notre pays, parce que cela suppose une amorce de pensées, d’objectifs, de volonté et de préoccupations de la part des Sénégalais. Le poète Léopold Sedar Senghor nous demandait d’abord de nous enraciner pour ensuite nous ouvrir aux autres, ainsi, nous pourrons prendre part au rendez-vous du donner et du recevoir. Aujourd’hui, on note une jeunesse désemparée et inculte, qui tente de se refugier sous la coupole d’une soi-disant conscience occidentale éveillée. Il suffit d’observer la manière de s’habiller ou le langage de certains jeunes, traduisant plus impolitesse et irrespect, pour savoir à tel point notre jeunesse est désemparée. Le phénomène de l’alcool, de la drogue, du libertinage sexuel, de l’individualisme, de la surestimation de soi, du vandalisme, la tendance à vouloir gagner de l’argent sans fournir le moindre effort, constituent autant de facteurs nocifs causés en réalité par le non attachement de la jeunesse à notre propre culture, qui somme toute, est pleine de vertus. Aujourd’hui, il est très fréquent de voir des personnes casser ou brûler des édifices et/ou des propriétés du contribuable sénégalais. D’autres qui jettent leurs poubelles ou versent des eaux usées dans les rues sans se soucier de la santé de la population et de l’hygiène publique. La plupart des accidents de la circulation et des embouteillages sont causés par l’indiscipline de certains usagers de la route. Il est coutume de voir des chauffeurs qui ne respectent jamais les panneaux de signalisation. L’occupation anarchique des voies publiques par certains commerçants ou des personnes organisant des manifestations festives, constitue aussi un phénomène qui prend de plus en plus de l’ampleur. Mame Kocc Barma disait :Ku xamatul fanga dieum, dangay delou fanga djioge (Lorsque tu ne sais pas où tu vas, retourne d’où tu viens).

L’agriculture qui est le secteur le plus important doit faire partie des premières préoccupations de l’Etat, car, pour moi, il faut une autosuffisance alimentaire pour pouvoir aspirer à un quelconque développement: «Ventre affamé n’a point d’oreilles». L’Etat se doit d’encadrer, de soutenir  la jeunesse en ce sens pour qu’on revienne à la terre qui ne trahit jamais. Aujourd’hui, nous voyons des ingénieurs agricoles qui préfèrent être dans les bureaux climatisés de Dakar pour théoriser ou donner des ordres, que de mettre en pratique leurs expertises culturales. Je suis parfois peiné de voir des étudiants sortants des universités agricoles telles que ISRA (Institut Sénégalais de Recherches Agricoles), déposer des demandes de stage dans les bureaux des grandes métropoles. Je pense qu’il est grand temps que l’Etat se penche sérieusement sur cette question, afin de prendre des mesures d’accompagnement idoines pour permettre à ces jeunes de pratiquer leur domaine de prédilection. Sans quoi, nos élus locaux continueront, comme cela a toujours été le cas, de brader les terres des pauvres paysans et éleveurs. Des particuliers ont profité par exemple de la GOANA (Grande Offensive Agricole pour la Nourriture et l’Abondance) pour spolier les terres de beaucoup de villageois et s’enrichir par la suite sur le foncier. C’est triste et lamentable de voir que dans beaucoup de villages de la Petite Côte, des personnes placées à la tête de certaines structures de décisions n’ont rien fait de mieux que de brader leur terroir pour bâtir leur fortune. Je dis et je persiste que bien des maires, d’anciens présidents de communautés rurales et de conseillers ruraux sont à plaindre. Je demande à ces derniers de se rappeler le sens de cet adage et de le méditer: «Celui qui est vêtu avec le bien d’autrui est en réalité nu».

Pour les facteurs exogènes, il va falloir que nos gouvernants refusent d’être manipulés par les grandes puissances occidentales sur les destinées de notre pays. Je ne suis pas contre la coopération internationale, mais toujours-est-il que derrière ce soutien, se cachent des enjeux géopolitiques sur nos matières premières. Il faut impérativement une redéfinition des termes de l’échange, parce qu’on a parfois l’impression qu’il s’agit toujours de rapports entre puissances occidentales et anciennes colonies. Si nos dirigeants continuent cette traditionnelle forme de coopération en étant perméables aux décisions politiques occidentales, l’on pourrait en conclure que l’acquisition de notre indépendance de 1960 parait plus nominale que réelle. Le terme Françafrique est une chose qui doit être combattue et rayée du vocabulaire par nos intellectuels, c’est une forme de néocolonialisme. J’indexe l’occident qui, non seulement continue de piller nos matières premières, mais aussi se trouve être à l’origine de beaucoup de conflits africains, surtout dans les pays de grande dictature. La liste des maux est longue, mais je m’en tiendrai à cela pour donner à chacun, à la couche jeune en premier, la chance de la prolonger.

Eu égard à toutes les tares sociales que je viens d’énoncer dans cette contribution, ne semblerait-il pas normal d’affirmer que le Sénégal refuse le développement ? Encore une fois, essayons de nous soumettre individuellement à cet exercice: quels moyens je me donne pour assurer à mon Sénégal un futur heureux ? Nous trainons toujours des carences qui, inexorablement, se propagent et c’est l’image du Sénégal qui en pâtit. Mais je demeure convaincu qu’il y a de l’espoir, encore faudrait-il juste l’unité des cœurs, un renouvellement moral de la part de tout un chacun pour mettre le Sénégal sur la bonne voie du développement. Les journalistes ont, eux aussi un rôle essentiel à jouer dans le travail de sensibilisation sur le développement, mais il va falloir qu’ils fassent montre d’impartialité et qu’ils acceptent de se plonger dans les investigations pour livrer à l’opinion publique la bonne information. À vous chers jeunes, sachez que l’avenir du pays repose sur vos épaules, le Sénégal ne sera que ce que vous en ferez. Soyez habités par les idéaux d’amitié, de fraternité, de solidarité, de civisme, de patriotisme, d’abnégation et travaillez tous pour le développement du Sénégal. À mon tour de vous dire ceci en paraphrasant le grand philosophe de la Aufklärung (siècle des Lumières) Emmanuel Kant: «Habe Mut, dich deines eigenen Verstandes zu bedienen» : Ayez le courage de vous servir de votre propre entendement. «Sapere aude».

Je souhaite seulement que cette contribution boostera définitivement nos consciences pour que tous ensemble nous puissions stimuler la résurrection et l’ascension du Sénégal vers les cieux du vrai développement.

 

Monsieur Gabriel THIOR.

Professeur d’Allemand.   

Fait à Dakar le mardi 31 mars 2015

1 COMMENTAIRE

  1. Vous avez omis de parler de la spiritualité qui est pourtant au cœur de l’humain ; le renouvellement moral que vous prônez, entre autre, ne peut pas se faire en dehors de la religion ; c’est dire que vous aussi, laïc, vous refusez le développement. Oui, on ne peut pas avoir une vision juste pour l’émergence, en dehors de la référence aux Textes Sacrés (Coran, Évangile, Thora) qui ont vocation d’expliquer le monde. La crise multiforme (économique et financière, écologique, sanitaire, etc.) qui accable le monde entier est le témoin manifeste de la faillite de l’approche laïque. Non ! Comment pourrait-on réussir et mettre Dieu entre parenthèses ?

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