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Oumy Ndiaye, ingenieure statisticienne Défi risqué

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Oumy Ndiaye, cette passionnée de mathématiques livre sa trajectoire dans le monde des chiffres, et donne une leçon de civisme en faisant le choix de rentrer au pays, après ses études payées avec l’argent du contribuable.

Décidons arbitrairement que les « fils et filles de » se classent en trois catégories. D’abord, les profiteurs. Ils ont tout et ne foutent rien. Ensuite, les plus méritants que sont les reproducteurs. Ceux-là ont beau être doués dans ce qu’ils font, il n’empêche qu’ils font la même chose que papa. Enfin, il y’en a, comme Oumy Ndiaye, les affranchis qui sont moins nombreux. Papa est ex-intendant de l’Enam, maman ex secrétaire d’Abdou Diouf, ex-président de la République. Qu’à cela ne tienne, Oumy Ndiaye sera dans les chiffres. A quoi ça ressemble une matheuse, ingénieure statisticienne ? A rien. Enfin, si ! Certes, elle a de l’embonpoint. Pourtant, elle semble à l’étroit dans son corps. Le débit est lent, l’œil vif. Elle me scrute, mais c’est elle qu’on dissèque cet après midi, c’est d’elle qu’on doit parler. Au contact, on découvre une femme qui met à l’aise son interlocuteur, gentiment à la cool sans être collante. Ni mine déterrée, ni pose éthérée. Cela veut donc dire qu’au lieu d’un portrait qu’on imagine sculpté par moments au sécateur, on va se retrouver à crayonner une hagiographie qui sent la rose ? Une réplique : « j’ai une vie simple et rangée. Pour me présenter, cela va être très rapide. » On s’essaie alors au jeu du portrait chinois, à figure géométrique où le triangle s’impose : Physique, moral, professionnel.

PHYSIQUE

La mathématicienne fait dans l’angle droit, le solide, le simple. Bien calée mais dynamique dans un vaste fauteuil qui inciterait plutôt à l’avachissement. La quarantaine alerte, les cheveux en chignon haut. Visage volontaire, verbe précis et soigné. Bref, pour Oumy Ndiaye, qui n’aime pas la « médiocrité », le travail -ou autre chose doit être « bien fait ». Cet après-midi, Oumy Ndiaye, tailleur à rayure, intérieur noir et escarpin du même ton de mise, reçoit dans son bureau situé à la rue qui porte le nom de son grand père maternel, Amadou Assane Ndoye. Une pièce dépouillée de tout objet ostentatoire hormis un tableau figuratif qui orne les murs. Elle occupe les lieux depuis 2008, l’année où l’ingénieure a décidé « d’entreprendre », en créant le cabinet Model’is qui se propose d’aider les institutions dans le système de gestion de risque. Elle dit : « actuellement je travaille avec des experts et c’est vraiment confidentiel car nous sommes en train de développer un système de gestion de risque, et c’est vraiment un challenge. »

Il est loin le temps où la petite fille arpentait les rues Saint-louisiennes pour rejoindre le collège Saint Joseph, chaperonnée par une maman institutrice jusqu’en classe de Ce2. En 1967, Sainte Thérèse verra une petite fille « sérieuse » et « combattante » qui griffonne la maitresse de Ci en l’accusant subtilement de « légèreté professionnelle ». L’anecdote : « j’avais fait mes petits calculs et j’étais sûre que j’étais la première de la classe. La maitresse s’était trompée de calcul et m’avait classée deuxième. Je suis rentrée en pleurs en révélant à mes parents la méprise de la maitresse. Ma mère est venue en classe pour expliquer à l’enseignante que j’étais malheureuse car j’étais persuadée de ce que je disais et personne ne me croyait. La maitresse a refait les calculs et a remarqué que j’avais raison. »

MORAL

Arrive l’âge ingrat. Oumy écume les salles de cinéma, sort comme les filles de son âge. Pas de crise d’ado en vue pour autant. C’est que la petite surdouée du lycée d’application Seydou Nourou Tall couve ses colères dans la littérature pour ne pas les ternir avant son coup d’éclat. « Je m’amusais, je sortais. Je me refugiais aussi dans la lecture ce qui fait que j’ai connu de très grands auteurs en clase de cinquième et de quatrième. J’étais bonne en français. C’est un prof de latin qui n’était pas du tout coopératif qui a freiné mes élans littéraires et m’a presque poussée dans les matières scientifiques. »

A 19 ans, la benjamine d’une fratrie de 8 dont 3 filles et 5 garçons, obtient une bourse d’étude pour la France. L’université Paul Sabatier de Toulouse l’accueille en première année de Deug de mathématiques. Elle se souvient : « je n’aimais pas la solitude de l’Hexagone, cela me déprimait. » N’empêche, elle y restera 10 ans pendant lesquels elle a été baby-sitter, prof d’expression corporelle, vendeuse. Ça, c’est le lot de petits boulots qui ont permis à Oumy de payer ses études. Elle se souvient : « sans raison apparente, l’Etat du Sénégal est resté 5 ans sans m’attribuer ma bourse et cela a perturbé un peu mes études. Mes parents étant retraités, j’étais obligée de faire de petits boulots. »

De sa mère, Oumy a hérité le goût immodéré pour le travail bien fait. Avec son père, elle a en commun « la même manière d’envisager les rapports humains : une certaine courtoisie mêlée de discrétion. » Sur sa vie privée, cette dakaroise à la mise impeccable, se laisse un peu aller, mais guère plus. Il ne se livre jamais sur sa vie personnelle et délivre encore moins de scoop… Cependant, elle veut croire à la revanche des femmes, enfin disponible pour de nouvelles libertés. La voilà divorcée, comme beaucoup d’autres, avec une fillette de 3 ans sur les bras. Elle dit : « un couple qui éclate, ce sont aussi des enfants qui perdent leurs repères. Je disais ce matin à un cousin que, quand dans un couple, vous pensez que vous marchez avec une épine dans le pied, la meilleure solution : ou vous continuez à boitiller toute votre vie avec cette épine parce que vous savez que cela ne va pas, ou vous vous arrêtez pour enlever l’épine du pied, pour vous soigner afin de continuer à marcher. » Oumy a pris la dernière option : elle a enlevé l’épine du pied.

PROFESSIONNEL

Après une maîtrise de maths, un DESS de modernisation en Méthode informatique, Météo France l’embauche. Elle démissionnera avant de rentrer en 2000. Trois raisons fondent ce choix du retour au pays natal. La première : « il y a ce racisme qui fait que vous pouvez être responsable dans un département mais vous n’allez jamais progresser. » La deuxième : « je suis très proche de ma maman et elle prenait de l’âge. Je sentais le besoin d’être à ses côtés. » Le troisième : « l’Etat du Sénégal m’a attribué une bourse d’études, je me devais de leur rendre la monnaie en utilisant mon savoir pour le développement de mon pays. » Noble non ? Toutefois, la désillusion l’accueille au pays de la Teranga. Oumy descend de son nuage et se frotte à la dure réalité du monde du travail. Le réveil sera rude, la chute à la hauteur de sa déception. Elle se rappelle : « Pour quelqu’un qui gagnait assez bien sa vie, se retrouver avec 30 mille francs pour un stage, ce n’était pas facile. » Et vlan !

Deux ans de traversée du dessert sablonneux et chaud du marché de l’emploi du Sénégal. Oumy aperçoit un oasis à L’horizon : Trade point la recrute dans le cadre de l’informatisation du trésor public. En 2002, La Cotecna l’a débauchée comme responsable du système informatique d’analyse du risque. Elle dit : « au bout de deux ans j’ai été nommée directrice Afrique pour le groupe Cotecna. » Six ans plus tard, l’Autorité de régulation des marchés publics fait d’elle la directrice de la statistique. Le compagnonnage fera long feu. Elle démissionne au bout de 6 mois pour « convenance personnelle ». Cette matheuse qui mesure 1,60m pour 75 kg a vécu mille vies parce qu’elle est capable de les restituer et de faire ressentir aux autres qu’elle les comprend. Ça s’appelle le talent, peut-être même le génie. Elle attend d’accomplir son projet de vie : développer un système de gestion de risque. On souhaite le voir un jour se réaliser. Alors que nous sommes sur le point de nous quitter, elle balance avec sérieux : « Ce système est mon combat, c’est aussi un challenge ». Alors faites donc…

Aïssatou LAYE

lu sur lagazette.sn

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