Journaliste, agent de joueur, président de club, Pape Diouf a exercé quasiment tous les métiers du football. A 59 ans, le Franco-Sénégalais, né au Tchad, est l’interlocuteur idéal pour évoquer l’évolution du football africain. Rencontré au Foot Expo de Marrakech (organisé du 16 au 19 novembre), l’ancien patron de l’OM a bien voulu en discuter avec Afrik-foot.
Pape, quel regard portez-vous sur le foot africain ?
Pape Diouf : J’ai un regard intéressé même si je ne vis pas au quotidien la réalité de ce football. Depuis plusieurs années, j’assiste à toutes les Coupes d’Afrique. Cette, je serai évidemment en Guinée équatoriale et au Gabon pour la CAN. De manière générale, le football africain progresse mais de manière paradoxale. Il progresse quand on considère la qualité des sélections nationales : une équipe africaine capable de jouer les quarts de finale de la Coupe du monde, cela devient presque une norme. Au niveau local, par contre, il y a une véritable régression car les compétitions nationales ne sont pas suivies et n’ont pas beaucoup d’intérêt. C’est un formidable paradoxe. Alors oui, on peut s’interroger sur l’avenir du football africain : faut-il choisir la voie de favoriser, de ne le voir que par le prisme des équipes nationales toutes en exil ou bien mettre un mouchoir défini sur l’intérêt que peut susciter notre football localement ? C’est la contradiction fondamentale du football africain.
Dans ces conditions, la professionnalisation du football africain est-elle un passage obligé ?
Pape Diouf : Elle est irrévocable, c’est certain mais faut lui donner un contenu. La professionnalisation en Afrique, c’est mettre la charrue avant les bœufs. Avant d’avoir un football professionnel véritable, on doit d’abord penser structure économique solide. Rien qu’en Europe, il y a des difficultés pour rendre le football viable et fiable. Les dernières propositions de Michel Platini vont dans le sens que de ce que je dis. Mais, en Afrique, cela me paraît assez illusoire. Il s’agit d’un continuent qui a des propriétés qui abondent. Les deux conditions essentielles sont la santé et l’éducation. Mais le problème n’est pas complètement maîtrisé. La professionnalisation du foot suppose de réelles implications de l’Etat. En Afrique, n’importe quel pays a autre chose à faire que de faire du football sa priorité.
Quelle est, selon vous, l’importance de l’Europe dans le football africain ?
Pape Diouf : De nombreux garçons ont grandi et se sont illustrés en Europe, à l’image de Didier Drogba ou Samuel Eto’o. En vérité, lorsqu’on reprend l’histoire du football, depuis les années 70, ceux qui s’illustraient en Europe étaient déjà des vedettes dans leur pays. Je pense à Salif Keita, Laurent Poukou et plus tard Abedi Pelé et George Weah, internationaux dans leur pays avant de venir en Europe. Or, aujourd’hui, il n’y a quasiment plus des stars africaines qui émigrent en Europe : tous les joueurs ont grandi et ont été nourris dans le sérail européen. Le fait de prendre les joueurs très jeunes, cela donne des équipes nationales fortes mais affaiblit le football local. A mon sens, il faut trouver une voie médiane entre ces deux réalités, il faut que ça aille dans un sens constructif
Les équipes nationales africaines sont composées de joueurs binationaux. Quel regard portez-vous sur cette polémique née au printemps dernier ?
Pape Diouf : Je ne vois pas en quoi c’est un problème. Mais il faut revenir sur un débat qui a été escamoté. On a voulu simplement réduire ce débat aux questions : Laurent Blanc raciste ? Doit-il rester à la tête de la sélection ? Quand on connaît Laurent Blanc, ce qui est mon cas, on ne peut pas le taxer de raciste. Il ne l’est pas. Le vrai problème était de savoir si le football français était discriminant ou pas, à l’image de la société française. Oui, il y a une discrimination caractérisée et caractéristique. Souvent, ça n’apparaît pas crument, parce qu’il y a un leurre, une espèce d’illusion. On nous dit : « Regardez le football tous les week-ends, notamment en France, c’est là que s’exprime le plus la diversité, alors protégeons cette activité où des Blancs, des Noirs et des Arabes se côtoient ». C’est là qu’il y a un leurre. Lorsque la France a eu besoin de personnes pour mener la guerre, elle a su faire appel à ce que de Gaulle avait appelé « les forces qui n’avaient pas encore donné ». En Afrique, on a trouvé des hommes qui se sont battus. La plupart sont morts. Lorsqu’il a été question d’établir des pensions, ceux qui sont rentrés chez eux n’ont pas touché le dixième de la pension que touchaient les Français. C’est une forme d’exclusion, de désintérêt humain absolument insupportable. Lorsqu’il s’est agit pour la France, dans ses années glorieuses en économie, de bâtir ses immeubles et son industrie, on a fait appel à la main d’œuvre étrangère, nord-africaine et noire africaine notamment. Ils étaient là sur n’importe quel chantier, comme ceux qui étaient sur le front. On pouvait parler d’assimilation. Pour le football, c’est pareil, on a besoin d’eux pour que la compétition vive, pour qu’elle existe. Ces jeunes issus de cette diversité, le football français en a besoin. Mais à la fin de leur carrière, c’est fini, il n’y en a plus un qui devient entraîneur ou dirigeant. On les expulse de l’affaire, comme dans l’histoire. C’est là qu’il y a une forme de fumisterie générale qui veuille qu’on parle d’intégration sympathique. Le football est à l’image de la société française, dans ce qu’elle a de plus profond. A la tête d’une société du CAC 40, il n’y a pas un noir, pas un arabe. C’est pareil concernant les postes intéressants dans l’armée ou à la tête d’un ministère régalien. Il y a eu un petit geste pour saupoudrer, avec Rama Yade et Rachida Dati, ça fait du bien et on en parle.
Vous étiez président de l’OM…
Pape Diouf : Pape Diouf président de l’OM, des circonstances l’ont propulsées à ce poste. C’était simplement une anomalie. Sympathique diront certains. Le football ne peut être exemplaire dans une société qui ne l’est pas. Pour revenir à l’histoire des quotas et de la binationalité, ce ne sont rien d’autres que des gens de parents d’origine étrangère qui se considèrent comme Français. Tous les meilleurs binationaux – je parle dans sa globalité, avec ceux qui peuvent demander une deuxième nationalité – ont joué pour la France : Zidane, Benzema, Boli, Desailly ou Nasri. Tous ceux partis jouer pour la patrie de leur parents n’ont pas été retenus en équipe de France.
Et quand un Français d’origine étrangère prend un deuxième passeport, il est considéré, d’un coup, comme un étranger…
Pape Diouf : Disons que le Lepénisme rampant a beaucoup aidé dans cette manière de voir. C’est une contradiction fondamentale dans cette approche de la question. La France peut rendre un tout petit peu de ce qu’elle a reçu aussi. Son football a été nourri de personnes qui sont venus d’ailleurs. Certains dirigeants se sont plaints en disant : « Nous formons des garçons qui partent après ». C’était le cas l’an dernier avec Moussa Sow, meilleur buteur de Ligue 1. On oublie de dire qu’il était parti de Rennes libre et qu’il a atterri à Lille et non à Marseille, Paris ou Lyon. Ces clubs l’ont dédaigné. Si la France forme des joueurs qui peuvent aller jouer pour le pays de leurs parents, c’est un juste retour des choses.
Le football français peut donc être fier d’avoir formé des joueurs devenus internationaux africains.
Pape Diouf : Ce n’est pas une fierté, c’est carrément un devoir. Le football français n’a été possible que parce qu’il a su tirer la meilleure partie de tous ces garçons d’origine étrangère.
Parlons un peu de la CAN 2012. Qu’en attendez-vous ?
Pape Diouf : Ce que j’en attends, c’est que ce soit d’abord une compétition de bonne tenue, de bonne veine. Et que le spectacle soit au rendez vous. C’est ce qu’on attend tous, non ? Ce n’est pas parce que les grands pays ne sont pas là que la compétition est dévaluée. Si le Cameroun, l’Egypte, le Nigeria ou l’Algérie ne sont pas là, c’est que ces équipes ont été éliminées à la régulière par des équipes qui ont au moins les mêmes qualités.
Comment expliquez-vous l’échec de ces grandes nations ?
Pape Diouf : Cela montre que le foot africain, et c’est ce que je redoute, connaît non pas un nivellement vers le haut, mais vers le milieu. Certains disent qu’il n’y a plus de petites équipes, je dirais plutôt qu’il n’y a plus de grandes équipes. La seule élimination qui m’ait surpris, c’est celle de l’Egypte, qui restait sur trois succès consécutifs, en plus par qui ? C’est un accident industriel. Le Cameroun, c’est différent, il y a un problème illustré par la gabegie avec l’amical en Algérie. De son côté, le Nigeria est sur le déclin depuis plusieurs années. L’Algérie aussi, à part le sursaut avec la qualification pour la Coupe du monde. Il y a un nivellement des valeurs qui profite à certains petits pays.
Vous avez un favori pour cette Coupe d’Afrique ?
Pape Diouf : Vous savez, les favoris sont toujours battus en brèche pas les aléas et l’improbabilité du jeu. C’est pour cette que je ne parie pas, je ne suis pas si bon que ça dans les pronostics. Le football a des règles, on ne peut pas les contourner. Certains pays semblent se détacher, dans la partie haute du panier : il y a la Côte d’Ivoire. Mais elle déçoit depuis tant d’années… Maintenant qu’on a trop attendu, elle va peut-être montrer qu’elle est là. Le Sénégal également paraît, au regard des individualités, une équipe intéressante. Le Ghana évidemment, le Maroc de Gerets, que je connais pour sa capacité à transcender son équipe. Peut-être aussi la Tunisie si elle sort de son groupe…
avec afrik.com