Claviériste, compositeur et arrangeur, Papis Konaté («la terreur ») s’est lancé depuis peu dans la production. A ses yeux, «la musique sénégalaise est en perte de vitesse», raison pour laquelle il ne manque pas de proposer quelques pistes de réflexion pour inverser la tendance.
Comment se passent vos débuts en tant que producteur ?
Ce n’est pas évident, mais on croise les doigts. C‘est les débuts, on se cherche un peu mais c’est surtout parce que nous voulons mettre l’accent sur la qualité de nos productions. Je recherche une diversité de couleurs musicales et à l’avenir, le public se rendra compte que je n’évolue pas uniquement dans le mbalax. Je produis en ce moment un jeune qui vient de Thiès, Dieng Salla, je viens de signer avec lui dans mon label. En même temps, il y a une autre artiste, Ndiolé, qui a signé dans mon label. Ce sont les deux premières productions. Actuellement, on est en train de faire une dizaine de titres. J’ai appelé d’autres artistes musiciens, au rang desquels il y a Baba Amdy qui a arrangé deux titres. Il y a aussi le bassiste Thierno Sarr qui a arrangé deux titres, Max Thiam de Waflash a fait deux titres, le reste c’est moi qui les ai arrangés. Il y a aussi d’autres artistes qui vont participer à cet album : Lamine Faye, Joe Mbaye… On touche à tous les genres musicaux. Que ce soit le rap, la variété, le mbalax. Le plus important pour moi c’est le talent des artistes et leur look.
On constate qu’il n’y a pas beaucoup de producteurs au Sénégal. Comment l’expliqueriez-vous ?
Justement ! Il y avait des producteurs auparavant mais la plupart d’entre eux ont jeté l’éponge. C’est assez normal parce qu’en général les producteurs sont des gens qui investissent leur argent et qui s’attendent à engranger des retombées financières que ne leur offre pas le marché de la musique au Sénégal. Nous, on a opté pour une autre branche de la production. C’est-à-dire que lorsque nous produisons un artiste aujourd’hui, nous nous inscrivons sur le long terme et nous envisageons globalement la carrière musicale de cet artiste. Il y a un certain suivi qui se fait. Par exemple, si nous sortons l’album d’un artiste aujourd’hui, nous ne comptons pas sur les ventes de Cd, mais nous nous préoccupons plutôt du suivi global de sa carrière d’un point de vue managérial. Il s’agira par exemple de lui chercher des concerts, de l’amener à monter un groupe s’il n’en a pas… La structure Konaté Studio prête une attention particulière à la professionnalisation généralisée de l’activité musicale. Pour ce faire, il faut un bon encadrement, des musiciens professionnels, une logistique au point pour les événementiels. Nous avons mobilisé un dispositif de sons et lumières au point pour rehausser la qualité des prestations scéniques des artistes. Tout est bien fait pour offrir un suivi correct aux artistes.
Nos musiciens ont-ils encore des arguments pour se positionner sur le plan international ?
Quelque part cette question relève de choix personnels. Il faut toutefois dissocier le plan international du plan national. C’est une question de choix certes, mais il faut garder à l’esprit que notre base est au Sénégal. Il faut bien que les artistes fassent d’abord leurs preuves au Sénégal, qu’ils soient appréciés et reconnus par le public sénégalais avant de se tourner vers l’extérieur. Il faut occuper la scène, les médias, se forger une bonne image pour avoir l’opportunité qu’un producteur établi à l’extérieur entende ta voix et envisage de te produire. Il y a aussi un formatage qui peut s’opérer à travers une transition musicale due aux exigences de la scène internationale. Un producteur à l’extérieur peut se dire qu’un artiste mbalax devrait plutôt faire du hip hop, de la pop du reggae… La musique n’a pas de frontières, et les artistes doivent avoir plus d’une corde à leur arc.
Est-il rentable d’être producteur au Sénégal ?
A y regarder de plus près, force est de constater que la musique sénégalaise est en perte de vitesse. Le niveau des productions a baissé. J’ai même l’impression que les musiciens ont baissé les bras. Il y a tout de même des exceptions qui ouvrent la porte à un vent d’optimisme. Je prends l’exemple de Pape Diouf. Durant six ans il s’est battu pour mettre en place un groupe de musique, développer un style musical, mettre en place une structure et trouver un producteur. Il a fait ses preuves avant qu’un producteur n’ose s’engager à travailler avec lui. Le producteur y gagne, l’artiste y gagne, puisqu’ils travaillent sur des bases solides. Mais à l’inverse, si les autres artistes baissent les bras, les producteurs ne viendront pas vers eux. Il faut prouver qu’on a du potentiel, qu’on peut mobiliser un public et assurer de belles prestations avant d’aspirer à trouver un producteur. A l’heure actuelle, nous ne gagnons pas d’argent sur les ventes de Cds. C’est plutôt grâce à l’événementiel, aux spectacles, qu’il est vraiment possible de générer de la valeur ajoutée. Les producteurs sont obligés d’être managers en parallèle. Il y a des artistes qui font de la musique acoustique, qui veulent imposer cette musique là, mais force est de constater que le mbalax a écrit les plus belles pages de la musique sénégalaise. Ce n’est pas la peine de se lancer des critiques non constructives. Chacun a ses feelings et ses goûts. Il y a une bonne partie du public qui aime le mbalax, si aujourd’hui ont veut dénaturer ce mbalax pour l’adapter à la scène internationale, on risque de perdre sur deux tableaux. Une bonne partie du public sénégalais ne va pas l’apprécier, et le public étranger peut même ne pas adhérer du fait d’un manque certain d’authenticité. Il faut calquer notre musique sur nos réalités socioculturelles. C’est une question de choix. Ismaêl Lô et Baaba Maal se produisent plus à l’extérieur qu’à l’intérieur du Sénégal, ils assument leur choix et ils s’en sortent bien. Dans un autre registre, Pape Diouf est là au Sénégal, il s’y est imposé et on l’entend plus au Sénégal qu’à l’étranger. C’est son choix, et il y trouve son compte.
Qu’est ce qui a forgé votre oreille musicale ?
A l’époque, avant l’essor des animateurs dans les médias, il n’y avait que des disc-jockeys pratiquement. C’était du temps d’Eric Barbosa (Eric B), de Kisito… Moi je faisais de l’animation disc-jockey. Ceux qui me connaissent depuis assez longtemps savent qu’à un moment donné, on m’appelait Papis Konaté «La terreur». Je faisais partie des plus grands disc-jockeys au Sénégal. J’organisais de très grandes soirées et voilà, la transition vers le métier de musicien s’est faite naturellement. Je me suis dit qu’être disc-jockey n’avait pas d’avenir car je ne me voyais pas être disc-jockey jusqu’à un certain âge. Dieu l’a voulu ainsi et j’ai changé; je suis allé au conservatoire, à l’orchestre national, j’ai transité un peu de droite à gauche, j’ai fréquenté certains orchestres…
Vous avez donc pris des cours de musique ?
Mais oui. J’ai fait quatre ans de conservatoire. J’ai également fait deux à trois ans à l’orchestre national ou j’ai acquis un certain bagage. Par la suite j’ai intégré un peu les groupes de mbalax. Mais étant donné que j’étais assez curieux, je ne voulais pas me limiter à reprendre des morceaux. C’est là que je me suis dit «il faut que je crée». Je me suis mis à arranger des morceaux en collaboration avec divers d’artistes. Depuis lors j’ai fait beaucoup d’albums, plus d’une centaine d’albums. J’ai réalisé des albums pour Papa Ndiaye Guéwel, Ndèye Diarra Guèye, Fatou Guéwel, Ndongo Lô, Assane Guèye, Yves Niang, Gorgui Ndiaye, Kiné Lam, Djiby Dramé… J’ai travaillé avec beaucoup d’artistes. Tout dernièrement ce qui prend le plus mon temps c’est l’orchestre «Génération consciente» de Pape Diouf avec qui je collabore. Il a un producteur certes, mais il y a des morceaux que je compose et que j’arrange pour lui car son producteur, «Prince Art», est ouvert à la collaboration. L’essentiel pour nous étant de faire de la bonne musique. A part çà, le studio Papis Konaté réalise beaucoup de musiques publicitaires de la place.
Que vous inspire le récent changement à la tête du Bureau sénégalais du droit d’auteur ?
C’est une question à laquelle j’aurais répondu même si vous ne me l’aviez pas posée. C’est quelque chose qui m’intéresse. C’est la première fois que je parle du Bsda et de la nouvelle société de droit d’auteur qui doit être mise sur pied. Aujourd’hui, sur la base du travail que j’ai effectué, je peux dire que j’ai un certain poids dans la musique sénégalaise. Je sais ce que je pèse, musicalement parlant. Ce n’est pas pour me tresser des lauriers ou pour faire preuve d’orgueil. Maintenant il y a quelque chose qui me dérange. Je n’ai pas l’habitude de jeter la pierre sur qui que ce soit, mais il y a vraiment quelque chose qui me dérange. Je passe toute mes journées, des fois mes nuits, en studio. Donc je travaille beaucoup. Mais paradoxalement, depuis des années, je ne perçois de droits d’auteurs que tous les six mois. Et je ne peux même pas dépasser 500 000 francs Cfa par semestre, malgré tout le travail que j’abats. Cela veut dire que même les agents du Bsda qui touchent 100 000 francs par moi sont plus fortunés que moi. Je ne parle même pas de la plupart des autres artistes. Les agents du Bsda, qui sont là pour les créateurs, touchent plus d’argent que les créateurs. Tout dernièrement, j’ai eu une frustration lorsque j’ai entendu que les gens voulaient augmenter le salaire du nouveau directeur du Bsda. Il y a déjà un problème au niveau du Bsda. Donc avant de parler d’augmenter le salaire du directeur et consort, il faudrait à mon avis prendre le taureau par les cornes et avouer qu’il est temps de liquider le Bsda parce qu’il y a une loi qui a été votée en 2008 pour améliorer le sort des artistes en mettant sur pied une nouvelle société de gestion collective en lieu et place du Bsda. Le directeur du Bsda peut toucher 18 millions par an alors que moi, malgré tout le travail de création que j’abats je ne touche même pas 500 000 francs tous les six mois. Il faut que l’on cesse de se voiler la face et que le ministre de la Culture, qui était un artiste, se penche sur les problèmes que rencontrent les artistes. A la limite, je ne veux pas parler parce que j’ai un respect pour ceux dont je parle. On n’est pas impatients, mais rien ne s’améliore. Personnellement, je n’ai pas constaté de véritables avancées et je ne suis pas le seul à le déplorer. A vrai dire il faudrait que l’on fasse table rase du Bsda et que la nouvelle société de gestion soit mise sur pied sur la base de considération constructive. Qu’on cesse la politique, les protocoles et les trafics d’influence qui ont cours actuellement au Bsda. Il faut qu’on aille à l’essentiel. La lassitude s’installe alors qu’il ne devrait pas en être ainsi. Je ne jette pas de pierres à qui que ce soit mais la situation des musiciens est catastrophique.
Source : La Tribune