par Abdoul Aziz Kebe Enseignant-chercheur UCAD

Date:

Il y a des moments dans la vie des nations où la rencontre entre le peuple et ses dirigeants autour d’un Pacte relève d’un acte de foi. Car ce sont des moments où le destin de la Patrie, dans tout ce qu’elle contient de culturel et de cultuel, de spirituel et d’idéologique, est en jeu. Ce sont des moments de consolidation des consensus parce que l’enjeu est l’édification de la nation pour aujourd’hui et le futur.

Ce moment du Plan Sénégal Emergent et du succès de notre pays à travers le périple du président de la République est un de ces instants qui marquent positivement et durablement. Et il est réconfortant dans un moment d’espoir pour les uns et de doute pour les autres, que le président de la République, ait démontré sa capacité de focaliser l’intérêt des partenaires sur notre pays et leur confiance dans une vision porteuse d’émergence. Il ne s’agit pas ici de chimère ni d’utopie mais de rêve, de rêve réalisable par des actions mesurables dans un temps déterminé. Cela est à la portée de notre nation dans les conditions d’unité autour du projet, de bonne gouvernance dans l’exécution et de comportement citoyen dans l’accompagnement.

En un mot, il s’agit de décliner l’exécution du Plan Sénégal Emergent dans le cadre d’un Pacte des Sénégalais pour l’Emergence. Ce qui veut dire qu’il nous faut amorcer un nouveau processus de contrat social qui ferait du PSE une direction, dans sa signification mobilisatrice du collectif et un sens pour maintenant et demain, dans sa mise en oeuvre. Ce faisant, par le concours de ce collectif mobilisé pour se tenir debout, pour de bon, le Pacte contribuera à cet autre rêve de renaissance.

1- Unité autour du Plan

Le Plan Sénégal Emergent repose sur un trépied et est animé d’un esprit qui lui assure une dynamique et un élan. Il est une invite à l’établissement d’une véritable union sacrée autour de l’intérêt général pour les générations actuelles et futures.

Le premier pilier de ce trépied c’est d’abord un diagnostic froid de la situation du pays pour en déterminer, en toute objectivité, les handicaps mais aussi les atouts. C’est l’exercice qui consiste à se connaitre pour s’ajuster et tendre vers le meilleur. La connaissance de soi est un principe fort chez les philosophes mais aussi chez les mystiques. Mais elle ne peut être une ressource si cela repose sur une présomption ou une prétention. Elle doit servir à une amélioration qualitative continue qui s’appuie sur les atouts pour transformer les handicaps. C’est un exercice d’humilité pour assumer ses
responsabilités. L’autre élément du trépied c’est l’urgence à réhabiliter la dignité des plus défavorisés, des plus démunis, par une solidarité ici et maintenant avec toutes politiques sociales déjà en actes.

La protection des pauvres, des plus démunis, des orphelins et des étrangers est dans la quintessence des missions des Prophètes. Elle est le centre des préoccupations des religions qui l’articulent autour des notions de compassion et de miséricorde. Dans l’islam, elle est la finalité de la Zakat, une obligation à caractère social pour réduire les inégalités. Chez les mystiques, elle est la projection active de l’amour que l’on nourrit pour Dieu sur ses serviteurs. C’est un exercice d’altérité, d’amour et de proximité.

Lorsque le Coran exalte certaines personnes dans la Sourate l’Homme, c’est parce qu’entre autres actions, elles  »offrent la nourriture, malgré son amour, au pauvre, à l’orphelin et au prisonnier ». Elles le font par devoir et de façon désintéressée car (disant): «C’est pour le visage d’Allah que nous vous nourrissons: nous ne voulons de vous ni récompense ni gratitude ».

Quand le Coran décrit, dans la Sourate la Cité, les gens de la droite, c’est à dire de la droiture, il cite  »ceux qui s’engagent dans la voie difficile », pour l’aplanir. Il dit :  » Et qui te dira ce qu’est la voie difficile? C’est délier un joug [affranchir un esclave], ou nourrir, en un jour de famine, un orphelin proche parent ou un pauvre dans le dénuement. Et c’est être, en outre, de ceux qui croient et s’enjoignent mutuellement l’endurance, et s’enjoignent mutuellement la miséricorde. » C’est ce défi presque révolutionnaire qui consiste à réduire les inégalités, afin que la santé et l’éducation soient accessibles à tous et que chaque enfant puisse espérer  »devenir » que l’on doit relever ensemble.

Enfin le dernier élément est constitué par la capacité de se transporter vers le futur avec lequel on prend rendez-vous, avec optimisme et générosité. Car, si l’on n’a pas l’intention de faire de sorte que la promesse du futur soit, dans les actes, meilleure que l’état de ce jour, alors on aura trahi les espoirs. Mais sans la mobilisation du collectif pour le rendez-vous avec le futur, il est impossible de transformer positivement la situation de départ pour le bénéfice de tous et de chacun. Or, c’est là toute la signification de notre existence sur terre: apporter une valeur ajoutée et laisser un héritage viable aux générations à venir. Celui qui ne comprend pas cette responsabilité qui consiste à préserver, améliorer et transmettre, celui-là qui ne l’assume pas comme il se doit, peut être compté parmi les insouciants et les négligents. Et l’on se rappelle que les insouciants sont considérés par le Coran comme semblables au bétail dont l’existence se limite à se nourrir et à jouir sans se préoccuper du lendemain.

La responsabilité de préserver, améliorer et transmettre est aussi transcrite dans la sagesse de nos terroirs. Dans la belle formule de mise en garde, »mujje puso Ba mu réer gàcce la », que se plaisait à rappeler Mame Dabbakh, transparaissent clairement à la fois le devoir de préserver et l’obligation de transmettre. C’est dire que nos cultures, si on se donne la peine de les valoriser, sont assez instructives pour impulser des actions donnant un sens à l’existence.

Ces propos nous montrent que nos sociétés ont bel et bien inscrit dans les consciences que la responsabilité de transmettre, c’est-à-dire la responsabilité d’assurer la continuité était en partie entre les mains des générations présentes. Mais transmettre ne signifie pas l’immobilisme, car la transmission est elle-même mouvement, elle est donc transformation. Et nos cultures nous apprennent à intégrer la dynamique de l’évolution et la perception d’un futur à planifier et à maitriser, et non d’un lendemain à subir avec fatalisme.

Cela est perceptible dans l’annonce de la perspective que recèle l’adage  »adduna da fa gudd tànk », et dans la prévention du lendemain dans  »ëllëg du reer wante da nu koy s?dd ». C’est autour de ces réalités à la fois spirituelles, culturelles et factuelles qu’il est possible de comprendre la projection du PSE sur le futur porteur d’émergence et de renaissance. Mais il faut un esprit pour animer un corps, le rendre vif et agissant. Ici, c’est le partage qui en a constitué le souffle en procédant à la consultation des sachants comme nous l’enseignent les écritures. Le Coran nous enjoint d’interroger les sachants au cas où nous ne détenions pas les connaissances requises, aux verset 43 de la Sourate Les Abeilles et 7 de la Sourate les
Apôtres.

Cette injonction est valable aussi bien pour les affaires relevant du rituel comme pour celles relevant des affaires de la Cité. Le Prophète Psl en a donné à plusieurs reprises des illustrations dans sa vie et dans son compagnonnage avec ses saints çahabas.

Cette implication des experts est le premier niveau de la consultation suivi par celle des autres segments de la société à travers les secteurs productifs et les organes de représentation et de délibération qui ont validé ce plan et ont décidé de le soutenir. Cette consultation est un gage de réduction des erreurs, des errements et des remords qui pourraient s’ensuivre comme nous l’enseigne le Prophéte de l’Islam, Psl: « MAA KHAABA MAN ISTASHÂRA ».

Cependant cette concertation préalable ne peut signifier la recherche de l’unanimité. C’est un indicateur d’inclusivité mais la décision est du ressort de l’autorité qui est la seule à la prendre et à l’assumer en faisant confiance à Dieu. Le Coran nous dit : « Wa shâwirhum fil-Amr, fa izâ ‘azamta fa-tawakkal ‘alal-Lâh innal- Lâha yuhibb al-Mutawakkilîn/ Et consulte-les à propos des affaires; puis une fois que tu t’es décidé, confie-toi donc à Allah, Allah aime, en vérité, ceux qui Lui font confiance ».

Si donc le PSE repose sur un tel trépied et est animé de cet esprit de partage et de responsabilité assumée, on peut vraisemblablement l’accompagner par une adhésion aux intentions avouées et une vigilance pour qu’elles ne soient pas trahies. Cela est vital non pas pour le plan en tant que tel, mais pour que le capital confiance dont a joui le Sénégal, soit au terme du contrat un plébiscite. Pour que ce qui distingue notre pays, c’est à dire la trajectoire de son Etat, les compétences de son administration et de son secteur privé, le leadership de son Président, la sagesse de ses autorités spirituelles, le sens de responsabilité de son peuple et de ses acteurs politiques, soient toujours un trait discriminant dans le concert des nations. Cependant, ce Pacte des Sénégalais pour l’Emergence que j’appelle de toute ma foi, nonobstant nos différences qui nous enrichissent, ne serait réel que si les termes qui nous lient au Plan sont claires et acceptées par tous : la bonne gouvernance et les comportements citoyens.

2- Bonne gouvernance et renouveau citoyen

C’est parce que nous sommes convaincus que le seul flot de financement ne suffit pas pour assurer l’émergence et la renaissance dont nous rêvons que nous en appelons au renforcement du renouveau citoyen pour promouvoir et protéger la bonne gouvernance. Nous avons vu des Etats aux ressources importantes sombrer dans le déclin et le chaos faute de gouvernance vertueuse. Cela nous renseigne sur le fait que sans cette gouvernance vertueuse et le comportement citoyen, toutes les ressources du monde seront vaines. Ibn Tayliyya a raison de dire qu’un Etat non vertueux ne peut être stable même si c’est un Etat musulman tandis qu’un Etat juste reste stable même s’il n’est pas un Etat musulman.

Notre Etat aujourd’hui est engagé sur la voie de la transparence, de la légalité et de l’équité. Il est conscient, parce que ceux qui l’incarnent au plus haut point ne cessent de le répéter, qu’il doit être redevable aux citoyens. Ce sont ces valeurs proclamées par l’Etat qui s’efforce de les mettre en pratique, combinées à celles de la citoyenneté que nous devons inscrire définitivement dans nos habitudes de façon à les traduire en véritables traditions dans notre pays. Cela est une exigence des temps actuels mais aussi c’est une direction indiquée par nos croyances et religions. Nous l’avons simplement négligé par paresse quelques fois, par égoïsme d’autres fois.

Pourtant, ces valeurs font bien partie de la foi, en ce qui concerne l’islam. Lorsqu’on interroge les causes qui entourent l’envoi des Prophètes, on a vite fait de comprendre que c’est pour établir le règne du droit, le respect de l’équité et de la justice dans la conduite des hommes et des sociétés, compte non tenu de la diversité de leurs penchants politiques ou idéologiques. Le Coran le dit Trés clairement dans les versets 25 de la Sourate le Fer:  »Nous avons effectivement envoyé Nos Messagers avec des preuves évidentes, et fait descendre avec eux le Livre et la balance, afin que les gens établissent la justice ». Ailleurs, il nous apprend, dans la sourate les Femmes, que la vertu dans la gouvernance est aussi dans la ‘redevabilité » lorsqu’il dit:  »Certes, Allah vous commande de rendre les dépôts à leurs ayants-droit, et quand vous jugez entre des gens, de juger avec équité. Quelle bonne exhortation qu’Allah vous fait! Allah est, en vérité, Celui qui entend et qui voit tout. »

Une telle exhortation s’adresse d’abord aux dépositaires de mandat et aux organes qui jugent. Ce qui nous fait dire que c’est l’Etat dans ses divers organes qui est le premier visé par cette exhortation à se conformer à la légalité et à assurer une égalité parfaite entre les citoyens. Sans cela, l’Etat se détourne de la voie du Droit et emprunte le chemin de la tyrannie. Cependant, il est important de noter que la prescription de la vertu dans la pratique de l’Etat n’est pas une fatalité. Elle n’est pas de la seule responsabilité de l’Etat, elle est aussi tributaire de la relation des citoyens avec le Droit et de leur aptitude à se soumettre eux-mêmes à la loi, quels que soient leur naissance, leur rang et leur prestige social. Et c’est de là que résulte notre nécessaire conversion ou reconversion aux valeurs citoyennes.

Pourtant en puisant dans les enseignements de nos guides spirituels, qui explicitent les enseignements fondamentaux de l’islam, nous trouvons les ressources qui nous confortent dans la voie de la gouvernance vertueuses et des valeurs de la citoyenneté.

Dans une belle leçon prodiguée à Serigne Issa Diene, Serigne Touba, en prenant comme illustration l’attitude du chef de gare qui ne retarde pas le départ du train sous sa responsabilité pour la simple raison qu’il attend l’arrivée de son chef ou de son marabout, montrait que le rang et la naissance ne devaient pas être un privilège discriminant devant la loi et devant le règlement. C’est là l’enseignement du Prophète de l’islam qui établissait l’égalité devant la loi entre sa fille Fatima et tout autre musulman.

C’est cette conscience citoyenne, fruit du discernement qu’exalte le Coran dans la Sourate Rahmân, qu’il nous faut acquérir pour sceller ce Pacte pour l’Emergence, une alliance sincère pour le Sénégal, dans l’espoir de donner à notre existence un sens par l’apport de plus-value et la transmission d’un e nostalgie du futur pour les jeunes générations.

Abdoul Aziz KEBE
Enseignant-chercheur UCAD

4 Commentaires

  1. ENTRE COMPLAISANCE, AMBIGUÏTÉ ET HYPOCRISIE !!! Ce que nous attendons d’un érudit comme Mr Kébé, c’est une vision claire, infaillible, car inspirée des ‘’Textes Sacrés’’ (Coran, Évangile, Thora) qui convergent parfaitement dans les principes fondamentaux. Nous comprenons très mal qu’il veuille justifier la pertinence d’une vision laïque par le Coran ; et à l’évidence, ses appels à la justice, à l’équité et à la bonne gouvernance ne seront que des vœux pieux. Oui, il ne peut pas y’avoir de justice et de bonne gouvernance dans une communauté musulmane qui a opté pour la laïcité (‘’Dieu entre parenthèses’’) ; le Coran est très explicite : (8) ô les croyants ! Soyez stricts (dans vos devoirs) envers Allah et (soyez) des témoins équitables. … Pratiquez l’équité : cela est plus proche de la piété. Et craignez Allah. Car Allah est certes Parfaitement Connaisseur de ce que vous faites. … (44) Nous avons fait descendre le Thora dans laquelle il y a guide et lumière. … Et ceux qui ne jugent pas (ne se réfèrent pas) d’après ce qu’Allah a fait descendre, les voilà les mécréants. (45) … Et ceux qui ne jugent pas (ne se réfèrent pas) d’après ce qu’Allah a fait descendre, ceux-là sont des injustes. (46) …. Et [à Jésus], Nous (Dieu) avons donné l’Evangile, où il y a guide et lumière, pour confirmer ce qu’il y avait dans la Thora avant lui, et un guide et une exhortation pour les pieux. (47) Que les gens de l’Evangile jugent d’après ce qu’Allah y a fait descendre. Ceux qui ne jugent pas (ne se réfèrent pas) d’après ce qu’Allah a fait descendre, ceux-là sont les pervers. (Cor. 5 : 8 … 44-47 – La Table Servie – Al-Mâ’idah). Qui peut être plus inconscient qu’un Etat qui refuse de se référer à Dieu ? Tout ouléma véridique doit être persuadé que nous sommes sur une trajectoire irrémédiable de perdition, en dépit des milliards d’investissement promis, tant que nous n’aurons pas renoncé à l’option laïque – Un défi coranique !!! Malheureusement, la plupart des oulémas sont actuellement plus ou moins assujettis au pouvoir temporel et ont perdu toute crédibilité, comme l’avait prédit le Prophète (PSL) : – Anas rapporte ces propos de l’Envoyé de Dieu – sur lui la grâce et la paix- : « Il y’aura à la fin des temps des lettrés véreux ; que celui qui vivra à cette époque demande la protection de Dieu contre Satan le lapidé, car ils sont ce qu’il y’a de plus puant ! Puis apparaîtront des couvre-chefs (oulémas à la solde du pouvoir). Nul en ce temps-là n’aura plus honte de l’adultère et de l’usure … (Thirmidhi, Al Hâkim) … – « – Parmi les conditions de l’Heure (fin des temps) : la multiplication des prédicateurs sur les minbars et la sujétion des savants aux gouvernants, si bien qu’ils déclareront interdit ce qui est licite et déclareront licite ce qui est interdit et leur donneront des conseils juridiques (fatwa) conformes à leur passions. ». (Suivant Al-Daylani dans un hadith transmis par Alî). NE SOMMES- NOUS PAS TOUS HYPOCRITES ?

  2. Jai limpression que vous defendez ce plan sans meme le lire,
    vous nous demande davoir confiance en ce plan sans nous dire pourquoi
    en fait vous donner des arguments qui nont aucun rapport avec le fond du document pse

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

CAN 2023

DEPECHES

DANS LA MEME CATEGORIE
EXCLUSIVITE