Il suffit de faire un tour au Plateau, siège de plusieurs ministères pour se rendre compte de l’impact de l’élection présidentielle sur l’administration et les Institutions de la République. Ce n’est plus le branle-bas ni la foule des grands jours dans ces lieux jadis débordant d’activités. Cela remonte en réalité bien avant le scrutin car le pays a été très tôt installé dans une campagne électorale anticipée avec le débat et les manifestations sur la recevabilité ou non de la candidature du président sortant. La conséquence de tout ceci, c’est le ralentissement, pour ne pas dire le blocage du fonctionnement normal de l’administration.
Le palais de la République n’est plus ce lieu où on voit entrer et sortir des véhicules de luxe avec, à bord, des diplomates ou autres ministres venus voir le président. Le maître des lieux n’a plus le temps d’accorder des audiences. A part, bien sûr, des audiences politiques. Seuls les gendarmes qui assurent la sécurité sont visibles dans la cour et aux alentours. L’atmosphère n’est plus gaie.
‘Il y a, bien sûr, des agents de la présidence qui sont là. Ce sont des fonctionnaires comme les autres. Mais, tous les responsables politiques qui travaillent au palais sont en train de battre campagne. Ici, toutes les audiences tournent autour des stratégies pour la victoire du président sortant’, révèle un agent du secrétariat général de la présidence de la République, sous le couvert de l’anonymat. ‘Le jour, le président est en tournée à l’intérieur du pays ; le soir, il reçoit les militants venus demander des moyens de campagne’, ajoute-t-il dans un éclat de rire.
Ce n’est pas seulement la présidence que les choses marchent au ralenti. C’est également le cas dans les ministères plus ou moins politiques -ou politisés- tels que le ministère du Tourisme, de l’Education, de l’Enseignement technique et de la formation professionnelle. Un tour effectué dans ces ministères a permis de constater que la campagne électorale a fini de tout y paralyser. C’est le service minimum : les chefs de services et certains agents, pour la plupart des responsables politiques, sont en congé pour raison de campagne et ‘sont sur le terrain’, comme on dit. Quant à ceux qui sont sur place, ils ‘gardent la boutique et expédient les affaires courantes et urgentes’, selon l’expression d’une source trouvée sur place et qui a préféré garder l’anonymat. Les rares fonctionnaires présents à leur poste ne ploient pas sous le poids des dossiers car, renseigne la même source, ‘presque tout est à l’arrêt, aucun engagement ne peut être pris actuellement’. C’est donc l’expectative, on attend l’issue du second tour et la formation d’un nouveau gouvernement.
Un tour dans les restaurants de ces différents services de l’administration centrale permet aussi de se rendre compte de cette absence d’effervescence : ce n’est pas le grand rush et les tenants de ces établissements jadis bondés aux heures de pointe se plaignent de ce manque à gagner. ‘S’il en est ainsi c’est parce que même les agents qui viennent au bureau le matin préfèrent rentrer plus tôt que d’habitude’, confient en chœur les tenanciers de ces restaurants.
Autre lieu, même décor. A l’Assemblée nationale, si le personnel technique est présent pour l’essentiel, ce sont les députés qui sont inscrits sur la liste des abonnés absents. ‘Il n’y a plus de sessions parlementaires, faute de projets de lois envoyés par le gouvernement qui n’a pas réuni son conseil des ministres depuis le 02 février passé’, renseigne notre interlocuteur trouvé sur place. Selon ce dernier, tous les députés et les sénateurs sont en campagne dans leur base politique.‘Surtout ceux qui ont été battus dans leur fief et qui font tout pour inverser la tendance au risque de se faire sanctionner si toutefois Wade arrive à être réélu’, précise-t-il. Et il faut dire qu’ils sont légion et le premier d’entre eux, le président de l’Assemblée nationale, Mamadou Seck, battu dans sa base à Pikine, est de ce lot. Le silence imposant des lieux tranche d’avec les va-et-vient habituels. C’est le signe d’une absence d’activités parlementaires dans ce haut lieu où doit battre normalement le pouls de la démocratie d’un pays.
Le palais de Justice, les ministères des Finances et de l’Intérieur gardent la maison
Trois exceptions confirment la règle. Il s’agit du palais de Justice de Dakar, du ministère de l’Economie et des Finances et de celui de l’Intérieur. Dans ces trois départements de ‘souveraineté’, on ne note aucune paralysie. Au Temple de Thémis, les audiences se tiennent normalement et les justiciables sont au rendez-vous car, explique un magistrat, ‘il y a des dossiers et des documents administratifs et judiciaires qui ne peuvent souffrir d’aucun délai sans préjudice pour les Institutions et le peuple’.
Au Centre Peytavin, siège du ministère de l’Economie et des Finances, endroit sensible, stratégique et technique, la plupart des agents sont sur place et travaillent comme à l’accoutumée. Le blocage de cette institution est ‘impensable’, indique-t-on, car cela paralyserait tout l’appareil étatique. Ici, ce sont plutôt, curieusement, les usagers qui se font désirer. L’autre explication, c’est que le patron de l’Economie et des Finances n’est pas aussi politique que ses autres collègues. ‘On ne connaît pratiquement pas de base politique à Abdoulaye Diop à part qu’il est de Thiès’, plaisante un agent du ministère des Finances.
Non loin de là, on ne plaisante pas. C’est la place Washington, siège du ministère de l’Intérieur. La sécurité y est renforcée par une présence impressionnante au niveau de chaque porte d’entrée. ‘Ici tout le monde est à son poste. On ne fait pas de la politique. Nous attendons le samedi et le dimanche prochain (jours de vote des militaires et paramilitaires, Ndlr) pour accomplir notre devoir de citoyens. Au contraire, nous sommes beaucoup plus présents ici en ces périodes de campagnes électorales pour veiller sur la sécurité du pays’, explique un policier en civil qui fait les ‘100 pas’ le long du mur du ministère, le temps de griller une cigarette.
Abdoulaye BAH & Georges Nesta DIOP
walf.sn