Le chef de l’Etat a été détourné du chemin de Médina Baye, le jour du Maouloud, pour lui faire inaugurer une usine textile qui ne fonctionne pas. Et on lui a présenté des tissus sortis d’ailleurs. Ce qui pousse à se demander à qui profite ce «crime», et pour quels intérêts ce montage a-t-il été fait ? Par Mohamed GUEYE
Le Sénégal doit une fière chandelle au ministre d’Etat Ousmane Ngom, qui vient de réussir enfin, là où nombre de ses prédécesseurs se sont cassé les dents. Voilà enfin un homme qui, tout seul, avec l’aide de son ami Secondi, a pu relancer l’activité textile au Sénégal. On les a vus le jour du Maouloud, aux côtés du chef de l’Etat, à Kahone, à «l’inauguration» de leur usine textile. Tout heureux, les deux compères montraient à Me Abdoulaye Wade les tissus qu’ils ont pu sortir des machines de l’usine Polytexka de Kahone, qui a été reprise par l’homme qui venait de couler la Sotiba à Dakar, et d’en morceler le patrimoine foncier.
Activité ressuscitée
Grâce à Me Ousmane Ngom, la Sodefitex, et tous les producteurs de coton du Sénégal qui travaillent avec elle, vont recevoir un coup de pouce des plus salutaires. En cette période de marasme de la production, quand tous les cotonculteurs d’Afrique ne savent plus comment faire relancer leur activité, plombée par des prix au producteur trop bas et par une baisse de la productivité des terres, lui, promet, que l’unité «ressuscitée» à Kahone pourra consommer un minimum de 3 000 tonnes de coton local à ses débuts. Ce qui pousse le chef de l’Etat à souhaiter l’extension à l’ensemble du territoire national, de la culture du coton…
Non, tout cela n’est ni un rêve, ni le scénario d’une comédie de troisième catégorie. C’est un film qui se passe sous nos yeux, et dans les plus hautes sphères de l’Etat. On pourrait l’intituler : La Grande Supercherie. Le dernier communiqué du Conseil des ministres, dit ceci, notamment : «Le chef de l’Etat a, dans la même démarche, manifesté tout l’intérêt qu’il accorde au développement de l’industrie textile dont l’inauguration de l’unité industrielle de Kahône constitue un maillon essentiel pour le développement de la filière. Il a, à ce sujet magnifié les performances de cette usine et lancé un appel en vue d’augmenter la culture du coton dans les zones de production et de promouvoir sa rentabilité dans le nord du Sénégal. Le président de la République a, en outre, demandé au gouvernement de faire une étude exhaustive de la géographie de la production du coton et d’étudier les modalités de son extension sur toute l’étendue du territoire national.»
A quoi devons-nous ce rêve, (ou ce cauchemar) ? Voilà un chef de l’Etat, à qui on présente des tissus prétendument sortis d’une usine qui n’est pas équipée pour en produire de ce type, et qui s’extasie ingénument, rêvant déjà de voir le pays reprendre sa place tant rêvée de producteur de textile. Or, tous les spécialistes ont dû dire au ministre de l’Industrie, Ousmane Ngom, que l’industrie textile de ce pays est bel et bien morte dans sa forme ancienne. Et les résidus qui résistent encore, comme la Cotonnière du Ca-Vert (Ccv), ne tiennent que pour avoir choisi des niches dans lesquelles leur compétitivité tient à leur réactivité et à l’innovation. Pourquoi alors, et dans quel but, le ministre d’Etat Ousmane Ngom est en train de faire prendre au président de la République, des vessies pour des lanternes ?
Tissus imprimés à lisière fermée
On a montré des tissus imprimés au Président, lui disant qu’ils viennent des machines de Polytexka. Or, d’anciens travailleurs de cette usine assurent que «les machines de la Sotexka qui sont installées à Kahone, et que Polytexka a reprises, ne peuvent pas sortir des tissus à lisière fermée». Ce sont ces tissus qui font les pagnes, entre autres. Ce que faisait la Sotiba au temps de sa splendeur. Les tissus que l’usine est en mesure de produire, si elle fonctionne, ce qui n’est pas le cas, sont à lisière ouverte. C’est-à-dire, pour fabriquer des chemises, ou d’autres vêtements de confection… Mais, l’usine n’a jamais pu fonctionner depuis longtemps. Ce qui avait justifié que les pouvoirs publics l’arrachent brutalement à Indosen. De-puis que Secondi a pris la place de l’ancien concessionnaire, les machines n’ont toujours pas tourné, et beaucoup d’entre elles tombent en décrépitude, tandis que certaines sont dépouillées de leurs pièces et vendues en catimini. De ce fait, une unité industrielle qui n’a pas vraiment tourné depuis plus de deux ans, on se demande comment elle n’est pas encore tombée en ruine.
Des spécialistes du textile, et il y en a encore beaucoup dans ce pays, considèrent que toute cette affaire de Polytexka doit cacher quelque chose de pas net. Au-delà des capacités financières et techniques du projet et de son promoteur, dont il y aurait encore beaucoup à dire, les connaisseurs se posent encore et toujours la question de la cohérence technique du déplacement des activités de la Sotiba à Kahone.
Car ce faisant, tous les coûts des facteurs de la production ont quasiment été multipliés par deux, et sans aucune niche de compensation. A part le besoin de libérer l’espace foncier pour dépecer le terrain de l’ancienne Sotiba, quel intérêt y avait-il à se déplacer jusqu’au-delà de Kaolack, si c’est pour faire la même chose que l’on faisait –déjà à perte – à Dakar ?
Le ministre, frein au développement du textile ?
Secondi était censé redémarrer l’usine de Sotiba Simpafric, et non se faire du fric en vendant les terrains en morceaux. Dans l’état où l’avaient laissée Ibrahima Macodou Fall et ses associés indiens, l’usine Indosen de Kahone nécessitait au minimum 2 milliards de francs Cfa pour son redémarrage. Combien M. Secondi, qui ne payait déjà plus les employés de Sotiba, a-t-il mis pour faire prendre l’usine ?
Ensuite, on a entendu dire que l’unité de Kahone fonctionnait avec 1 800 employés environ. On se demande d’où vient tout ce monde, si l’on sait que même aux moments où elle a fonctionné plus ou moins normalement, à plein régime, Kahone n’a jamais dépassé 500 personnes. On le voit, Ousmane ngom et Secondi doivent beaucoup de réponses à l’opinion publique sénégalaise.
Cela serait utile, pour dissiper le malaise né de cette affaire. Et surtout, pour donner tort à quelqu’un qui, comme Ibrahima Macodou Fall, le repreneur chassé de cette usine, n’hésite pas à dire que Ousmane Ngom est un frein au développement du textile au Sénégal.
Il y a quelque temps déjà, interrogé par Le Quotidien, M. Fall déclarait : «Le ministère de l’Industrie n’existe pas au Sénégal. On n’a pas les compétences qu’il faut là-bas. Si on veut faire du travail sérieux, si on veut relancer la filière textile, on doit rattacher le ministère de l’Industrie dans celui de l’Economie et des Finances, où l’on trouve encore des compétences à même de comprendre les enjeux.»
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