Petit traité de démagogie et de populisme (Par Alassane K. KITANE)

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Les analystes politiques devraient s’intéresser davantage au catch pour mieux rendre intelligibles certains faits politiques. Ce sport-spectacle fascine, car il y a
tellement de mise en scène dans les combats que le spectateur est constamment dans la confusion. Ce sont de véritables acteurs en effet, car certains combats
sont montés juste pour choquer ou pour plaire le public. Certains verdicts sont définis à l’avance ainsi que certaines prises. Au final même si le spectateur sait
qu’il y a du trucage dans ce sport-spectacle, il continue à le regarder parce qu’il ne peut discerner la ligne de démarcation entre combat réel et combat truqué.
C’est exactement la même chose qui se passe dans l’espace politique : la mise en scène y est tellement ambiante que les citoyens se perdent dans la visibilité du
champ politique. Un vrai catcheur est un grand populiste : il sait ce qu’attend le public et le lui donne quitte à faire des prises dangereuses pour sa santé. John
Cena n’est pas seulement un grand athlète, il est surtout un grand comédien, un démagogue sur le ring : quand il prend la parole pour faire son « show », c’est
toujours pour parler au nom des fans. Ce n’est pas un hasard si lui et « the Rock » sont devenus de grandes stars à Hollywood.
Le tricheur, le plagiaire et le populiste sont des siamois. Ils ne créent rien, ils se contentent de répéter la partie la plus émotionnelle de l’œuvre ou du discours.
Les lieux communs sont ainsi élevés à la dignité de science parce qu’ils sont répétés inlassablement par sa cour de répétiteurs et de storytellers. Authenticité
factice, objectivité factice, profondeur factice garantissent le mythe de l’irréductibilité.

Le populiste (« politicien sans scrupule qui se présente de façon démagogique comme favorable aux intérêts du petit peuple ») vole au peuple ses émotions, ses
idées et ses espoirs. Le démagogue (« personne qui flatte pour manipuler le plus grand nombre et parvenir à ses fins ») berce le peuple de ses illusions pour
l’endormir et lui enlever sa capacité critique : c’est seulement de la sorte qu’il espère pouvoir le gouverner (démos+ago). Le démagogue dit au peuple ce qu’il
veut entendre (jamais il ne prononcera ce qui fâche la foule ou le public) tandis que le populiste surfe sur les idées les plus populaires, en fait son fond de
commerce, écarte tout sérieux dans le discours, et empêche toute lucidité.
La question de l’adossement de l’enseignement à notre culture, avec l’introduction des œuvres de nos saints dans les programmes scolaires, illustre
parfaitement les manœuvres populistes de nos élites. Les hommes politiques et, plus inquiétant encore, quelques intellectuels, décrètent qu’on doit introduire ces
œuvres dans l’enseignement, ce qui en soi est salutaire. Mais ils se gardent tous de poser les problèmes que pourrait poser cet enseignement dans l’école de la république. Nous savons tous que l’école est lieu où on cultive la critique sans complaisance : au regard de la configuration de notre société, sommes-nous
prêts à soumettre les écrits de nos saints à une telle rigueur ? Est-ce que cet enseignement devrait aussi porter sur les valeurs et doctrines véhiculées dans le
bois sacré ? Où commencer et où s’arrêter ? Populiste et démagogue savent qu’il y a un préalable avant l’introduction des œuvres de nos saints dans le système éducatif ; ils savent parfaitement qu’on n’enseigne pas aussi facilement ces saints qu’on enseignerait Cheikh Anta Diop, Kocc Barma, etc., mais comme il
s’agit de flatter le peuple, ils n’ont ni limite ni pudeur.
Quand ils sont dans l’opposition, populiste et démagogue déclament de façon emphatique les misères du peuple, exagèrent les crimes de ceux qu’ils
combattent et s’offrent en messies ou rédempteurs des torts. Le populiste est tellement obsédé par la popularité qu’il revendique tous les mythes de la société
et finit, sans s’en rendre compte, par s’incarner dans deux statures antinomiques.
Ils peuvent se réclamer de Senghor et de Dia, à la fois ; de Diouf et de Wade en même temps ! Ils revendiquent tour à tour Mandela, Rawlings, Sankara,
Lumumba, Cheikh Anta Diop, Nkrumah, etc. dont ils folklorisent les pensées et valeurs au point d’annihiler toutes leurs différences. Quand ils sont au pouvoir,
démagogue et populiste trainent les mêmes tares : ils s’enfoncent dans un gigantisme sans cohérence ni impact réel dans le vécu de leur peuple et
s’entourent d’une grande cour de laudateurs et de mystificateurs comme les prêcheurs, les mystiques et les savants de type Lyssenko.
La libération de l’Afrique est aujourd’hui le thème le plus squatté par les populistes (politiques, activistes et intellectuels). Pourtant cette problématique
n’est ni une déclamation ni un une gesticulation. Il s’agit d’une stratégie bien ficelée, mise en sourdine s’il le faut, le temps d’asseoir certains pré-requis sur le
plan de la politique intérieure et de la géopolitique. Il faut continuer à diversifier l’ouverture, profiter de la concurrence que certains pays font à la France et à
l’Europe, développer l’intégration régionale, asseoir une culture de l’innovation et de la transformation. Le reste sera une question de lecture opportune des
enjeux du moment et du monde. Le Singapour et l’Ile Maurice ont fait des bonds parce qu’ils n’ont pas réinventé la roue, ils ont simplement adapté leur position
géographique, leur ressources humaines et naturelles aux normes internationales.
La recherche d’industries à forte intensité de main-d’œuvre, l’incitation fiscale pour les entreprises high tech des conditions d’investissement, le port et
l’aéroport comme outil de développement, des politiques urbaines et environnementales comme avantages compétitifs. Il ne s’agira donc pas
d’adopter la vertu du sapeur pompier, mais plutôt celle du félin. La Chine a conçu et arraché sa liberté par une série de réformes courageuses, sans tambour
ni trompette. Ils sont passés par là culture pour apprivoiser la science et la technologie. Ils ont fait de ce qui était leur talon d’Achille leur force irrésistible : la démographie.
Le problème avec le populiste c’est qu’il prétend avoir créé le ciel à force d’en parler ; le démagogue enivre et déifié le peuple, il finit par convaincre une bonne
partie du peuple d’avoir créé tout le peuple. Le populiste fait descendre le ciel sur terre tandis que le démagogue fait monter la terre au ciel. Tous les deux sont
des faussaires, des imposteurs. L’ennemi du populiste est la lucidité (un peuple complètement lucide n’a plus besoin d’être leader) ; tandis que celui du
démagogue est la vérité (il sait que les foules n’aiment pas la vérité sinon elles ne seraient plus des foules).
Le projet populiste à l’ère du numérique passe exclusivement par les réseaux sociaux. C’est là qu’il faut endoctriner les jeunes et les intellectuels borgnes. La
tactique est connue : il faut asservir les journalistes au désir de la célébrité. Le nombre de vus et de commentaires favorables est proportionnel à la façon
« amicale » ou « objective » dont il traite le projet populiste. Les journalistes les plus fragiles, de même que les intellectuels frileux craquent devant ce chantage
affectif qui est le moteur d’un chantage politique dissimulé. Mais la faiblesse du populisme et du démagogue c’est l’égo. C’est ainsi que Macky Sall a éliminé
des concurrents et chaque fois que l’un d’eux tombe, certains voient cette chute comme une aubaine à leur propre promotion. Si une troupe de cinq lions réussit
à isoler un buffle parmi un troupeau qui en compte une centaine, c’est parce qu’ils savent compter sur la lâcheté et l’égoïsme des buffles pour les asphyxier mentalement.

Alassane K. KITANE

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