Le programme de 1800 milliards annoncé par le chef de l’État, Macky Sall, en marge du dernier Conseil des ministres délocalisé le mercredi 20 juillet dernier à Pikine, pour «mettre la région de Dakar sur les rails de l’émergence» divise la classe politique. Interpellés hier, jeudi 21 juillet, par la rédaction de Sud quotidien sur les enjeux de ce programme dont le coût avoisine la moitié des fonds annoncés par le gouvernement pour les quatorze régions du Sénégal, les acteurs ont diversement apprécié le programme triennal du chef de l’État pour la capitale. En effet, si pour Barthélémy Dias du Ps, Mamadou Diop Decroix d’Aj, Abdoulaye Seck de Bokk Gis Gis et Babacar Gaye du Pds, le président de la République est tout simplement en campagne déguisée, qu’il devrait arrêter de faire du bruit avec des chiffres qui n’ont aucune signification sur le terrain, pour El Hadj Mamadou Diao dit Mameboye de l’Apr et Mawloud Diakhaté de l’Afp, en revanche, ce programme montre que le gouvernement accorde une importance à la planification des politiques publiques, mais aussi une justice pour Dakar.
MAMADOU DIOP DECROIX, LEADER DU PARTI AND-JËF/PARTI AFRICAIN POUR LA DÉMOCRATIE ET LE SOCIALISME (AJ/PADS) : «Qu’il arrête de nous tympaniser avec des chiffres qui n’ont aucune signification sur le terrain»
«Vous le savez déjà probablement, je ne me prononce jamais sur les promesses du Président Sall. Je pense qu’il est plutôt plus pertinent de parler du bilan des promesses qu’il fait depuis 4 ans aux treize autres régions du Sénégal. Est-ce que les populations locales ont vu ces engagements se concrétiser. En tous cas, de l’avis de nos représentants à la base, les populations sont toujours dans l’attente de la matérialisation. Donc, plutôt que de se prononcer sur 1800 milliards dans les trois ans à venir, on devait plutôt voir pourquoi les projets à coût de milliards, annoncés depuis 4 ans, tardent à voir le jour dans les régions. Car moi, je ne crois pas au chiffre de 61% du taux d’exécution des engagements annoncé tout simplement parce que les chiffres, on les fabrique comme on veut.
On nous dit tout le temps que nous sommes en train d’avancer alors que des Institutions internationales qui, nous observent, disent que nous sommes parmi les 25 pays les plus pauvres au monde. Ce qui constitue un recul par rapport aux années antérieures. Le plus important donc, c’est de faire le point avec les populations des treize régions pour leur demander comment elles perçoivent, elles ressentent ou elles voient le pays depuis quatre ans. Est-ce que les choses avancent dans leur bien-être en termes d’emploi. J’en doute fort bien. J’ai présentement sous mes yeux un document sur les 700 migrants morts dans la méditerranée les mois passés, il y a 57 Sénégalais. Et chaque jour, il y a des jeunes Sénégalais qui sont décomptés parmi les victimes de ce drame de l’immigration tout simplement parce que l’espoir a déserté leur avenir.
Il faut donc qu’on arrête de nous tympaniser avec des chiffres qui n’ont aucune signification sur le terrain. Où sont les 500 mille emplois qu’il avait annoncés pour les jeunes sur sept ans. Après quatre ans, on devait être à environ 300 mille emplois aujourd’hui cette année, voilà des questions sur lesquelles, sa réponse était attendue. Mais, il a préféré continuer à parler de milliards qui n’ont encore rien régler. Tous les secteurs sont en agonie et les résultats du Bac sont là pour le démontrer».
EL HADJ MAMADOU DIAO DIT MAME BOYE APR : «Si l’opération de charme vise à régler les questions de service public… c’est tant mieux»
Aujourd’hui, ce qui est constant, c’est que je considère qu’il y a une démarche importante qu’on note dans la gestion gouvernementale. C’est celle de la planification des politiques publiques. Cela, nous permet d’avoir des visions à long et à moyens termes de ce qui doit être fait. Deuxièmement, aujourd’hui, je pense que dans l’opinion sénégalaise on a toujours pensé que Dakar a été bien servi alors que la banlieue dakaroise est le parent pauvre dans le cadre du bénéfice des politiques publiques et de la solidarité nationale. En guise d’exemple, vous verrez qu’un département comme Pikine, avec tout ce qu’il y a comme populations, ne pouvait même pas avoir d’écoles publiques, de lycées qui pouvaient absorber toutes les populations du département. C’est le même constat au niveau de Pikine et dans le département de Rufisque. Donc, définir une planification permet de régler toutes les questions relatives à l’assainissement, à l’accès à l’eau. Ce sont des zones, parfois, très sinistrées à l’évacuation des eaux et aux infrastructures de base.
Maintenant, est ce qu’il y a un impact politique ? Je ne le pense pas. Parce que l’impact politique signifie qu’on est en train de faire une opération de charme en direction des populations. Si l’opération de charme vise à régler les questions de services publics ou de commodité, qui sont nécessaires à la vie des populations, c’est tant mieux. Mais, si ce n’était que pour de la politique, je rappelle que nous contrôlons le département de Pikine, tout comme celui de Guédiawaye. Et que donc, ça pouvait être un non-sens que de dire que nous allons à la reconquête de ces deux départements.
MAWLOUD DIAKHATE, RESPONSABLE DE L’ALLIANCE DES FORCES DU PRPGRES (AFP) : «Ce n’est pas 1800 milliards que l’on décaisse et que l’on débloque»
Je voudrais d’abord rappeler que Dakar est la capitale du Sénégal, qu’il abrite plusieurs millions d’habitants et concentre plus de 80% des industries, des commerces et des activités du Sénégal. A ce titre, dégager 1800 milliards, dans le contexte de relance de l’économie et de l’émergence du Sénégal, je pense que ce n’est que justice. Parce qu’on sait que Dakar fait l’objet d’une politique de développement de sa banlieue, mais aussi de l’émergence de pôles comme celui de Diamniadio. Plus tard, le Lac Rose et même la zone de l’aéroport Blaise Diagne, méritent à ce titre là de recevoir l’attention de l’État. Parce que, les économistes et aménageurs, s’accordent à dire que la ville en tant que tel participe au développement économique du pays. Qui plus est, c’est l’aboutissement d’une tournée que le président de la République a effectué dans toutes les régions du Sénégal. L’attention portée à Dakar vient de montrer que la direction qui est prise est la bonne. Parce que Dakar est un condensé de problèmes sociaux, liés à l’urbanisation, aux infrastructures, à l’équipement, etc. On ne peut pas parler de développement du Sénégal, sans parler de Dakar revue sous un paradigme de développement durable. C’est ça qui est en train de se faire.
Il y a forcément un soubassement politique. Parce que le chef de l’Etat est un homme politique avisé. C’est le contraire qui m’aurait étonné que de ne rien octroyer à Dakar et de dire que Dakar peut se suffire à elle-même. Je crois que ce serais une erreur. Mais, le fait de consacrer 1800 à Dakar, ne signifie pas que c’est une valise de milliards apportée à Dakar. Ce sont des programmes sectoriels de ministères agrégés, des programmes contenus dans les lettres de mission des agences, qui sont agrégés, avec des projets financés par d’autres biais pour faire la somme des 1800 milliards. Ce n’est pas 1800 milliards que l’on décaisse et que l’on débloque pour régler des projets à Dakar. Je crois que la pédagogie du Premier ministre, Mahamad Dione, l’a bien démontré en montrant que les projets sont exécutés à 55%. Ce qu’il faut dans ce pays, c’est d’avoir beaucoup de pédagogies pour expliquer l’action de l’Etat. Parce que se sont les effets d’annonce qui induisent les gens à l’erreur. Il est maintenant temps que les sénégalais soient avisés, d’avoir une bonne pédagogie, une autre approche pour faire comprendre les décisions qui sont prises par l’Etat. Et ils sont aptes à la comprendre.
ABDOULAYE SECK, ADMINISTRATEUR DE LA CONVERGENCE DÉMOCRATIQUE BOKK GIS GIS : «Il doit savoir que la banlieue n’est plus ce qu’elle était»
«Les 1800 milliards promis aux dakarois ne peuvent pas être analysés de façon isolée dans le sens où ce montant représente près de la moitié de l’enveloppe prévue pour l’ensemble des quatorze régions du Sénégal qui est environ quatre mille milliards (4 milliards). Et, si on se réfère à ce qui est déjà fait dans les treize autres régions compte tenu des trois milliards environs promis, on se demande quel crédit peut-on donner à cette nouvelle annonce du chef de l’État, en dépit du taux d’exécution de 61% qu’il a annoncé. Car, ce qui est important, c’est l’impact des réalisations sur le vécu des populations et non un chiffre calculé à partir d’une calculatrice ou une feuille excel. Si on analyse les différents micros trottoirs réalisés par les différents médias, on se rend compte qu’il y a bel et bien un fossé entre ce que vivent les populations et les chiffres du gouvernement.
La sortie de la population de Sédhiou au lendemain du référendum pour dire qu’ils ont voté massivement non pour sanctionner la politique du président de la République qui n’a jusque-là, rien fait pour eux, prouve bien qu’il y a problème avec les chiffres du chef de l’État. Dans cette région de Sédhiou, le taux d’exécution des engagements est entre 0 et 2%, et ceci est pareil à Louga et à Diourbel que je connais très bien. J’ai vu aucune réalisation même dans le cadre du Programme d’urgence pour le développement communautaire (Pudc). Je ne sais pas donc où est-ce qu’ils ont tiré les 61% du taux d’exécution.
En plus, il y a une incohérence dans ce qu’ils ont dit concernant l’enveloppe de Dakar. J’ai entendu une autorité dire les 1800 milliards, c’est pour Dakar, ensuite, il est revenu pour dire : ce programme annoncé pour Dakar est indexé sur le Programme triennal d’investissements publics (Ptip) et qu’il ne reste que 126 milliards sur les 1800 milliards. Alors que tout le monde sait que ce programme appartient à toutes les régions du Sénégal. En outre, les réunions du Conseil des ministres délocalisées sont toujours programmées à la veille des programmes républicains. Si vous regardez bien, les premiers conseils étaient programmés à quelques mois des locales de 2014 et après, on a observé une trêve jusqu’à la veille du référendum. 80% des réunions sont tenues à moins de huit mois des locales et du référendum.
Actuellement, on s’achemine vers les législatives, la banlieue étant ce qu’elle est en termes de potentiel électoral, on ne peut s’attendre à autre chose. D’ailleurs, c’est la première fois que le président de la République fait les trois départements d’une même région à l’occasion d’une réunion du Conseil des ministres délocalisée. Ils se sont tous donné rendez-vous à Louga. Le Président n’a pas fait Kébémer, encore moins Linguère. Ailleurs, c’était la même chose. Ils se sont donné rendez-vous à Saint-Louis, à Ziguinchor et pour cette fois, on passe la nuit à Rufisque, on a une activité à Pikine, à Guédiawaye, à Keur Massar… Seulement, il doit savoir que dans la banlieue n’est plus ce qu’elle était. Car les études montrent que dans cette partie de Dakar résident des talents inouïs dans tous les domaines. Des gens qui savent décrypter ce qui se passe. Je pense que tout politicien qui n’aurait pas compris les choses de cette manière, va se mordre les doigts. Les gens vont accueillir tous les programmes et promesses.
Mais à l’heure du choix, ils sauront effectivement qui donner leur cartes d’électeurs. Les gens doivent arrêter avec les fausses promesses. Vous faites dissoudre des agences au moment où les jeunes peinent à trouver du travail. Vous annoncez trois milliards pour des vacances citoyens au moment où les gens continuent de souffrir des inondations où l’accès à l’eau potable fait défaut dans certains quartiers de Dakar. En somme, je pense qu’ils auraient dû trouver un autre alibi que de parler du Ptip. Car en disant que le programme annoncé pour Dakar est indexé sur le Ptip et qu’il ne reste que 126 milliards sur les 1800, moi, je donne ma langue aux chats».
BARTHELEMY DIAS MAIRE PS DE SACRE CŒUR MERMOZ : «Cela relève d’un mensonge d’Etat»
Je pense que le président de la République a entamé sa précampagne pour l’élection présidentielle. Je me trouve présentement dans la région de Kaffrine et je demandais aux kaffrinoises et kaffrinois si le président de la République a tenu sa promesse par rapport aux milliards annoncés à Kaffrine. Ici, aucun milliard par rapport à ces centaines de milliards n’a été aperçu. Ce sera la même chose à Dakar, malheureusement. C’est la même question qui s’est posée, il y a 15 jours, à Tambacounda. Il faut retenir qu’il y a plus de 2000 milliards promis par le président sur toute l’étendu du territoire national. Quand le gouvernement avance un chiffre de 55% de taux d’exécution, cela relève d’un mensonge d’Etat. Il faut que les sénégalais comprennent que le président Macky Sall prépare sa campagne et que malheureusement, nous le savons tous, les promesses électorales n’engagent que ceux qui y croient. Nous invitons le président à nous montrer ces milliards, et surtout comment il compte les mobiliser.
Dakar n’est la propriété privée de personne. Les dakarois sont des sénégalais avisés et avertis. Je pense qu’aujourd’hui tout espoir est perdu avec ce régime. Il faut que les dakarois et les sénégalais en général comprennent que c’est un régime finissant qui, malheureusement, est en train d’agoniser en versant dans des promesses interminables et irréalisables.
BABACAR GAYE PORTE-PAROLE DU PDS : «Le Président de la République entre prématurément en campagne électorale alors que les populations de Pikine, Rufisque et Guédiawaye vivent dans la misère et le désarroi»
Comme c’est devenu une habitude, le Président joue sa pièce de théâtre partout dans le pays. Il vient de boucler la dernière séquence du feuilleton des conseils des ministres délocalisés. Il avait promis plus de 3 mille milliards aux régions initialement visitées. Résultat: aucune réalisation qui n’avait pas été prévue dans les budgets précédents. La seule constante est que l’argent public est utilisé pour mobiliser les militants de l’Apr alors que la banlieue manque de tout. A travers ses visites, le Président de la République entre prématurément en campagne électorale alors que les populations de Pikine, Rufisque et Guédiawaye vivent dans la misère et le désarroi. Les 1800 milliards promis aux dakarois ne sont mobilisables que dans le cadre d’une loi de programme que, seule l’Assemblée nationale peut autoriser dans le cadre du PTIP. Or, même les analphabètes savent que les ratios budgétaires sont étroitement surveillés par nos partenaires techniques et financiers.
En politique, on a l’habitude de dire que les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Le Pds dénonce ces pratiques qui ne respectent ni la République, ni la Démocratie encore moins l’éthique de bonne gestion. Le moment venu, les populations de Dakar feront le bilan de cette supercherie pour le sanctionner en le renvoyant dans l’opposition.
Sud Quotidien