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Politisation des Ambassades du Sénégal : Les diplomates tiennent la chandelle

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Après dix ans de pouvoir absolu, la diplomatie du Sénégal est sous la coupe réglée du chef de l’Etat et de son fils, marquée par une excommunication rampante des vrais diplomates au profit des amis et proches de la famille présidentielle, mais aussi de certains gradés de l’Armée devenus gênants. Les nominations survenues au Conseil des ministres du 18 mars dernier l’accréditent.

Après dix ans de pouvoir absolu, la diplomatie du Sénégal est sous la coupe réglée du chef de l’Etat et de son fils, marquée par une excommunication rampante des vrais diplomates au profit des amis et proches de la famille présidentielle, mais aussi de certains gradés de l’Armée devenus gênants. Les nominations survenues au Conseil des ministres du 18 mars dernier l’accréditent. Aujourd’hui, un bilan de cet accaparement justifié par le principe du «domaine réservé» s’impose plus que jamais car s’il y a lieu d’arrêter les frais induits par une carte diplomatique aux relents impériaux.

Par Momar DIENG – [email protected] e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir

ImageDans Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand raconte comment Napoléon Bonaparte en vint à le nommer, après un bref entretien au cours d’une soirée mondaine, Premier secrétaire d’ambassade à Rome. «Il avait jugé d’un coup d’œil où et comment je pouvais lui être utile. Peu lui importait que je n’eusse pas été dans les affaires, que j’ignorasse jusqu’au premier mot de la diplomatie pratique ; il croyait que tel esprit sait toujours, et qu’il n’a pas besoin d’apprentissage. C’était un grand découvreur d’hommes, mais il voulait qu’ils n’eussent de talent que pour lui, à condition encore qu’on parlât peu de ce talent ; jaloux de toute renommée, il la regardait comme une usurpation sur la sienne : il ne devait y avoir que Napoléon dans l’univers.» Toute ressemblance avec un Bonapartiste de type sénégalais ne serait pas un pur hasard !
Les dernières nominations d’am-bassadeurs «décidées» par le chef de l’Etat lors du Conseil des ministres tenu le jeudi 18 mars reposent, encore une fois, les orientations imprimées à la diplomatie sénégalaise depuis dix ans. Comme d’autres ont appris à dénicher des talents sportifs ou artistiques, le Président Wade s’est transformé, lui, en découvreur de «diplomates». Depuis dix ans, il mène un combat sourd et acharné contre l’ordre diplomatique classique, combat derrière lequel son fils Karim Wade tient les manettes. Résultat : les représentations diplomatiques les plus prestigieuses de notre pays sont aux mains de parfaits inconnus dans le milieu : Amadou Tidiane Wone dit Baba au Canada, Fatou Danielle Diagne aux Etats-Unis, Maïmouna Sourang Ndir à Paris. Ces trois figures politiciennes, toutes des obligées du clan présidentiel, ont remplacé une troïka d’envergure : Issakha Mbacké, conseiller principal des Affaires étrangères, a déjà servi comme ambassadeur en Iran et en Turquie avant d’être affecté au Canada où, symbole de l’instabilité wadienne, il n’aura passé en tout et pour tout que…quatre mois. Et Dieu seul sait quand il retrouvera un poste. Amadou Lamine Bâ, qui n’est pas diplomate de formation, a une grande expérience de la vie politique américaine et une ouverture sur les mécanismes de l’aide internationale utiles à un chef de mission diplomatique au pays de tous les gigantismes. Quant à Doudou Salla Diop, en poste à Paris de 2001 à 2008, il a également servi au Maroc et en Mauritanie, passant sans fard du dioufisme au wadisme, mais doté lui aussi d’une solide expérience en la matière.
FIGURES POLITICIENNES
Ce n’est pas seulement dans les ambassades dites prestigieuses qu’existe la politique de déréglementation. Même dans la diplomatie dite de proximité, celle que les experts ont fini d’ennoblir, Me Wade s’est abonné à se passer de vrais diplomates. Depuis juin 2006, c’est une parfaite novice du landernau, Saoudatou Ndiaye Seck, conseillère technique externe à la présidence de la République et ex- ministre de l’Entrepreneuriat féminin et du Microcrédit dans l’un des mille et un gouvernements, qui est ambassadeur du Sénégal au Mali. Son prédécesseur, Amadou Dème, est un chevronné dont la carrière a débuté en 1973 au Nigeria en tant que premier conseiller. Il lui aura fallu 19 ans de services pour bénéficier du titre d’«ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire». Sous l’ère Wade, la quasi-totalité des nouveaux chefs de mission diplomatique hors sérail en ont bénéficié dès leur nomination. Les derniers en date, Amadou Tidiane Wone dit Baba et Fatou Danielle Diagne, ainsi que Maïmouna Sourang Ndir qui a en plus la Principauté d’Andorre dans sa juridiction, ont été intégrés dans cette logique.
La gestion des coteries politiques participe également de cette tendance à dépouiller la diplomatie de ses diplomates. Quand c’était le printemps entre le Président Wade et And Jëf/Pads, Babacar Samb, enseignant au Département d’arabe de l’université de Dakar, a pu être nommé ambassadeur du Sénégal au Caire. Car, à côté de ce que peuvent être ses compétences, le Pr. Samb devait cette promotion à sa proximité avec Landing Savané et Mamadou Diop Decroix. Et comme le Président Wade aime les profils universitaires, peut-être par déformation professionnelle, c’est à l’université Jules Verne de Picardie qu’il est allé chercher Nafissatou Diagne, une maître de conférences spécialisée en civilisation américaine, pour la bombarder «ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République du Sénégal» en Jamaïque auprès de Sa Majesté Elisabeth II, Reine d’Angleterre.
Djibo Kâ, devenu allié impénitent du président de la République, a réussi, comme beaucoup d’autres, à placer au moins un pion dans l’échiquier diplomatique de notre pays. Et pas n’importe où ! Sa camarade de parti, madame Batoura Kane Niang, a ainsi succédé au général Charles André Nelson au poste important de Conakry. Ambassadeur en Guinée depuis octobre 2008, celle qui assurait les fonctions de secrétaire nationale aux droits de la femme et de l’enfant à l’Union pour le renouveau démocratique (Urd) était la directrice adjointe du Centre Trainmar, une structure de formation supérieure aux métiers maritimes dont Djibo Kâ assura la tutelle lorsqu’il était ministre de l’Economie maritime. Du degré d’inexpérience de madame Batoura Kane Niang, est-il possible d’en tirer l’origine des déboires du Président Wade dans le bourbier guinéen après son soutien enflammé au capitaine Moussa Dadis Camara ? Qui peut le plus peut le moins, dit-on. Avec Cheikh Sadibou Fall dit «Claude» catapulté à Rome après un passage peu historique au ministère de l’Intérieur, le chef de l’Etat a un faible pour récompenser ses proches, parents, amis ou collaborateurs, sur la base d’affinités arrêtées.

GENERAUX ELOIGNES
Avec les militaires ou assimilés, c’est le principe de précaution qui prévaut, toujours au détriment d’un personnel diplomatique qualifié à la tâche, mais que l’on rechigne à considérer à une valeur juste. Le général Mamadou Niang n’est sans doute pas n’importe qui dans l’histoire récente de notre pays, dans son apport à la consolidation du processus démocratique. Mais devait-il être nommé ambassadeur à Londres d’abord, et au Brésil actuellement ? Fallait-il que le pouvoir politique trouvât la planque du Portugal pour occuper le général Pathé Seck ? Le général Pape Khalil Fall devait-il atterrir à Pékin ? Le pouvoir politique a une logique simple : il faut rendre «inactifs» les hommes de tenue rendus libres par le discrédit ou la retraite en les éloignant de l’épicentre par précaution, même si Wade dit par ailleurs que le Sénégal ne connaîtra jamais de coup d’Etat.
Il est bien évident que cette boulimie présidentielle à se passer allègrement des vrais diplomates, sur lesquels la collectivité nationale investit autant pour le prestige de notre pays que pour l’efficacité de leur rendement en vertu du principe du retour sur investissement, est inséparable de la nature de l’homme. La diplomatie d’un pays est toujours à l’image de son chef, notent les experts. Or, ce chef-là nourrit de grosses ambitions pour un fils qui influence d’une manière ou d’une autre les nominations diplomatiques, type strapontin ou genre stratégique, qui surviennent dans notre pays. Mais dans tous les cas, le raisonnement semble ficelé : les diplomates, les vrais, feront toujours le boulot exigé de leurs fonctions ; quant à la représentation, des politiques sortis des entrailles de la proximité idéologique ou affairiste s’en chargeront. Si c’est ainsi, il ne serait pas superflu d’arrêter les frais de formation des diplomates et ouvrir un centre de formation accélérée dédié aux cadres sénégalais susceptibles d’intégrer la famille de la diplomatie.
Et qu’est-il advenu de Chateaubriand face aux avances de l’empereur ? Napoléon, dit-il, «échoua dans sa première tentative ; il revint à la charge, et sa patience me détermina. J’acceptai la place qu’il avait mission de me proposer, sans être le moins du monde convaincu de mon utilité au poste où l’on m’appelait : je ne vaux rien du tout en seconde ligne». Chez nous, la première ligne, c’est Me Wade et son fils, premier de la classe Sénégal comme financier et gestionnaire d’argent !

Frustrant !

Pour les besoins de cet article, il nous a été impossible de disposer du fichier ou -terme moins martial- de la liste des ambassadeurs et consuls du Sénégal à l’étranger. Ni sur le site du ministère des Affaires étrangères ni auprès de la sympathique consœur chargée de communication dudit ministère. En clair, il a fallu se débrouiller avec les moyens du bord. Dans une situation pareille qui bat en brèche la volonté de transparence publique manifestée par les autorités, l’on se rend compte que l’accès à l’information est bien une chimère dans ce domaine. Et ce n’est sans doute pas le pire !
lequotidien.sn

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