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Pour l’abolition de l’esclavage moderne des travailleuses domestiques au Sénégal. Par Aliou TALL

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Au Sénégal nous aimons pointer du doigt la Mauritanie où, malgré l’abolition officielle de l’esclavage, les haratines continue de subir le tâcheronnat, terme politiquement correct pour désigner leur servitude. Mais si on regarde chez nous,  dans nos maisons, on se rend vite compte que le traitement réservé à nos Mbindaan, s’apparente à une forme d’esclavage moderne qu’il urge d’abolir.

Le faux choc de l’affaire des Mbindaan de Mame Fatim Guèye, ambassadrice déléguée du Sénégal auprès de l’Unesco

La supposée affaire d’esclavage moderne concernant Mme Mame Fatim Guèye, fille de Mme Aminata Tall (Présidente du Conseil Economique, Social et Environnement du Sénégal) et ambassadrice déléguée du Sénégal auprès de l’Unesco, appelle à plaider la cause de nos sœurs sénégalaises qui travaillent en tant que Mbindaan (Bonne : employée domestique bonne à tout faire). Si les faits reprochés à Mame Fatim GEYE sont avérés (ce qui mériterait des sanctions en France comme au Sénégal), les sénégalais ne devraient pourtant pas s’alarmer de leur gravité. Tous les jours, dans nos villes, nous voyons des pires traitements infligés à des femmes domestiques mal payées et mal aimées.  Elles sont quotidiennement chargées comme des mules par des employeurs  profiteurs, traitées comme des esclaves par les plus impétueux. Leur supplice n’alarme personne.

Au Rond-point Liberté 6 à Dakar, du côté gauche des deux voies qui mènent à la VDN, elles sont recrutées en plein jour, à deux mètres des excréments laissés par les chevaux parqués derrière la station d’essence, au vu et au su de tous, sans aucune formalité garantissant leurs droits, ni leur sécurité. Quant  on passe devant elles, on peut lire dans leurs yeux la tristesse et l’angoisse qui hantent leur attente.
Comme disait Montesquieu, « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. Il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites » (De l’Esprit des Lois). Pour un juste équilibre, il faut que le pouvoir arrête le pouvoir. Cela est vrai pour le respect des citoyens dans une démocratie ; c’est aussi vrai pour le respect des travailleuses domestiques par leurs employeurs. Il faut donc que l’Etat encadre et contrôle le pouvoir des employeurs sur leurs domestiques. Il ne s’agit pas de remettre en cause la flexibilité contractuelle qui caractérise ce domaine. On ne saurait appréhender ces rapports de travail avec les dispositions classiques du code du travail. Il s’agit de poser des règles minima à respecter et des bornes à ne pas franchir, pour préserver la dignité  de ces sœurs qui ont fui la dèche dans leurs villages pour trouver en ville des moyens de survie. Encore que, une partie d’entre elles, est bien citadine.

Une servitude à peine voilée

Les Bonnes au Sénégal sont souvent victimes de maltraitance et de mépris. Quant elles débarquent de leurs villages, on les regarde comme des pestiférées. Quand on les recrute comme domestiques, elles sont souvent  mal nourries et mal logées. Quand on les fréquente dans le quartier, on les considère comme des has been. Quant on veut se débarrasser d’elles, on les accuse à tort de tous les torts.

Parmi elles, certaines sont moins bien traitées que les esclaves domestiques issues de la traite négrière en Amérique. Celles-là, on les nourrissait, on les habillait, et on leur donnait le temps de se reposer. Il existe des similitudes entre les clichés dont souffraient celles-là il a y trois siècles, et ceux dont souffrent celles-ci au 21ème siècle : Quand la Bonne est trop noire, c’est parce qu’elle est salle ; quand la Bonne est trop belle, elle détournera le mari de la maîtresse ; quand la Bonne est trop « bonne », on  peut  abuser sexuellement d’elle ; quand la Bonne est violée par le maître de la maison, c’est elle qui l’a provoqué ; quand la Bonne est bien payée, elle aspirera à la liberté ; quand la Bonne est enceinte, elle devient improductive et il faut immédiatement la licencier ; quand un bijou de la maîtresse disparaît, c’est la Bonne qui l’a volé ; quand la Bonne s’habille d’elle-même, c’est la ringardise personnifiée ; quand la Bonne exige son salaire, elle fait de la rébellion.  Au final, à part bonne à tout faire, la Bonne est tout sauf bonne.

Dans nos foyers sénégalais, cela ne choque pratiquement personne que la Bonne soit tenue d’accepter les surplus de travail sans surplus de salaire ; que la maîtresse de maison puisse diminuer arbitrairement son salaire ; qu’elle n’ait pas de pause de travail, qu’elle n’ait pas le droit de tomber malade et qu’elle doive, si ça lui arrive, venir quand même travailler au risque d’’être licenciée et remplacée le jour même sans aucun avertissement ;  qu’elle puisse être remerciée parce qu’elle aura fait une sieste en même temps que le reste de la famille. On entend souvent  dire : « ana mbindaan ak sieste ? ki fouyy na dé ! » (Pour dire qu’une Bonne qui fait une sieste est effrontée)

La Bonne est la bonne à tout et la Bonne pour tous. Chaque membre de la famille, même les bambins,  peut lui donner des ordres. Et ces ordres sont parfois contradictoires. Elle devient alors le souffre-douleur de la famille et le bouc-émissaire de leurs crises d’humeur.  Certains couples, respectables vus de l’extérieur, n’ont aucun scrupule à demander à leur Bonne de laver leur linge intime : le caleçon de monsieur ou la culotte de madame. C’est dégradant !

Il arrive souvent que la Bonne retourne au village, non pas avec le pactole rêvé en venant  travailler en ville, mais avec un bébé issu d’une grossesse non désirée. Soit parce qu’elle a été victime d’un viol domestique ou victime d’un maître Tartuffe qui a profité de sa naïveté, soit elle a succombé à la tentation de l’argent facile pour améliorer son sort et celui des siens. Parfois ce bébé n’arrivera jamais au village, parce que la Bonne aura avorté ou jeté le nouveau-né dans une benne à poubelle,  pour éviter de perdre son boulot ou de subir le déshonneur qui l’attend au village. Et quand cela arrive, la population sénégalaise, avide de faits divers et adepte du voyeurisme, va crier au scandale et à l’infamie. Alors qu’elle est la complice indirecte de cet acte abominable.

Avec leurs modiques salaires, les Bonnes sont obligées de vivre dans des taudis insalubres et précaires que des dakarois nomment ironiquement des Senzala, en référence aux hangars réservés au logement collectif des esclaves qui travaillaient dans les fabriques et plantations de canne à sucre au Brésil. Là aussi, elles sont condamnées au pilori,  par des marchands de sommeil qui leur  louent au prix fort des immeubles en chantier ou des baraquements pourris, infestés de rats et autres bestioles. Pour manger le soir, elles sont souvent obligées d’attendre les restes données par les familles d’à côté. Pour payer le loyer avec leurs maigres revenus, elles sont obligées de se mettre à plusieurs dans une chambre, avec les méfaits de l’insalubrité et de la promiscuité. Le paradoxe est que ce sont ces mêmes dakarois qui les incitent  à la débauche, en leur proposant d’arrondir leurs fins de mois avec des relations sexuelles tarifées. Dans certains quartiers de Medina, Grand Dakar, Khar Yalla, Grand Yoff, Rebeuss, Thiaroye, ou Yeumbeul, ce n’est  plus un tabou.

Une particularité sénégalaise qui requiert une solution sénégalaise.

Si la question des Mbindaan demeure entière, ce n’est pas par manque de cadre légal relatif au travail domestique. Nous avons un code du travail qui fait partie des meilleurs dans la sous-région. Qui plus est,  le Sénégal est membre de l’Organisation internationale du travail depuis son accession à l’indépendance, et a  ratifié plusieurs conventions internationales garantissant les droits des travailleurs. C’est plus l’application que l’existence de la loi qui fait défaut. Parfois ces textes internationaux ne sont pas adaptés à nos réalités sociétales. Nous devons avoir le courage de ne pas les ratifier si tél est le cas, ou du moins, d’émettre des réserves sur les matières et les champs  régis par ces accords. Il en est ainsi de la Convention n° 189 et la Recommandation n° 201 sur le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques, adoptées le 16 juin 2011 à la Conférence internationale du Travail de l’OIT. Pour ratifier ces textes le Sénégal peut, et doit émettre des réserves concernant nos Mbindaan. Nous pouvons les exclure partiellement du champ de ces accords internationaux et poser des règles locales plus adaptées à leur situation.  Par exemple, l’abolition effective du travail domestique des jeunes filles (les Djankh) sera difficile à mettre en œuvre dans notre pays. Souvent confiées à des familles par des parents qui n’ont pas les moyens de les entretenir, il serait inadapté  d’assimiler leur travail aux contrats de la vie économique régis par le code du travail. Ces jeunes filles sont bien souvent accueillies dans des familles de proches, contrairement à ce que veux ces textes internationaux.

Pour améliorer le sort de nos Mbindaan les pistes suivantes sont envisageables :

–          Il faut éviter de suivre les recommandations de certains syndicats qui souhaitent que le travail domestique soit soumis entièrement aux dispositions du code du travail, au même titre que tout autre contrat de travail. Une telle démarche pourrait être contre-productive. Les familles sénégalaises qui emploient des bonnes, dans leur grande majorité,  n’ont pas les moyens de leur payer une sécurité sociale, une couverture maladie, une caisse de retraite, des congés payés, des congés maternité, etc., comme dans les pays développés.  Imposer de telles charges reviendrait à mettre fin à l’essentiel des contrats de travail domestique. Seuls les expatriés avec un bon pouvoir d’achat pourraient alors s’offrir ce luxe. La réglementation sénégalaise sur les bonnes, désuète parce que quasiment  jamais appliquée, doit être dépoussiérée. Il faut un nouveau cadre simplifié, tenant compte de l’équité et de l’équilibre entre les intérêts des bonnes et les revenus des ménages sénégalais.

–          La situation de dépendance économique et de subordination à domicile devrait être systématiquement considérée comme une circonstance aggravante, lorsque la bonne est victime de coups et blessures, d’harcèlement sexuel  ou de  viol commis sur sa personne par ses employeurs.

–          Il serait bien de mettre en place dans chaque municipalité un comité de veille et de médiation composé d’élus locaux. Ce comité devrait être doté de la personnalité juridique et pouvoir ester en justice pour défendre les bonnes qui renoncent à le faire , faute de moyens et de connaissance de leurs droits.

–          Il faut mettre un terme aux points de recrutement anarchique, tel que celui du Rond-point Liberté 6. A la place on pourrait créer des missions locales de conseil et de recrutement, sous la houlette des comités de veille et de médiation. La création d’agences  privées de recrutement, sous contrôle de l’Etat, peut aussi être encouragée.

–          il faudra proposer des contrats-cadres, disponibles dans les mairies. Ces contrats doivent mentionner les principales charges de la Bonne et la rémunération qui lui est due pour ces tâches ; le nombre maximal d’heures de travail journalier et hebdomadaire de la Bonne ; l’obligation par l’employeur de lui accorder un jour de repos hebdomadaire et des jours de congés non payés lors des grandes fêtes comme la Korité, la Tabaski, Pâques et Noël ; l’obligation de dresser  un préavis de licenciement d’un mois, etc.

–          L’Etat devrait mettre en place un fonds d’aide médicale pour les travailleuses domestiques. Elles remplissent une fonction sociale et économique pour notre pays et, à ce titre, méritent un traitement particulier. Sans elles, beaucoup de ménages sénégalais ne pourraient pas satisfaire  convenablement à leurs besoins quotidiens.

Aliou TALL
Président du RADUCC (Réseau Africain de Défense des Usagers, des Consommateurs et du Citoyen)
Paris – Dakar.
Email : [email protected]

4 Commentaires

  1. c’est une très bonne réflexion, toutes mes félicitations.
    Cependant il faut aussi préciser qu’on crie partout qu’elles sont mal payées mais il ne faut pas oublier qu’elles sont totalement pris en charge pour ce qui concerne la nourriture, l’eau, l’électricité, savon pour la douche et le linge. Alors que moi travailleur, mon employeur se contente juste de me payer un salaire.
    A mon avis nous devons tous faire des efforts, aussi bien les bonnes que leurs employeurs.
    A mon avis dans ce contract-cadre il faudra mentionner aussi bien les droits et devoirs de la domestique mais aussi ceux de l’employeur.
    Je tiens aussi préciser que la situation que vous avez décrite n’est pas la règle, on trouve des employeurs qui traitent très bien leurs bonnes mais aussi on trouve des bonnes qui ne respectent pas du tout leur travail et leur employeur.
    De plus je conseille à mes sœurs sénégalaises d’apprendre à s’organiser dans leurs maisons pour ne pas toujours dépendre des bonnes. Parce que elles peuvent vous quitter sans préavis.
    Je vous félicite encore une fois M.TALL

  2. Excellent article. Il faut mettre fin à ces maltraitances.Comme on le dit en wolof, « mbidane dou diaam« 
    Cependant il y’a des exeptions. Quand je vivais au Senegal ma bonne était une princesse. Je lui achetait les mêmes habits de valeur que je portais et l’amenais avec moi en mission, la logeait dans la même suite que moi à l’hotel. Elle etait ma soeur, la nounou de mon enfant. Mais toutes les femmes ne fonctionnent pas comme ça.

  3. Très pertinent en effet, surtout les pistes de réflexion préconisées pour trouver un début de solution.Personnellement, il m’est arrivée de vouloir faire bénéficier à mes  »bonnes » des dispositions du code du travail, mais cela n’est pas du tout évident avec le pouvoir d’achat du sénégalais moyen. Il est vrai que nous assurons nourriture, savon et même les soins mais…

    L’occasion m’est donnée par Mme BA de tancer un peu nos hommes, car une bonne organisation dans la maison pour ne pas trop dépendre de la  »bonne » suppose aussi que ces messieurs nous donnent un petit coup de main, ce que ne fait jamais l’homme sénégalais habitué depuis la tendre enfance à ce qu’on fasse tout pout lui.
    Je me rappelle enfant, lorque mes tantes débarquaient à la maison et trouvaient un garçon faisant une  »corvée de fille » comme elles disaient, c’était un scandale. Donc il faut aussi changer les mentalités.
    Une jeune femme sénégalaise mariée qui travaille et doit s’occuper de son homme le soir, de ses invités et de sa belle famille les WE, ne peut pas y parvenir seule si le mari ne l’aide pas un peu.
    Je taquine souvent mon mari en lui disant que lorque je veux lui cacher quelque chose, je le garde dans le frigigaire car il n’y va jamais. Même pour boire de l’eau , il se fait servir…..

  4. Je vous remercie de la pertinence de vos commentaires. Ce qu’on attend à travers ces publications c’est de susciter un débat productif, et d’échanger. Nous avons la chance d’avoir des sites web sénégalais dynamiques et à la page. Nous pouvons en profiter pour réfléchir sur les maux et enjeux qu’il faut solutionner pour faire avancer notre pays ; au lieu d’en faire, comme certains internautes, des défouloirs où dépotoirs d’injures, lâchement cachés derrière l’écran de leurs ordinateurs.
    Je suis d’accord avec vous quand vous dites que ce ne sont pas toutes les familles qui traitent ainsi les Mbindaan. Fort heureusement. Je ciblais plutôt la conscience collective qui a toujours du mal à traiter l’employée de maison comme un égal. Mais je persiste à dire que celles dont les droits sont strictement respectés constituent l’exception. Un seul exemple il est rarissime de voir une famille sénégalaise dans la quelle on ne gronde pas la Bonne. Alors que la relation de travail ne nous en donne pas le droit.
    Vous avez soulevé un argument important qu’on devrait retenir parmi les pistes à explorer pour changer la situation. C’est l’implication des hommes dans la gestion quotidienne des tâches du ménage. L’anecdote sur le mari qui n’ouvre jamais la porte du frigo, même pour prendre de l’eau, est assez révélatrice lol. Si cela pouvait se comprendre au temps où les tâches familiales sont hermétiquement divisées entre l’homme et la femme (à l’homme le travail salarié ou les champs pour nourrir la famille ; à la femme la gestion et les tâches domestiques), cette période est révolue. La femme va à l’école comme l’homme, la femme va aux champs ou au bureau comme l’homme. Donc l’homme doit se mettre sans complexe aux tâches du foyer. C’est une question civilité et d’équité. Si on arrive à cette mini révolution, peut-être que les Mbindaan serait moins chargées. Il appartient aux femmes maîtresses de maison de se faire respecter et d’amorcer ainsi cette nouvelle ère.

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