« Que tous les Tchadiens à qui l’on reproche quelque chose viennent se présenter devant cette juridiction. Y compris Hissène Habré, y compris les anciens présidents du Tchad », avait clamé Hissène Habré dans les colonnes de La Gazette. « Pourquoi je dois être le seul à être jugé ? », s’interrogeait ensuite l’ancien Président tchadien. Habré qui s’est réfugié au Sénégal depuis sa chute, a été appréhendé dimanche dernier et placé en garde à vue, en attendant son jugement. S’il est présumé coupable de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, au nom de quelle loi devrait-il être le seul à payer ? Ce, d’autant que dans son pays d’origine aussi bien qu’ailleurs en Afrique ou dans le monde, d’autres personnes tout aussi coupables, n’ont jamais été inquiétées. On est d’ailleurs tenté de se demander en quoi les victimes tchadiennes présumées, qui font l’objet de tant d’attentions et d’une préoccupation particulière, devraient-elles avoir plus de droits que ces nombreuses victimes qui tombaient sous les balles de l’OTAN, à Tripoli et ailleurs en Lybie ? Pourquoi les crimes perpétrés sur le peuple de Palestine par tous les dirigeants israéliens, qui qu’ils soient, depuis 1948, préoccupent-ils moins les organisations de droits de la personne et les dirigeants de ce monde ?
En tout cas, même si Hissène Habré est actuellement retenu par le pouvoir en place, la plupart des Sénégalais lui apporte un soutient sans faille. Pourquoi doit-on poursuivre l’ancien président tchadien ? A cette interrogation, La Gazette répondait sans ambages, le 5 juillet 2011 : « Dans son principe, l’Etat de droit pose comme règle intangible : qu’un président de la République, qui qu’il soit, ne peut, sous aucun prétexte, se défaire du droit et se conduire ou conduire son régime comme bon lui semble. Et, qui plus est, s’adonner en règle à des violations massives des droits de l’homme, à des crimes de tortures ou bien à des massacres de populations innocentes, dans le seul but et avec pour souci premier de se maintenir au pouvoir. Si c’est cela le seul fondement de l’acte d’accusation rédigé contre Hissène Habré, alors là, tous les Africains sont en droit d’exiger que des poursuites soient ordonnées contre un nombre important de dirigeants. Du Sahara au Cap, en passant par le centre du continent, ils ont tous choisi pendant des décennies durant, à de très rares exceptions près, de massacrer les populations dont ils avaient reçu la charge de conduire les destins ». Sa décision de s’installer au Sénégal après sa chute n’a pas été fortuite, si l’on en croit M. Habré qui s’exprimait il y a de cela deux années. « Mes relations avec le Sénégal datent de très longtemps, bien avant que je ne devienne homme politique. Quand j’étais président de la République du Tchad, j’avais les meilleures relations avec le Sénégal.
Et, croyez-moi, le Sénégal a été à mes côtés durant le conflit tchadien. C’était l’un des rares pays africains dont les dirigeants, Senghor et ses collaborateurs, n’avaient pas peur de Kadhafi. Il avait ouvertement soutenu la cause du Tchad. Moi-même, j’ai rendu quelques services au Sénégal, dans le cadre de ces actions. On s’entraidait mutuellement, mais pour la bonne cause et non pour faire assassiner quelqu’un ». Maintenant qu’il est arrêté par la justice sénégalaise, Hissène Habré doit bénéficier d’un procès équitable. On doit veiller à ce qu’il ait tous les droits réservés à la défense.
Pour rappel, afin d’obtenir le jugement de Habré, le gouvernement sénégalais et l’Union africaine (UA) ont signé un accord, en vue de la création, d’un tribunal spécial. L’accord a été approuvé le 19 décembre par les députés sénégalais. Auparavant, le Sénégal avait été mandaté en juillet 2006 par l’UA pour faire juger M. Habré, mais Abdoulaye Wade n’a jamais organisé de procès. Son successeur, Macky Sall, qui a pris fonctions en avril 2012, avait exclu toute possibilité d’extrader Hissène Habré vers la Belgique, qui le réclame. Le Président Sall s’était engagé à organiser le procès au Sénégal. La mise en place des Chambres africaines extraordinaires (CAE) a eu lieu à la suite de la résolution 401, adoptée le 31 janvier 2012 par la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UA. Cette résolution demandait au gouvernement du Sénégal d’examiner les modalités pratiques, ainsi que les implications juridiques et financières, pour la suite des crimes internationaux présumés commis sur le territoire tchadien durant la présidence Habré.
Cheikh Ibra FALL
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