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La promesse de réélection de Macky Sall par Tivaouane dans la logique d’une longue tradition

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En principe, ils sont censés être distincts. Mais le pouvoir étatique et les différents foyers religieux du Sénégal n’ont jamais réellement cessé de cheminer ensemble.

Les assurances de l’actuel khalife général des tidianes sur un deuxième mandat de Macky Sall ne sont pas chose nouvelle, en politique sénégalaise. Dans un milieu où la ligne de démarcation entre pouvoirs spirituel et temporel n’a jamais vraiment cessé d’être franchie, les déclarations de Serigne Mbaye Sy Mansour peuvent intriguer sans surprendre. ‘‘Vous demandez seulement un deuxième mandat. Vous n’avez pas demandé un troisième. Vous l’aurez, s’il plait à Dieu’’, a déclaré, avant-hier, le guide de la confrérie tidiane du Sénégal.

Une déclaration qui n’a pas manqué de faire réagir dans certains milieux, obnubilant même la mise en garde subtile du khalife contre un éventuel troisième mandat.

Des paroles lourdes de sens venant d’un foyer aussi influent de la scène religieuse sénégalaise. Mais le successeur d’Al Amine n’a rien fait d’inédit. Entre les hommes politiques et les religieux, la relation a toujours existé. Le légendaire compagnonnage entre Senghor et le deuxième khalife des mourides, Serigne Fallou Mbacké, et le soutien maraboutique au président-poète durant la crise de 1962 contre Mamadou Dia (musulman et tidiane), sont notamment les exemples de cette relation. Pour autant, ces interactions sont précédées par d’autres antécédents ‘‘politico-religieux’’.

Dans son mémoire de Sciences politiques intitulé ‘‘Les marabouts de la République’’, à la page 17, Mouhamadou Ndiaye fait remonter les relations entre le pouvoir républicain et la classe maraboutique dans la première moitié du XXe siècle. ‘‘Sa première manifestation concrète est sûrement la course à la députation entre Galandou Diouf et Blaise Diagne, en 1928.

En effet, ces élections voient le soutien franc d’un marabout pour l’un ou l’autre des candidats. Il s’agit, en l’occurrence, de deux marabouts mourides concurrents, Mouhamadou Moustapha et Mokhtar Mbacké, respectivement fils et frère d’Ahmadou Bamba’’, soutient-il dans son bréviaire de Sciences politiques consulté sur le net. Deux ans avant l’indépendance, alors que la colonisation vivait ses derniers moments, le Sénégal avait décidé de rester colonie française après référendum. L’influence des chefs religieux n’y était pas étrangère. ‘‘Les marabouts de différentes confréries religieuses s’étaient massivement prononcés pour le ‘‘Oui’’ et avaient recommandé à leurs disciples de suivre ce choix. Le résultat fut sans appel : le ‘‘Oui’’ l’emportant à plus de 81 000 voix contre 21 904’’, renseigne M. Ndiaye dans son mémoire. Une intégration du champ politique qu’il explique par le fait que les marabouts étaient le liant qui unissait les politiciens plutôt familiers avec l’électorat des 4 communes (Dakar, Rufisque, Gorée, Saint-Louis) et les populations du Sénégal rural qui constituaient l’essentiel des fidèles.

Mais, comme le précise Mouhammadou Ndiaye, l’évidence n’est pas forcément respectée, comme le laisserait supposer une certaine logique. ‘‘L’appartenance confrérique n’est pas gage d’affinité politique. Cheikh Anta Diop, mouride pourtant et élevé dans la maison d’Ahmadou Bamba, essuiera un refus d’aide du khalife général des mourides qui appellera à voter pour Abdou Diouf, quelques années plus tard’’. C’est la fameuse consigne de Serigne Abdou Lahat en 1988, également en défaveur du candidat Abdoulaye Wade, diffusée à la télévision nationale.

C’est à partir de là que consignes de vote et déclarations de préférences politiques se sont carrément décomplexées dans le milieu maraboutique.

Rupture

1988 fut le dernier vrai ‘‘ndigël’’ émanant d’un khalife général. Il fut également le dernier dont le suivi a été sans équivoque. Douze ans plus tard, dans ce qui deviendra la première alternance politique du Sénégal, c’est l’heure des déconvenues. Le président Abdou Diouf bénéficie de la sympathie des milieux maraboutiques qui étaient des appels à voter pour lui plutôt qu’une consigne proprement dite. L’un des premiers à avoir expérimenté un ‘‘refus populaire’’ fut le khalife général des tidianes Mouhammadoul Mansour Sy, à la tête de l’une des plus grandes confréries du Sénégal en termes d’adhérents. Affichant son soutien indéfectible au président sortant, il invita ses condisciples à accompagner cette victoire. Un appel ignoré, puisqu’Abdou Diouf a même été battu dans la ville de Tivaouane.

Durant ces mêmes élections, le marabout Serigne Modou Kara Mbacké sera également ‘‘désavoué’’ par les résultats du vote qui donnèrent Abdoulaye Wade vainqueur, alors qu’il affirmait avoir vu, dans un rêve prémonitoire, la victoire du président socialiste. Douze ans plus tard, dans ce qui allait devenir la deuxième alternance politique au Sénégal, le déphasage entre consignes maraboutiques et les résultats semble confirmer inexorablement que les fidèles n’étaient pas dans les dispositions de tout acquiescer. Le même marabout sera battu par la décision populaire, alors qu’il avait appelé à voter Abdoulaye Wade qui faisait face à Macky Sall. Mais c’est surtout la désapprobation populaire contre Cheikh Béthio Thioune, leader controversé, clamant avoir pas moins de 10 millions de disciples (‘’tiantacounes’’) à travers le monde, qui scelle l’éloignement électoral disciples-marabouts.

En février 2012, il déclarait avoir vu en rêve le défunt khalife des mourides, Serigne Saliou Mbacké, qui lui aurait annoncé la victoire d’Abdoulaye Wade. ‘‘Je vote pour le candidat Abdoulaye Wade. Et je demande à tous mes talibés (disciples) ici au Sénégal ou à l’extérieur d’en faire autant. C’est une consigne que j’ai reçue de mon marabout Serigne Saliou Mbacké. J’ai reçu cette consigne à 21 h 45. J’ai parlé à Serigne Saliou. Je demande à mes disciples, à tous les Sénégalais, quelle que soit leur appartenance, de voter pour Abdoulaye Wade’’, lançait-il dans sa résidence de Médinatou Salam. La défaite de son candidat, à 65 % de suffrages, laissait les Sénégalais perplexes sur le nombre de votants et confirmait la volonté populaire à s’affranchir des pesanteurs confrériques.

Cinq ans plus tôt, à la présidentielle de 2007, ce duo de marabouts (Kara et Béthio) avaient pourtant réussi à ‘‘faire triompher’’ dans une réélection-plébiscite le président Abdoulaye Wade.

En promettant un deuxième mandat au président de la République, hier, Serigne Mbaye Sy Mansour savait déjà à quoi s’en tenir.

enqueteplus.com

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