Propos sur le Sénégal : Rufin pas très fin (Par Bosse Ndoye)

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Lors d’une émission intitulée « Sénégal: la colère de la rue » – qui est passée sur la chaîne de télévision France 24 -, M. Christophe Ruffin, ancien ambassadeur de France au Sénégal, a affirmé que : «   (…) On sait que c’est pas toujours une bonne nouvelle pour un pays d’avoir du pétrole, parce que ça augmente la corruption (…) ça a tendance à dépenser, à s’endetter (…) ». Et lorsque la journaliste lui parla de la malédiction des ressources naturelles, il répondit que : « (…) C’est pas toujours un cadeau…»


Les propos de M. Rufin peuvent être vrais, s’il faut à en juger  par le chaos et la corruption  semés dans certains pays dont le sous-sol regorge de pétrole. Cette ressource naturelle qui, comme l’or, le diamant et tutti quanti, devrait être une source de richesse pour toute société, a malheureusement été à l’origine d’une sorte de malédiction sur certaines terres. Au Nigeria, elle a été à la source d’une guerre civile qui a fait plus d’un million de morts (Biafra) ; en Irak, d’une autre guerre qui a coûté la vie à plusieurs centaines de milliers de personnes ; en RDC – que d’aucuns qualifient de « scandale géologique » tant son sous-sol est riche en matières premières -, et au Soudan, etc. elle a engendré des conflits meurtriers, ayant semé capharnaüm et instabilité politique. Même au Sénégal, malgré sa récente découverte dans le pays, elle a été à l’origine de beaucoup de polémiques, notamment à propos de la signature de certains contrats d’exploitation et de l’affaire Petrotim. Sans doute est-ce à cause de ces genres d’événement parmi tant d’autres que le fondateur de l’OPEP, un Vénézuélien, disait  que : « les hydrocarbures sont les « excréments du diable[1] ».


Toutefois, ce que M. Rufin a omis de mentionner – peut-être  n’y a t-il pas pensé ou n’a-t-il pas eu le temps de développer sa pensée – c’est le rôle joué par les puissances étrangères complices, prédatrices et impérialistes, dont son pays, dans le chaos et la corruption qui font du pétrole un cadeau empoisonné pour certains et une mauvaise nouvelle pour d’autres, sinon les deux à la fois. L’histoire d’Elf – dont Loïk Le Floch-Prigent, lors de son procès, disait que : «  ELF n’est pas une société pétrolière, c’est une diplomatie parallèle destinée à garder le contrôle sur un certain nombre d’États africains (…) Disons que le président d’ELF est à la fois président d’une société pétrolière et ministre de la Coopération[2]« – peut en être la parfaite illustration. Au Congo Brazzaville, cette toute-puissante entreprise, par sa fourniture d’armes – comme la France l’avait jadis fait au Biafra – avait participé à la guerre fratricide opposant des factions rivales dans leur conquête du pouvoir. Au Gabon, d’après les propos d’Éva Joly, tirés de son livre, La force qui nous manque, l’ancienne entreprise française avait participé à la mise sur pied d’« un monde souterrain, un vaste réseau de corruption institutionnalisé, dont les fils étaient reliés en direct à l`Elysée. » C’est dire que malgré l’existence irréfutable de dirigeants africains corrompus, qui agissent parfois comme si les ressources naturelles de leurs pays leur appartenaient, ils sont souvent assistés dans leurs méfaits par quelques-unes des puissances néocolonialistes voraces, qui les aident souvent à arriver au pouvoir ou à s’y maintenir pendant plusieurs années. Les États-Unis et l’Angleterre ne sont pas en reste. Ils ont mis en œuvre en Irak ce qui Naomi Klein appelle la stratégie du chaos pour lui soutirer son pétrole, à la suite d’une guerre basée sur des mensonges grotesques. L’ex-agent de la CIA, Mike Battles, faisant référence au chaos consécutif à l’invasion du pays et à l’exploitation qui s’en est suivie, n’éprouve aucune honte à dire que : « La peur et le désordre nous ont admirablement servis[3] ».

Depuis la nationalisation de l’exploitation des hydrocarbures au Venezuela et en Bolivie, au détriment de certaines multinationales occidentales, ces deux pays ne cessent de subir les foudres de Washington. Le premier, outre les multiples tentatives de déstabilisation auxquelles il fait souvent face, doit encore affronter un embargo inique qui lui est imposé par les États-Unis alors que dans le second, un coup d’État a permis de renverser un président démocratiquement élu. Ce qui n’est chose nouvelle: Mossadegh avait subi le même  sort. Ce fut la même foudre anglo-américaine qui a semé le chaos en Irak qui s’est abattue sur lui en 1952 à la suite de la nationalisation du pétrole iranien.

Quoi que l’on puisse dire sur la soi-disant malédiction des ressources naturelles, il serait très difficile de faire croire à un citoyen libyen, ayant vécu sous Kadhafi, qu’avoir du pétrole dans son sous-sol n’est pas un cadeau, une bonne nouvelle. Car il y avait une très bonne politique distributive: « enseignement obligatoire et gratuit jusqu’au premier cycle du secondaire, médecine gratuite, absence d’impôts, faible coût des transports publics, politique de prêts à taux zéro pour la construction de logements, construction massive de logements sociaux, allocation pour les nouveaux couples d’un montant de cinquante mille dollars pour la construction d’un logement, aide à la famille de trois cents euros [4]. » Malheureusement, à la suite d’une intervention militaire aux visées impérialistes – menée par la France et ses acolytes – dont l’un des objectifs inavoués était le contrôle du pétrole, le peuple libyen, qui peine à vivre en paix depuis ce moment, a perdu beaucoup de ces avantages.

 Il serait tout aussi difficile de faire admettre aux citoyens de beaucoup de pays du Golf que le pétrole n’est pas un cadeau, une bonne nouvelle. Car, grâce à lui, nombre de ces pays ont trouvé une meilleure place dans le monde. Ils ont pu profiter des mannes financières générées par l’or noir pour développer leurs infrastructures – qui n’ont rien à envier à celles que l’on trouve dans quelques-uns des grands pays occidentaux –, pour aussi diversifier leurs domaines d’investissements et attirer beaucoup de touristes venant d’un peu partout dans le monde.

Autant peut être dit sur certains pays occidentaux comme les États-Unis, le Canada et les pays nordiques, etc. parce que le pétrole a aussi contribué et contribue encore à leur développement industriel et économique. La Norvège a utilisé les ressources financières qu’il génère dans le pays pour construire et assurer le paiement des retraites futures, selon Eva Joly.

En Amérique du sud, du temps d’Evo Morales, la Bolivie avait fait de grandes avancées sur le plan social après le « rétablissement de sa souveraineté énergétique »,et une meilleure distribution des profits tirés des ressources pétrolières avait été faite. Sous Chavez, le Venezuela avait retrouvé richesse et fierté nationale grâce à une meilleure gestion de la production et de la vente de ses hydrocarbures.


Les questions que j’aurais posées à M. Rufin si l’opportunité m’en avait été offerte sont les suivantes : pourquoi les tout premiers mots qui lui sont venus à l’esprit lorsqu’on il a parlé de pétrole dans l’émission furent : « ça augmente la corruption. » ?  Est-ce qu’il aurait tenu les mêmes propos s’il s’était agi d’un pays occidental ?

Même s’il est indéniable qu’il existe beaucoup corruption dans nombre pays africains, des pays comme le sien ne sont pays épargnés par ce fléau. L’affaire ELF, parmi tant d’autres, avec ses ramifications jusqu’à l’Élysée, en est un parfait exemple. L’affaire Fillon (ancien premier ministre) reste encore fraîche dans les esprits. L’ancien président, Nicolas Sarkozy, qui a été récemment condamné, traîne plusieurs dossiers judiciaires, dont certains pour corruption. C’est dire que la corruption n’est l’apanage d’aucun pays, d’aucun peuple,  d’aucun continent. Il est existe toutefois, pour moult raisons, des conditions qui rendent sa pratique plus facile à certains endroits qu’à d’autres.

En définitive, dire que le pétrole n’est pas toujours une bonne nouvelle ou un cadeau pour un pays – sauf dans quelques exceptions – revient souvent à établir le rapport entre la question de la gestion des ressources naturelles et celle de la souveraineté économique, politique et militaire face aux ogres que représentent quelques multinationales et les puissances prédatrices néocoloniales. Car il y a beaucoup de similitudes entre les pays où cette ressource n’est pas un cadeau encore moins une bonne nouvelle. Généralement, ils sont relativement faibles militairement, sont d’anciennes colonies qui peinent encore à retrouver pleinement leur souveraineté économique et politique ou sont sous l’emprise de dirigeants autoritaires, soutenus de l’extérieur, qui, avec leur famille, leur parti, accaparent l’essentiel des revenus tirés de la vente de leurs ressources pétrolières. De plus, on ne parle presque jamais de la malédiction des ressources naturelles dans les pays occidentaux. Cette question semble juste réservée aux autres pays parce que, eux, ils doivent certainement savoir, mieux que quiconque, comment bien se servir de cette précieuse ressource. L’expression de Cheikh Anta Diop : « La sécurité précède le développement,» reste t plus que jamais d’actualité.  Quand un pays ne peut pas se défendre, il va de soi qu’il ne pourra pas défendre ses richesses. Surtout s’il dispose de dirigeants véreux qui accaparent tous les revenus engendrés par ses ressources naturelles et n’hésitent pas à s’allier avec le diable pour rester au pouvoir. Comme presque toute chose, le pétrole, dans de bonnes mains, peut être un cadeau, une très bonne nouvelle; mais  dans de mauvaises mains – étrangères ou locales – il peut constituer une vraie source de malédiction.


BOSSE NDOYE

[email protected]

Montréal


[1] Les désorientés, Amin Maalouf, p.277

[2] Loïk Le Floch-Prigent, Affaire Elf, Affaire d’État. Entretien avec Éric Decouty, Paris Le Cherche-Midi, p.55

cité par Said Bouamama, Manuel stratégique de l’Afrique, tome 1, p.174

[4] Said Bouamama, Manuel stratégique de l’Afrique, tome 2, p.199

2 Commentaires

  1. Ce Ndoye ne changera décidément jamais ! Il souffre vraiment du complexe du blanc ! Toujours se victimiser en se défaussant sur les anciens colonisateurs, sur la France, sur les toubabs et patiti patata ! Rufin a le plein droit de travailler stratégiquement pour son pays. Tu devais plutôt écrire un texte pour demander à tes compatriotes de travailler enfin pour notre pays ! Comme le font les Asiatiques, les Brésiliens, les Indiens, les Chinois, les Argentins, les Corées etc. etc. qui ont tous pourtant connu des colonisations plus dures que le Sénégal, mais qui ne défaussent aujourd’hui jamais sur leurs anciens colonisateurs. On ne voit ça qu’en Afrique ! Tu veux aider ton pays Ndoye ? Invite les sénégalais à travailler sérieusement, à arrêter le bavardage même dans les lieux de travail, à arrêter le tapalé individuel, le lidjeunti collectif, le masla culturel et le nafèkhisme national ! La preuve ? Un Yolom Guénio polygame vient de sauter nuitamment et sans capote une minette de 20 ans, et tout le pays accuse la fille… Tu as des sujets plus sérieux Ndoye…

  2. Merci Ndoye pour tes contributions de haute factures, qui sont au-dessus du niveau de compréhension de certains. On peut á coup sûre dire que si une personne et si cupide ou bête pour être avec un looser comme macky, on peut être sûre qu’il n’aura pas le niveau de compréhension nécessaire pour comprendre ton texte. Merci encore.

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