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Prosopopée de l’allocution présidentielle du 3 avril (Par Jean Pierre Corréa)

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La prosopopée est une figure de rhétorique par laquelle on fait parler et agir une personne que l’on évoque. Dans la prosopopée, le locuteur donne la parole au personnage fictif, qui peut même interagir avec l’émetteur ou le narrateur.

Sénégalaises, Sénégalais, mes très chers compatriotes, et vous, chers étrangers qui avez choisi de vivre parmi nous, demain, en ce 4 avril 2023, je formule le vœu que nous célébrions à l’unisson le 63e anniversaire de l’indépendance de notre pays.

Moi, président de la République du Sénégal, à la veille de célébrer notre fête nationale, Mon émotion est grande, de prononcer comme le rituel l’exige, l’ultime allocution solennelle, clôturant mes deux mandats à la tête de notre grand pays.

12 années de responsabilités et d’engagements, traversées comme une ellipse par cette image qui nous obligeait, et qui commence par le martyre fondateur de Mamadou Diop, tué pour s’être battu avec des millions de ses compatriotes, contre la volonté abusive du Président sortant de briguer un troisième mandat de président de la République. Cette ellipse se conclut sur une image tout de même brouillée d’un peuple inquiet, dont je peux comprendre que les frustrations aient débouché sur une dangereuse colère. Je me sais conscient que la conscience historique repose sur la compréhension du présent grâce à l’interprétation du passé qui permet d’envisager le futur.

Moi, président de la République, j’eus un jour à dire alors que mon second mandat était à peine commencé, répondant aux questions tout de même prématurées d’une opinion attentive, que je ne pouvais ni affirmer ni infirmer, la possibilité d’un troisième mandat.

Il est vrai que je voulais éviter de démobiliser les membres de mon gouvernement dont je craignais qu’ils ne s’empressent de chercher les grâces d’un potentiel dauphin ou successeur, conscient que j’étais en train de donner l’impression d’être juste entouré d’opportunistes. Je confesse cette erreur. Cette question aura parasité tout ce second mandat et nous aura souvent éloigné des véritables enjeux qui conditionnent encore l’émergence de notre pays. Le seul avantage est que désormais, aucun sénégalais n’ignore le sens de ce fameux Article 27 et de ses deux alinéas, qui encore à l’heure où je vous parle, provoquent débats et controverses entre le Droit et la Morale, entre la Constitution et l’Ethique.

Moi, président de la République, j’ai le devoir d’être à la hauteur éthique et morale de nos deux pères fondateurs de notre constitution, que furent Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia.

Moi, président de la République, il m’est difficile de ne pas considérer les grandes avancées démocratiques qui ont propulsé notre Sénégal dans le monde privilégié des pays stables politiquement, il m’est difficile d’oublier les combats menés par Abdoulaye Wade, le grand esprit de responsabilité du président Abdou Diouf, qui a favorisé la naissance du FRTE, et quelque part, conduit notre pays à magnifier l’idée-même d’une alternance.

Moi, président de la République, depuis 11 ans que vous m’avez confié les rênes de votre pays, sachant cependant que nul n’est parfait et que nulle œuvre humaine ne l’est non plus, j’ai fait de mon mieux pour être à la hauteur des attentes qui étaient les vôtres en 2012, lorsque vous avez fait de ma personne le président le mieux élu de notre histoire.

Moi, président de la République, je laisse à Dieu et à l’Histoire le soin de raconter à vos filles et fils ce que j’ai pu, avec bien des compétences de notre pays, apporter à ce qui contribue à l’émergence du Sénégal.

Dans bien des domaines, nous avons accompli des pas de géants, et c’est incontestable. Même s’il demeure tant de choses à parfaire et dans bien des domaines, autant la santé, que l’éducation, l’énergie, la formation professionnelle, notamment à destination de l’employabilité d’une jeunesse formée et éduquée, ont bénéficié d’efforts jusqu’alors inédits. Les grandes infrastructures ont nécessité d’importants investissements, certes pas toujours compris par certains qui auraient souhaité les voir alloués à d’autres urgences, dans un pays où tout relève de l’urgence. Notre capitale s’est embellie, à l’image de la Corniche Ouest, ou du Boulevard du Général de Gaulle, sur lequel défileront demain toutes les forces de notre nation, qu’elles soient militaires ou humaines.  Vous pourrez à cette occasion admirer ce que va représenter le Bus RapideTransit, ce BRT dont les travaux vous ont causé bien des tourments. Moi, président de la République, je fais le vœu qu’à son entrée en service, très prochainement, ses rames n’aient pas à côtoyer des hordes de talibés ou de mendiants, signes voyants et visibles de certains de nos échecs.

Moi, président du Sénégal, je suis très attentif aux nombreuses sollicitations de mes proches et de mes partisans, même de millions de Sénégalais qui souhaitent que je sois en mesure de briguer un troisième mandat. Que cela soit ou non, une question de droit, d’éthique ou de morale politique, moi, président de la République, par respect de la parole que je vous avais donnée, en mémoire des martyrs des années 2011-2012, j’ai ce soir décidé de vous annoncer que je ne serai pas candidat à la candidature de ma coalition pour l’élection présidentielle de février 2024.

Moi, président de la République, je sais que le Sénégal est à la croisée des chemins, que nous avons besoin de toutes les forces de la nation pour franchir les caps déterminants pour l’avenir de nos enfants autour de la nouvelle donne du pétrole et du gaz, et des nouveaux défis climatiques et alimentaires que nous aurons à transcender. Pour cela, tous les hommes politiques de notre pays, tous les talents, tous les esprits d’ici et de la diaspora, doivent savoir que le Sénégal est bien au-dessus de leurs personnes et de leurs ambitions. Les politiques doivent s’asseoir pour unifier leur force derrière les projets fondateurs comme les conclusions des Assises nationales, dont mon regret est grand de ne pas m’en être suffisamment saisi, derrière tout nouveau président qui m’aura succédé, pour que le Sénégal puisse bénéficier pleinement de ses ressources naturelles.

Moi, président de la République, je suis conscient que, compte tenu de notre histoire politique et de l’image que nous avons toujours su garder, le monde entier nous regarde.

C’est ainsi, que, moi, président de la République, j’ai décidé dans les tous prochains jours de former un nouveau gouvernement, resserré d’où seront absents les membres de ma famille, et qui sera composé d’hommes et de femmes qui vont s’atteler à bâtir une transition apaisée, affranchie de mauvaises habitudes de juste savoir chasser du pouvoir, mais jamais encore d’avoir réellement choisi et élu un homme ou une femme.

Moi, président de la République, je vais avec toute l’énergie consacrée à rester dans le sens de l’Histoire, travailler à gommer cette image de judiciarisation de la politique, et d’une presse bâillonnée, pour que ces moments politiques forts et exacerbés qui constitueront la prochaine campagne présidentielle, concourent à faire de notre Sénégal, un pays en Paix.

Moi, président de la République, je m’attèlerai à rendre à nos hauts magistrats, notamment ceux de la Cour des Comptes, tout le respect dû à leur autorité et je fais le serment de me déporter de tous les dossiers mettant en cause des membres de mon gouvernement ou de mon entourage familial ou amical.

Moi, président de la République, j’ai la responsabilité de vous dire encore que je ne vais pas chômer, face aux défis que nous avons à vivre ensemble. Je travaillerai avec mes collègues de la sous-région à l’intégration sous régionale. Devant tant de défis, qui ont bouleversé les équilibres sociétaux et institutionnels, et mis en péril les efforts de développement du Continent, un leadership dynamique, clairvoyant, s’impose pour réconcilier l’Afrique avec elle-même. Un leadership à même de libérer son énorme potentiel et le génie de ses filles et fils et de repositionner l’Afrique comme un partenaire audible et crédible au sein des instances internationales, dans le cadre de partenariats rénovés.

C’est donc sous ce prisme que moi, président de la République, j’ai tenu à placer mon action depuis mon élection à la présidence de l’Union Africaine, en œuvrant inlassablement pour une Afrique des Solutions et en appelant la communauté internationale, au-delà de l’Afrique des problèmes, à davantage considérer cette Afrique des solutions.

Moi, président de la République je compte œuvrer à la création d’une grande fédération des peuples, comprenant le Sénégal, le Mali, la Gambie, la Guinée Bissau, la Guinée Conakry et la Mauritanie, pour créer une Fédération des États de l’Ouest, où nous mettrons en œuvre une sécurité mutualisée où nos états n’auront besoin ni de Barkhane, ni de Wagner, pour construire l’Afrique que nous voulons à l’horizon 2035.

Moi, président de la République je saurai comment organiser des élections paisibles, auxquelles tout Sénégalais voulant y concourir le pourra, et je demanderai aux instances en ayant la responsabilité de revoir cette règle des parrainages, qui limite les choix de nos compatriotes.

Ayant considéré que le Sénégal est au-dessus de ma personne et au-dessus d’autres ambitions, je souhaite au meilleur et au plus désireux de bâtir l’avenir de notre jeunesse, de me succéder en février 2024.

Moi, président de la République, je vous souhaite une bonne fête de l’Indépendance et vous recommande de vous en remettre à ce qui fait la force de notre pays, la Sagesse de ses grands hommes.

Le Sénégal est bien plus fort et bien plus grand que chacun d’entre nous.

Vive La République.

Moi, président de la République.

Post Scriptum

Pourvu que nous vienne un homme

Aux portes de la cité

Que l’amour soit son royaume

Et l’espoir son invité

Et qu’il soit pareil aux arbres

Que mon père avait plantés

Fiers et nobles comme soir d’été

Et que les rires d’enfants

Qui lui tintent dans la tête

L’éclaboussent d’un reflet de fête

Pourvu que nous vienne un homme

Aux portes de la cité

Que son regard soit un psaume

Fait de soleils éclatés

Qu’il ne s’agenouille pas

Devant tout l’or d’un seigneur

Mais parfois pour cueillir une fleur

Et qu’il chasse de la main

À jamais et pour toujours

Les solutions qui seraient sans amour

Pourvu que nous vienne un homme

Aux portes de la cité

Et qui ne soit pas un baume

Mais une force une clarté

Et que sa colère soit juste

Jeune et belle comme l’orage

Qu’il ne soit jamais ni vieux ni sage

Et qu’il rechasse du temple

L’écrivain sans opinion

Marchand de rien

Marchand d’émotions

Pourvu que nous vienne un homme

Aux portes de la cité

Avant que les autres hommes

Qui vivent dans la cité

Humiliés, l’espoir meurtri

Et lourds de leur colère froide

Ne dressent au creux des nuits

De nouvelles barricades.

Jacques Brel

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