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Quand le poète Amadou Lamine Sall adressait une lettre ouverte à Alpha Condé avant sa prise de fonction nouveau comme président élu de la Guinée

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A la mort de Lansana Conté et à la prise du pouvoir par Moussa Dadis Camara, je m’étais prononcé, ému et bouleversé, sur le destin injuste, douloureux et tragique qui continuait à s’acharner sur ce beau pays qu’est la Guinée et que nous aimons tant. Après un interminable séjour en enfer sous Sékou Touré, les militaires guinéens n’ont cessé de reconduire longuement et patiemment, sans climatisation, leurs compatriotes dans le même enfer. Mais voilà enfin que l’un d’eux choisit le chemin inverse, celui du paradis, ou presque, en s’investissant dans des élections autant que possible libres et démocratiques. Ruse ou paradoxe de l’histoire, c’est bien un soldat, Sékouba Konaté, qui s’est inscrit sur les pas d’un autre soldat : l’admirable Amadou Toumani Touré du Mali.

Monsieur le Président, la Guinée a trop souffert des dictatures militaires tant et si bien que l’on serait tenté de penser que Sékou Touré aura finalement fait moins mal à son pays. La communauté internationale, l’Union africaine, l’Onu ont longtemps laissé faire avec leurs sempiternelles menaces et déclarations vertueuses qui regardaient mourir un pays qui n’avait que assez payé l’inégalable médiocrité de ses dirigeants et tortionnaires et la prise en otage de tout un peuple au cours de tant d’années de peur, de misère crasse, de privations indignes de notre civilisation. Je le répète : Que peut-on négocier avec des putschistes, sinon leur indiquer la porte de sortie ? Il est enfin temps, au 21e siècle, que l’Onu s’outille, matériellement et juridiquement, pour que ‘l’ingérence internationale’ soit un droit au service des peuples opprimés. C’est cela aussi les droits de l’homme, les droits à la vie tout court, à l’exercice d’un peuple à sauvegarder sa dignité, à conférer librement par les urnes le droit démocratique d’être bien gouverné pour manger, s’éduquer, travailler, jouir d’une justice indépendante et égalitaire.

Monsieur le Président, votre pays est un pays merveilleux, béni des dieux : tout y pousse, même le jus d’une goutte de mangue y fait germer l’arbre. Il jouit d’un climat exceptionnel, au point qu’on le nomme la petite Suisse doucereuse. Il regorge de richesses minières inestimables, car vous possédez les deux tiers des réserves mondiales de bauxite, le troisième gisement de fer du globe, sans compter vos réserves de diamants. On surnomme votre pays ‘le château d’eau de l’Afrique de l’ouest. Donnez à votre jeunesse éducation et formation pour créer de formidables ressources humaines qui pourront servir et développer votre payss. Ouvrez à vos forces armées, de police, de gendarmerie, de douane, les portes des grandes écoles et le goût de l’esprit républicain. C’est l’analphabétisme et l’inculture qui conduisent à la violence et aux coups d’Etat.

Je ne doute pas que vous serez digne du choix qui a été porté sur vous. Tournez la page et sans faiblesse celle aussi des vampires inassouvis, des hyènes qui rodent, tapis dans l’ombre et qui excellent à charmer tout nouveau pouvoir. A vos côtés, nous sommes tous des Guinéens à partir d’aujourd’hui. J’ai toujours pensé qu’il peut arriver que des peuples changent le cours de leur propre existence en prenant en charge leur propre libération du joug de l’oppression et de l’injustice. Il peut arriver qu’ils ne le puissent pas sous la violence de l’oppression. Il peut arriver qu’ils s’en remettent à un Dieu trop occupé ailleurs. Nombre de paramètres culturels, sociologiques, historiques entrent en jeu.

Votre pays, Monsieur le Président, était devenu pour nous Africains, un cas humiliant de tragédie sans nom. J’ai toujours élevé la voix pour dire qu’une longue et très douloureuse oppression avait meurtri et tétanisé votre pays depuis le régime ‘psychiatrique’ de Sékou Touré. On ne se relève pas facilement d’une nuit aussi noire et infinie. Nous le savons tous maintenant, hélas : la politique et l’argent n’ont rien à faire avec la morale et l’éthique. Il n’y a pas, bien sûr, que notre continent pour le confirmer. Certaines grandes puissances n’y ont pas échappé ces dernières années, même si cela se fait de manière plus civilisée, plus subtile.

Monsieur le Président, les régimes politiques guinéens depuis l’indépendance ont été des exemples achevés de barbarie, de cupidité, de corruption. Avec vous, il est enfin arrivé le temps d’agir, et vite ! Il existe un temps pour la lutte pour le pouvoir et un temps pour l’action. C’est le temps de l’action pour la Guinée. Nous savons que ‘le jeu des démocraties est plus caché, plus retenu que celui des tyrannies’. Pour dire combien le semblant de démocratie peut être pire encore. Il ne faut pas que le prince soit l’Etat et tout l’Etat. Ne croyez pas à ceux qui vous loueront d’avoir enfin accédé au pouvoir suprême. Dites-leur plutôt que vous accédez enfin au vrai partage et que chaque Guinéen est garant du pouvoir et comptable du développement de son pays. Vous avez trop souffert pour vous en convaincre sans l’aide des griots et conseillers de cour, sans compter ceux qui ont l’habilité de faire du cercle du pouvoir leur gibier et leur coffre de banque.

Bien sûr, écoutez tout le monde, mais n’obéissez pas toujours. Rien ne sera facile pour vous, mais commencez par vos adversaires d’une élection. Que votre vision de la Guinée se nourrisse du meilleur des ambitions de Cellou Dalein Diallo et de tous les partis qui ont participé à sortir votre pays de l’impasse. Le temps qui s’ouvre devant vous ne s’ouvre pas pour vous seul, vos amis et vos militants, sinon il se refermerait bien vite. C’est plutôt le temps de toutes les femmes et de tous les hommes de votre si beau pays. Votre peuple et votre pays doivent compter avant vous-même. C’est d’abord la Guinée, ensuite la Guinée, enfin la Guinée. Mais placez-la au cœur de l’Afrique pour qu’elle en soit et le moteur et le bras.

Ne vous fiez point ni au socialisme, ni au libéralisme, ni à la social-démocratie, ni au communisme. Il y a bien longtemps que les idéologies sont mortes. Il n’en reste que des vitrines fêlées et pitoyables. La seule vitrine qui vaille est celle d’une Guinée prospère, respectueuse des droits de l’homme, ouverte sur le monde et riche de ses propres cultures. Entre la Chine et l’Inde, la vieille et rusée Europe et les deux Amériques, ne choisissez que l’intérêt de la Guinée dans une coopération saine, juste et honnête. Attirer les investisseurs ne voudra pas dire leur donner plus que la Guinée elle-même ne peut gagner. Posez des infrastructures indispensables à la croissance. Que les richesses de la Guinée profitent d’abord à la Guinée.

La tâche qui vous attend est presque impossible. Vous ne pourrez pas tout faire, mais faites ce qui restera dans la mémoire de votre peuple après vous. Entre ce qui est utile et ce qui est nécessaire, choisissez ce qui est d’abord nécessaire. Posez des actes possibles, ni utopiques ni surhumains. L’attente et l’espoir de votre peuple sont trop grands pour vous laisser distraire par les hypocrisies des relatives grandes puissances de notre monde. La première grande puissance pour vous, c’est la Guinée. Vous êtes assis sur des richesses que d’autres vont chercher ailleurs pour bâtir leur rang économique mondial. C’est l’Afrique qui, en cédant à vil prix ses richesses, a souvent conféré aux grands pays industrialisés leur pouvoir et leur rang. L’Afrique a toujours donné aux autres ce qu’elle se refuse à elle-même : le développement. Nous avons tant donné et avons si peu reçu. Finie la malédiction issue de nos propres actes !

Monsieur le Président, la Guinée ne sera grande que par le respect de sa diversité culturelle. Dans la dure réalité du pouvoir, la rareté des fonds, le sacrifice dans les choix des premières priorités, gardez des places réservées et numérotées à vos écrivains, vos artistes, vos poètes. Si dans la marche funeste de la Guinée, une lumière s’est souvent levée quelque part pour éclairer toujours la nuit, ce fut toujours la lumière de votre musique, de vos ballets, de vos poèmes. Si les ballets de Keïta Fodéba n’avaient pas existé et fasciné le monde, si l’orchestre du Bembeya Jazz national n’avait pas existé et fasciné le monde, si l’équipe de football du Syli National n’avait pas marqué l’histoire du ballon africain, si Djibril Tamsir Niane n’avait pas révélé Soundiata Keïta à l’histoire du monde, qu’aurions-nous retenu de la Guinée ? En effet, ‘c’est la culture qui commande et domine tout’. Donnez donc du relief à votre gouvernement avec un ministère de la Culture digne de la nouvelle Guinée et de sa reconquête du monde. Pensez à votre diaspora, aux enfants de la Guinée en exil. Œuvrez pour que l’exil ne soit plus la mémoire qui va toujours chercher le mauvais fagot.

J’entendais l’autre jour votre ami qui n’est pas l’ami d’un jour, l’avocat Boucounta Diallo, dire que l’avenir et la chance de la Guinée sont dans son métissage culturel, voire biologique, et non point dans la tribalisation et la pétrification de ses ethnies. Comme il a eu raison de rappeler, comme Senghor, ce fait de l’histoire qui a conduit aux plus hautes et plus fastueuses civilisations.

C’est sans aucun doute au nom de cette Guinée métisse que vous avez pu arriver aujourd’hui à la tête de votre pays. Cultivez donc, jusqu’à l’épuisement, le respect de ces valeurs qui, seules, sauveront la Guinée de la division et de la haine. Le temps du monde appartient désormais à la culture de la paix, de la démocratie, des droits de l’homme et du droit au développement.

Devancez donc, Monsieur le Président, votre avenir. Que le citoyen guinéen jusqu’aux confins des forêts de votre pays soit à votre réveil, chaque matin, votre souci. Commencez par le pain, l’eau, l’éclairage, la santé, l’éducation. Vous le pouvez. La Guinée est un grenier faste, une femme d’abondance et de grâce exquise.

Monsieur le Président, tuez en vous la tentation du pouvoir absolu. Dès aujourd’hui, préparez votre sortie pendant que vous êtes fort. Il n’existe pas ‘un temps’ pour conquérir le pouvoir et ‘un temps’ pour le garder indéfiniment. Aidez la démocratie à se construire, si elle est construite, consolidez-la, si elle est consolidée, renforcez-la, si elle est renforcée, protégez-la, si elle est protégée, garantissez-la, non seulement par votre propre personne mais surtout par ce qui, malgré vous, contre vous et après vous, tiendra pour toujours comme force de loi.

Monsieur le Président, en quittant le pouvoir demain au lieu de le laisser vous quitter, déposez une grande étincelle dans vos cendres pour que les enfants de la Guinée y allument de nouveaux tisons, afin que ce pays que nous chérissons tant et qui nous est si cher, ne connaisse plus jamais les ténèbres.

             Puissent vous et les Guinéens, avec Dieu, installer désormais et pour longtemps votre pays, notre pays, dans la lumière.

           Mes respects, Monsieur le président de la République.

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