Elle était l’image et le son d’une République qui ne battait qu’au seul rythme de ses déclarations. Souvent intempestives. Elle incarnait à elle seule toute la puissance de l’Etat. Une femme devenue l’«homme fort» d’un régime au point d’en annexer tous ses chefs : de celui de l’Etat à celui du gouvernement. Ex-ministre de la Justice de son état, sniper de la République, égérie médiatique du pouvoir et parangon des biens présumés mal acquis, Karim Wade est son obsession, l’immolation politique de l’ancien ministre d’Etat, son unique objectif. L’acharnement de l’agitée chronique du pouvoir aura finalement payé. Aminata Touré a été nommée Premier ministre du Sénégal. Sans surprise.
Elle succède à son meilleur ennemi, Abdoul Mbaye, limogé avec une prodigieuse brutalité et une inélégance rarement égalée. C’est la victoire de la militance politique sur la gestion technocratique ou l’épilogue d’un duel à mort entre un homme et une femme qui se sont juste tolérés, mais ne se sont véritablement jamais supportés. Exit donc le choc de sobriété incarné par Abdoul, place au choc de trépidation symbolisé par Aminata.
Du «Mimi» matin, midi, soir
Propulsée au nirvana primatorial pour «accélérer la cadence des actions présidentielles», Mme Touré, dont le moteur est à explosion, a incontestablement le profil de l’emploi. C’est pied au plancher, klaxon bloqué, phares allumés, caméras embarquées et chéquier dégainé, qu’elle a entamé sa mission accélératrice. Direction Fatick, l’empire de Macky Ier où les inondations ont semé souffrance et désolation. L’intention est certes louable, mais au delà, l’escapade fatickoise de Mme le Premier ministre donne le tempo de ce que sera désormais la gouvernance Touré : tourbillonnante et assourdissante. A peine nommée, voilà que la parole primatoriale encombre déjà le décor médiatique. Impossible d’y échapper. Du «Mimi» matin, midi, soir. Cet état de siège médiatique qu’elle fait subir aux Sénégalais pourrait très vite se retourner contre elle si les résultats ne suivent pas. Mais c’est surtout son activisme qui risque de rendre de plus en plus inaudible une parole présidentielle qui, à force de tourner dans le vide, est de moins en moins écoutée. La cohabitation commencée dans le miel peut à tout moment se prolonger dans le fiel, entre un Président au minimum de son capital d’autorité et de crédibilité et une chef de gouvernement imbue de ses prérogatives, au sommet de sa gloire et de sa puissance. Voilà qui pourrait bien ouvrir le bal des egos tout au sommet de l’Etat. Sur une musique de fond de l’orchestre cacophonique gouvernemental.
Exploit pour Abdoul et miracle pour Aminata
Peu importent les événements qui ont poussé Macky Sall à remanier son équipe. Mais changer de gouvernement peut-il changer le destin du Président ? Pas si sûr. Que pourra faire Aminata Touré mieux que Abdoul Mbaye ? L’agitation médiatique et politique d’un Premier ministre ne comblera jamais le manque de vision d’un chef qui n’a pas de boussole, qui ne sait pas où il va, qui ne dit pas toujours ce qu’il fait et ne fait pas forcément ce qu’il dit. Macky Sall avait promis un gouvernement de 25 membres, on connaît la suite. Il s’est autoproclamé apôtre de la bonne gouvernance, l’origine de sa fortune reste toujours enveloppée d’un très épais brouillard. Il avait annoncé la création de centaines de milliers d’emplois, les jeunes n’ont jamais été aussi désespérés que sous sa mandature, sans oublier le pouvoir d’achat des Sénégalais qui s’est littéralement effondré, alors qu’il s’est fait plébisciter justement sur sa promesse de réduire le coût de la vie. L’addition d’autant d’engagements non tenus et de rendez-vous manqués a détruit la confiance que les Sénégalais avaient placée en leur Président. S’il fallait un exploit à Abdoul Mbaye pour redorer le blason de la présidence Sall, il faudra un miracle à Aminata Touré pour reconquérir les faveurs d’une opinion frappée au cœur par la désillusion Macky. La cote de popularité présidentielle a aujourd’hui franchi tous les seuils d’alerte. Celui qui dix-huit mois plus tôt avait promis de mener le Sénégal vers le cap de bonne espérance est en train de faire cap sur l’archipel de la désespérance. Les populations sont dans le désarroi, le pays au bord de la dépression sociale. Le Sénégal est aujourd’hui un grand corps malade. A son chevet, un Président lui même en proie à une lente asphyxie politique.
Un chef affecté par le virus de la suspicion
Récemment interrogé sur l’origine de sa richesse colossale, Sall a avoué «avoir bénéficié des largesses de Abdoulaye Wade». Alors questions : pendant combien de temps Macky Sall a-t-il bénéficié des libéralités de l’ancien Président sénégalais ? A quelles fins ? Pour quel montant exactement et quelle était la nature des «étranges largesses wadiennes ?» De l’argent de poche, des cadeaux d’anniversaires, des fonds politiques…? Les Sénégalais ont le droit de savoir. Macky Sall a le devoir de rendre publique la traçabilité de son trésor. De tout son trésor. Les explications aussi vaseuses que nébuleuses livrées à la presse américaine n’ont convaincu personne et nourrissent beaucoup d’interrogations sur la fortune d’un Président devenu prodigieusement riche en milliards alors que son seul patrimoine connu il n’y a guère si longtemps était une carte du Pds et une proximité avec le Président Abdoulaye Wade. Si rien ne permet encore de parler d’un «macky-gate» à propos des mystérieuses largesses de Wade, force est de constater que celui qui est censé incarner cette gouvernance propre promise aux Sénégalais est aujourd’hui largement affecté par le virus de la suspicion.
Un Président expérimental ?
Il a beau changer son gouvernement, réaménager son cabinet et corriger sa communication, rien n’y fait. Le moteur ronronne mais ne tourne toujours pas. Macky Sall entame sa deuxième année de mandat et personne ne sait où il veut véritablement emmener le Sénégal. Le Président préside à vue. Sans cap ni direction. Sa promesse de gouvernance maîtrisée s’est muée en présidence zigzaguée. Dix-huit mois après l’alternance, il flotte toujours sur le Palais comme un air d’impréparation à l’exercice du pouvoir. Les Sénégalais ont porté Macky Sall à la tête de leur Etat, mais lui peine encore à trouver le costume qui va avec. Du coup, c’est l’insuffisance même de sa stature présidentielle qui commence à faire débat au sein d’une opinion publique de plus en plus touchée par une «wado-nostalgie». Mais il y a bien plus inquiétant pour le chef de l’Etat. Un profond désamour s’est installé entre lui et les Sénégalais. Macky Sall ne réussit toujours pas, après 18 mois de présidence, à incarner la Nation et à tisser un lien affectif fort avec son Peuple, à l’inverse de son prédécesseur. Wade pouvait nous exaspérer, nous émouvoir, nous irriter ou nous agacer, mais il ne laissait personne indifférent. Chaque Sénégalais avait en lui quelque chose «d’Ablaye» qui avait en lui quelque chose de chaque Sénégalais. Il n’en est rien avec l’actuel locataire du Palais. Le sentiment d’une écrasante majorité de Sénégalais à l’égard de Macky Sall oscille entre rejet et regret. Il est devenu Président en traînant un lourd passif de charisme, l’exercice du pouvoir n’aura fait qu’aggraver le déficit.
La guerre des trois aura lieu
Les promesses électorales l’ont propulsé à la tête de l’Etat, elles sont aujourd’hui son principal tourment. Macky Sall s’est piégé en suscitant des espoirs qu’il n’arrive pas et n’arrivera certainement pas à satisfaire. Jamais un président sénégalais n’aura cristallisé autant de déceptions au bout d’une année de mandature. Cette incapacité à incarner l’espérance qu’il a fait naître est en train de saccager sa présidence. A sa décharge, il a hérité d’un pays économiquement vandalisé et éthiquement balafré par 12 ans de gravitation autour de l’orbite Pds. L’addition est très salée. Il faut bien la régler et c’est Macky Sall qui doit s’y coller. Le défi est certes immense, (ça il le savait déjà), mais il ne suffit plus à expliquer les errements d’un président désemparé, qui a perdu tous les codes de déverrouillage de son mandat. Macky Sall est un chef cerné par les difficultés et piégé par des alliés en ordre de contestation permanente de son autorité. La coalition qui, hier, le soutenait dans sa conquête du pouvoir, l’a aujourd’hui enfermé à double tour derrière les grilles du Palais, sous l’étroite surveillance d’une poignée de snipers postés sur tous les miradors institutionnels de la République. Ces femmes et ces hommes regroupés au sein de l’épave politique qu’est devenue Benno bokk yaakaar, tiennent le Président en joue et se jouent de sa vulnérabilité politique. Pour desserrer l’étau Bby qui étouffe sa présidence et ses velléités de liberté, le chef de l’Etat a engagé une partie d’échec qui se joue à huis clos entre son parti, ses alliés ou plutôt ses ennemis de l’intérieur et son opposition. Et dans cette «guerre des trois» qui aura lieu lors des Locales de l’année prochaine, c’est incontestablement lui qui se trouve dans la situation d’échec et mat. Avec 25% de voix au premier tour, Macky Sall reste un chef par défaut et non LE Président souhaité. Jamais dans l’histoire du Sénégal, un bail présidentiel n’avait atteint un tel niveau de précarité.
Le retour en grâce de Karim Wade
Son autorité se disloquant, Macky Sall a misé sur l’emprisonnement de Karim Wade pour résorber son déficit de présidentialité. Bientôt 5 mois que l’ancien ministre dort en prison. Décrété coupable avant même d’être jugé. Il est accusé d’avoir détourné pas loin d’un milliard d’euros. C’est l’équivalent du bénéfice net de la Banque centrale européenne (Bce) en 2012. Parce qu’elles frisent la démesure, ces allégations peinent aujourd’hui à être prouvées. La bulle de l’accusation est en train de se dégonfler et risque d’exploser, car l’ancien ministre d’Etat a été quasiment blanchi sur les plus gros dossiers le concernant. Ce qu’il est convenu d’appeler «l’affaire Karim Wade» tourne de plus en plus à la bataille de l’opinion. Mais à force de vouloir jeter un homme à la vindicte populaire, Macky Sall a réussi avec une exceptionnelle ingéniosité, à organiser son retour en grâce. C’est l’une des rares réussites de sa présidence : la «présidentialisation» de Karim Wade. L’ancien ministre d’Etat est devenu à son corps défendant l’opposant en chef à Macky Sall dont les chances de réélection se consument au rythme des déceptions engendrées par sa présidence. Du coup, le scénario «Karim 2017», improbable il y a encore un an, est en train d’inexorablement, largement, infuser au sein d’une importante frange de l’opinion publique, qui doute des capacités de Macky Sall à gérer le Sénégal avec son programme verrouillé sur l’intimidation de ses adversaires et une inlassable ritournelle sur la gouvernance exemplaire. Sans l’exemplarité qui va avec.
Karim Wade, à l’instar de tous ceux qui ont géré notre argent, doit rendre des comptes. Personne ne peut aujourd’hui ni demain, sous quelque prétexte que ce soit, se soustraire à cet impératif catégorique, politique et éthique. Les audits sont utiles et nécessaires pour scanner la gouvernance de notre pays. Mais les enquêtes en cours, au-delà de leur caractère sélectif et exclusif, ressemblent de plus en plus à une opération d’extorsion de sympathie et de crédibilité de la part d’un Président dont le fiasco est programmé et qui découvre 18 mois plus tard, que «la vérité du pouvoir n’est pas dans sa conquête, mais dans son exercice».
Malick SY – Journaliste – Tambacounda
Il faut vraiment être un journaliste pédant et sans idées pour pondre une contribution pareille.
Aucune analyse fouillée et sérieuse.