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Qunu, Robben Island, Pretoria… Sur les traces de Nelson Mandela

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Il a changé le cours de l’histoire. Le prix Nobel de la paix 1993 est le père de l’Afrique du Sud contemporaine. Notre envoyé spécial a reconstitué son parcours.

L’Afrique du Sud est un pays en fête. Elle célèbre le vingtième anniversaire de la libération d’un homme, Nelson Mandela. Un monument. Le fondateur d’une nouvelle nation, sur les ruines de l’apartheid. Une sorte de saint laïque. Le symbole de la réconciliation, du pardon, de l’amour de son prochain. N’a-t-il pas su tendre la main à ses pires ennemis ? Et, mieux encore, calmer leurs peurs et les associer à son projet d’une société démocratique et libre ? Les statues érigées à sa gloire ne laissent paraître aucune aspérité.

Et pourtant, il a été l’un des premiers à prôner le recours à la lutte armée. Il affiche une joie et un optimisme de rigueur, mais demeure profondément marqué par ses vingt-sept ans passés derrière les barreaux. Même ses amis les plus proches disent qu’il demeure pour eux un mystère. Un personnage impénétrable, caché derrière une série de masques. Sa chaleur, sa simplicité, son sourire éclatant, la lenteur de son pas ? Tout serait étudié, composé. Et si Mandela était d’abord un formidable animal politique ? Pour tenter de percer son secret, il faut le suivre dans les lieux qui ont marqué sa vie, il faut partir à la recherche des clés de ses prisons successives.

Qunu, Transkei

Des collines ondulées, couvertes d’une herbe rase, presque jaune à l’approche de l’hiver austral. Un espace nu et infini, interrompu seulement par des rivières. Et aucun homme blanc, aucun obstacle à l’horizon. C’est dans ce cadre de liberté, épargné par le racisme, que le futur président de l’Afrique du Sud naît le 18 juillet 1918. Son père, Hendry, exerce les fonctions de chef héréditaire à Mvezo, un petit hameau du Transkei. Il appartient à la cour royale des Thembu, l’un des peuples de la nation xhosa. Il lèguera à son fils une distinction tout aristocratique et un prénom prédestiné, Rolihlahla, littéralement « celui qui crée des problèmes ».

Hendry est lui-même un homme fier et têtu. Lorsque la justice le convoque, à la suite d’un conflit avec l’un de ses sujets, il refuse de se déplacer. En guise de punition, le magistrat le dépose, lui retire son titre, ses rentes. Le voilà ruiné, contraint de renvoyer ses quatre épouses dans leur famille respective. Rolihlahla et sa mère, Fanny, partent vivre à Qunu. « C’est dans ce village que j’ai passé les années les plus heureuses de mon enfance », écrira-t-il dans ses Mémoires (1).

Dans ses vallons, ses velds, comme disent les Sud-Africains, il apprend à surveiller le bétail, à chasser avec une fronde, à récolter du miel sauvage. De cette période vient son attachement viscéral à la nature, sa passion pour les jardins qu’il créera dans chacune de ses geôles. Sa mère, une méthodiste, le convertit et l’envoie à l’école. L’institutrice lui donne, comme à chacun de ses élèves, un prénom anglais : Nelson. A cause de l’amiral, conclura-t-il, une fois adulte.

Depuis son enfance, rien n’a vraiment changé à Qunu. A part la tôle et les parpaings qui, ici et là, remplacent le chaume et la terre crue, les mêmes huttes rondes aux toits pointus s’étendent à perte de vue à travers la lande. Autour de la rivière, de jeunes bergers qui pourraient être ses doubles, avec leurs bâtons et leurs bonnets de feutre, gardent des troupeaux de vaches et de moutons. En bas de son ancienne école, des lycéens en uniforme pourpre rient des mêmes jeux.

Assis sur des lattes de plastique, ils dévalent l’un de ces énormes rochers plats où il s’est si souvent martelé le derrière. Ils viennent d’affronter, à peu près au même âge que lui, le grand rite de passage de la tradition xhosa, la cérémonie de la circoncision. « Parce que c’est comme ça que l’on devient un homme », expliquent-ils. Et à l’instar de leur illustre prédécesseur, l’un d’eux dit vouloir devenir avocat pour défendre ceux que « la misère pousse à commettre des crimes ». Difficile de savoir si ces jeunes ne font que copier leur héros, tant sa légende imprègne toute la région, ou s’ils reproduisent des gestes immémoriaux.

Sur ses terres, Mandela est partout. Un musée tout neuf lui est dédié. Dans le petit cimetière niché en contrebas de la route, les pierres tombales portent toutes son nom. Au milieu des hautes herbes reposent ses parents, mais aussi trois de ses six enfants morts brutalement. « Qunu n’est qu’une grande famille », déclare son cousin germain, Alvin Mandela, croisé dans l’un des troquets du village, et sirotant sa bière dans un petit pot en verre, faute de gobelet. A 78 ans, il peste contre le gouvernement et dit « mourir de faim » avec ses 1.000 rands de pension (près de 100 euros), ses six vaches et ses sept moutons. Tout le monde a un peu trop bu. Dans la courette, deux hommes exécutent des pas de danse au son de leur portable.

Un hutte de Qunu, le village natal de Nelson Mandela
Une hutte de Qunu, le village natal de Nelson Mandela (RODGER BOSCH / AFP)

La « grande demeure »

Avec ses deux tracteurs et son potager, l’endroit évoque davantage une ferme qu’un palais. Il s’agit pourtant de la « grande demeure », le coeur du pouvoir ancestral des Thembu. Les sept cases blanchies à la chaux et les deux maisons plus récentes qui les encadrent abritent toujours la cour royale. Pour rejoindre cette « capitale » appelée Mqheke zweni, il faut parcourir une quinzaine de kilomètres sur un chemin de terre.

Quand Mandela arrive ici, à 9 ans, il est ébloui par la majesté des lieux. Avant de mourir d’une maladie pulmonaire, son père l’a confié au roi Jongintaba pour qu’il l’élève et fasse de lui, plus tard, le conseiller de son propre fils, Justice. Les deux garçons grandissent ensemble.

Ils occupent une hutte ronde qui existe toujours ; ils assistent, sous le grand eucalyptus, aux réunions tribales, aux débats interminables à propos des terres communales ; ils écoutent avec fierté les récits de bravoure des anciens souverains xhosa. Mandela reçoit sa première leçon de politique. Le roi n’intervient qu’après des heures de discussion pour tenter de dégager un consensus. Une méthode qu’il appliquera souvent. « Oui, il a appris beaucoup de choses ici, comme le respect de la tradition », dit Nozolile Mtira ra, la veuve de Justice. « Maintenant, il n’y a plus beaucoup de respect pour le chef, se lamente-t-elle. Les gens sont plus éduqués. Nous vivons dans une société démocratique. » Mandela s’aperçoit également, ici, que la liberté dont il jouit n’est qu’une illusion. A 16 ans, il subit sans broncher le rite de la circoncision et pousse le cri qui l’accompagne : « Ndiyindoda ! » (je suis un homme.) Mais sans les droits qui vont avec, révèle aussitôt aux jeunes initiés l’un des maîtres de cérémonie. Les Noirs, leur dit-il, « sont des esclaves dans leur propre pays ».

Fort Hare

Pour servir son roi, il doit être instruit. Après le collège, Nelson Mandela intègre la seule université ouverte aux Noirs dans l’ensemble de l’Afrique australe. Fort Hare draine des élèves de toutes les colonies et dominions britanniques et formera nombre de leurs futurs leaders. C’est un bastion de l’African National Congress (ANC), un mouvement fondé en 1912 en réaction à un Etat proclamé deux ans plus tôt qui a déjà édicté ses premières lois raciales. Encore aujourd’hui, l’établissement se flatte d’attirer les meilleurs élèves de cette partie du continent. « Nous sommes le berceau de l’intellectualisme africain, lance l’un de ses responsables, Vuyani Booi. Nous insistons sur les droits de l’homme, les libertés, le développement social. »

En 1940, ses professeurs, des missionnaires protestants pour la plupart, exhortaient surtout à obéir à Dieu et aux autorités. Mandela y acquiert ses manières et sa culture très britanniques, son attrait pour la démocratie anglo-saxonne, son côté « gentleman », comme l’écrit l’un de ses biographes, Richard Stengel (2). Des principes plus qu’un engagement. Quand les étudiants apprennent qu’ailleurs leurs condisciples blancs sont bien mieux nourris, ils décident de boycotter les élections universitaires. En solidarité, Mandela, qui fait partie des élus, démissionne. Il finit par être renvoyé. Le roi est furieux. Il lui annonce, peu après, que Justice et lui doivent se marier. Il leur a trouvé des épouses. Les deux garçons préfèrent fuir à Johannesburg.

Soweto

Mandela est attiré par les lumières de la grande ville, il découvre les native pass, les passeports indigènes, et les townships, ces ghettos avec leurs maisons en forme de boîte d’allumettes. Comme des milliers de Noirs avant lui, il trouve un emploi dans une des mines d’or des alentours. Il est gardien de nuit, mais se fâche vite avec ses patrons, qui le congédient. Un cousin le dirige vers Walter Sisulu, un agent immobilier et aussi un activiste de l’ANC, qui décèle aussitôt en lui un futur leader. Il lui obtient un stage dans un cabinet d’avocats.

Nelson Mandela entame des études de droit et s’installe à Alexandra, puis à Soweto, qui deviendra l’épicentre de la révolte. Un immense faubourg aujourd’hui, totalement transformé, même s’il possède encore ses bidonvilles. On y trouve une classe moyenne, une chaîne de télévision, même une galerie marchande, une vaste cathédrale de verre, de marbre et d’acier, Maponya Mall. « Mais on a toujours le sentiment de vivre dans un lieu à part, affirme un de ses habitants, l’essayiste Soussiso Xhundo. Et quand Soweto éternue, le pays s’enrhume. » Un car de touristes américains s’arrête devant le 8115, Orlando West, la maison de Mandela convertie en musée. Un must des tour-opérateurs. En 1941, le township était rempli d’enfants affamés, de tsotsis, ces gangsters qui copient les films américains et portent des borsalinos.

Dans son petit deux-pièces sans électricité, Mandela vivra dix ans avec sa première épouse, une infirmière, Evelyn, puis, après son divorce, avec Winnie, une jeune, belle et fougueuse assistante sociale. Cette dernière loge maintenant trois cents mètres plus loin, dans une superbe villa protégée par des gardes du corps.

La maison où Nelson Mandela vécut à Soweto
La maison où Nelson Mandela vécut à Soweto (FRANCOIS XAVIER MARIT / AFP)

Chancellor House

Des blocs de parpaing obstruent les fenêtres. Une végétation a poussé sur le toit. Le lieu était encore squatté il y a deux mois, comme une grande partie du centre de Johannes burg. « On était 200 à vivre là entassés, dit Eric Mphahlele. On nous a promis de nous reloger ailleurs. » Il fait partie des milliers de vagabonds qui s’improvisent gardiens de voiture pour gagner 3 rands (30 cents). Sa famille vit à Soweto, mais il n’a pas les moyens de payer le taxi collectif chaque matin. Dans le cadre de son grand programme de réhabilitation du coeur de la ville, la mairie a prévu de restaurer le bâtiment, situé juste en face du tribunal, et de remettre sa plaque : « Mandela & Tambo ».

En 1952, Nelson Mandela ouvre le premier cabinet d’avocats africains avec Oliver Tambo, un ami rencontré à Fort Hare. Ils appartiennent tous deux à l’ANC. Mandela se définit alors comme un panafricain, par opposition aux antiracistes, les deux principaux courants du parti. C’est un militant passionné, exubérant, susceptible, tout le contraire du personnage qui émergera de la prison quarante ans plus tard. Il participe à la campagne dite de défi, inspirée par la lutte pacifique lancée en 1913 par un autre avocat, un Indien cette fois, Gandhi, contre la ségrégation en Afrique du Sud. A la différence du Mahatma, il n’est pas apôtre de la non-violence à tout prix. Devant l’échec des actions légales, il envisage de recourir à d’autres moyens.

Quatre ans plus tôt, le parti nationaliste avait remporté des élections réservées aux seuls Européens. Son programme ? L’apartheid. La séparation stricte entre les races, au nom de la supériorité blanche. Les nouvelles lois créent des installations distinctes dans tous les lieux publics, interdisent les mariages mixtes, obligent les Noirs à devenir citoyens de lointaines réserves appelées « bantoustans »… Le pays se recouvre de pancartes « Net blankes » – réservé aux Blancs. « J’étais en colère contre les Blancs, écrit Mandela dans ses ‘Mémoires’. Si je n’étais pas prêt à les jeter à la mer, j’aurais bien aimé les voir monter à bord de leurs bateaux à vapeur et quitter le pays. »

En 1956, il est arrêté une première fois, avec 155 autres camarades. Tous sont accusés d’avoir voulu renverser le régime. La preuve de leur crime ? Une charte de la liberté qui revendique l’égalité des personnes, indépendamment des races. Le procès tourne court. Acquitté, Mandela plonge dans la clandestinité. Il devient le chef de l’aile militaire de l’ANC, baptisée MK, puis, en 1962, tombe dans une embuscade de la police. « On ne visait que les symboles de l’apartheid. On ne voulait pas faire de mal aux civils », affirme son vieux compagnon Ahmed Kathrada, dit « Kathy ».

A l’issue de son second procès, il délivre la plus longue plaidoirie de sa vie. Quatre heures durant, il raconte son enfance, explique les raisons de son combat, nie être communiste, une obsession des autorités. Il admet avoir commis des actes de sabotage, mais les justifie par la violence du régime. « Je défends l’idéal démocratique d’une société libre dans laquelle des gens vivent ensemble en harmonie avec des droits égaux, conclut-il. C’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir. » Une phrase dangereuse. Il encourt la peine capitale. Son ami et avocat George Bizos a tenté de le dissuader de la prononcer. A sa demande, il a ajouté : « Si c’est nécessaire. » Grâce aux pressions internationales, il échappe au pire. La cour le condamne à la prison à vie.

Nelson Mandela posant dans son ancienne cellule de la prison de Robben Island en 1995
Nelson Mandela posant dans son ancienne cellule de la prison de Robben Island en 1995 (GUY TILLIM / AFP FILES / AFP)

Robben Island

Difficile de s’étendre sans toucher le mur. Quand on mesure 1,95 mètre, c’est simplement impossible. « Il devait se coucher en travers », estime Vusumzi Mcongo, un de ses ex-codétenus. Sur le sol de béton repose une natte et trois couvertures grises. « Plus on en mettait, plus on avait froid. » Cet homme dit n’avoir passé « que 12 ans » dans ce bagne qui l’emploie aujourd’hui comme guide. Nelson Mandela aura, lui, vécu 18 années, confiné dans cette cellule barrée par une double porte, avec comme seule ouverture une fenêtre de 30 centimètres donnant sur la cour centrale. Une telle expérience ne peut pas ne pas avoir eu un impact sur son caractère. L’homme d’ordre, mesuré, discipliné, toujours maître de lui va naître au contact de Robben Island, cette île de diable au large du Cap.

Dès son arrivée, en 1964, celui qui porte le numéro d’écrou 466/64 reprend son combat, toujours le même : défendre sa qualité d’homme. A Robben Island, l’apartheid se glisse jusque dans le choix des vêtements. Les Africains reçoivent un short. Les autres ont droit à un pantalon et à des chaussettes. Il exige d’avoir le même uniforme que ses camarades indiens ou métis. Avec succès. Au début, ses geôliers sont particulièrement brutaux. Ils traitent leurs captifs comme des animaux, les nourrissent avec de l’eau de riz, les privent de visite parfois pendant plus d’un an. Mandela se montre toujours ferme et courtois avec eux. Il peut défier leurs ordres, il refuse par exemple de les appeler « baas » (« maître »), ou de courir quand ils le sifflent, mais il apprend aussi leur langue, l’afrikaans, leur histoire, leurs poèmes.

Il cherche à la fois à les dominer et à les convaincre. C’est avec ses gardiens que le futur négociateur fait ses classes. Il finira par devenir le « maître de sa propre prison », lit-on dans la biographie d’Anthony Sampson (3). Lorsque les autorités décident son transfert sur le continent, en 1982, les travaux à la carrière de calcaire ont cessé, il peut recevoir des lettres régulièrement, lire, étudier, même cultiver un bout de jardin.

Victor Verster

C’est son cadeau pour son 70e anniversaire. Un nouveau signe que sa libération approche. Sa famille au complet vient lui rendre visite. Agé de 8 ans, son petit-fils, Ndaba, le rencontre pour la première fois. Il n’en croit pas ses yeux. « J’ai vu sa maison, avec un chef, une télé, un magnétoscope, une piscine. Je me suis dit : waouh ! moi aussi, je veux aller en prison ! » A partir de 1988, son grand-père a droit à une cage dorée truffée de micros, même dans le jardin. Une superbe villa couleur saumon, bâtie à l’écart d’une ancienne exploitation agricole reconvertie en pénitencier. Situé à une soixantaine de kilomètres au nord du Cap, niché au milieu des vignobles les plus réputés du pays, Victor Verster est un lieu idéal pour mener des négociations secrètes.

Par le passé, Pretoria avait approché Mandela à plusieurs reprises, non pour dialoguer, mais pour le détacher de son organisation. Cette fois, c’est lui qui a pris l’initiative. Il ne croit plus depuis longtemps à la possibilité d’une victoire militaire et craint, comme les massacres des années 1990 le confirmeront, que le pays ne plonge dans un bain de sang. Il a écrit au ministre de la Justice, Kobie Coetsee, pour lui proposer des « pourparlers à propos des pourparlers ». Le moment est propice. En grande partie grâce à la campagne « Free Mandela » orchestrée par l’ANC, il est devenu le prisonnier le plus célèbre du monde. « Jusque-là, il était oublié, souligne son ex-chef de cabinet, Barbara Masekela. Les journaux n’avaient même pas le droit de publier sa photo. »

Le régime de l’apartheid, quant à lui, est confronté à une instabilité intérieure et à des pressions internationales croissantes. Le 4 juillet 1989, Mandela apprend qu’il va rencontrer le lendemain le président Botha. Pour cette entrevue capitale avec celui qu’on appelle »die Groot Krokodil », il s’apprête comme un acteur, relit ses notes, prépare son speech, demande à avoir un costume et une cravate afin de pouvoir être sur un pied d’égalité. Il est stupéfait par l’amabilité avec laquelle le chef de l’Etat le reçoit. Plus charmeur que jamais, Mandela évoque la guerre des Boers contre les Britanniques, qualifie les Afrikaners de « combattants pour la liberté ». Il ne ressort rien de la réunion. Mais six mois plus tard, le successeur de Botha, Frederik De Klerk, annoncera la libération des prisonniers, le retour des exilés, la levée de l’état d’urgence… Le 11 février 1990, Nelson Mandela quitte le pénitencier de Victor Verster en voiture. Un peu avant la sortie, il donne l’ordre au chauffeur de s’arrêter. « Tu ne mettras plus jamais un pied dehors », lui avait prédit, 27 ans plus tôt, le directeur de Robben Island. Ultime revanche, il insiste pour parcourir les 50 derniers mètres qui le séparent de la liberté en marchant.

Ellis Park

En juin 1995, pour la finale de la Coupe du Monde de Rugby, le stade de Johannesburg affiche complet. Un public presque entièrement blanc, à l’image d’un sport étroitement associé à l’apartheid. « Maintenant, on va jouer au rugby ! », criaient des policiers avant de torturer leurs victimes. Les Sud- Africains affrontent l’ennemi de toujours, les Néo-Zélandais. Avant le coup d’envoi, le nouveau président Nelson Mandela descend sur la pelouse, revêtu du maillot vert et jaune du capitaine de l’équipe nationale, François Pienaar. La foule observe un bref silence, puis se met à crier : « Nelson ! Nelson ! » Le magicien a une fois de plus triomphé. A la surprise générale, les Springboks l’emportent sur les All Blacks. Le soir, même Soweto célèbre la victoire.

Pour permettre l’accouchement d’une société multiraciale, Nelson Mandela est prêt à tout, même à inviter à déjeuner le procureur qui l’a condamné à la prison à vie. En août de la même année, il rend une visite spectaculaire à la veuve de Hendrik Verwoerd, l’architecte de l’apartheid. Il n’hésite pas non plus à nommer ambassadeur l’un des directeurs les plus cruels de Robben Island. Par une foi rousseauiste dans la bonté humaine, mais aussi et surtout par pragmatisme. « Quand vous savez que le pays compte 3 millions de Blancs, vous rejetez tout esprit de vengeance. Car à la fin, ces gens-là ne vont pas disparaître, explique son vieil ami, Ahmed Kathrada. Nous savions que nous allions devoir travailler avec eux. »

La maison où Nelson Mandela a pris sa retraite, dans son village natif de Qunu
La maison où Nelson Mandela a pris sa retraite, dans son village natal de Qunu (RODGER BOSCH / AFP)

Retour à Qunu

Sa maison, juchée sur une butte, aux abords de son village, forme comme un L. Elle est la réplique exacte de son dernier lieu de détention, à Victor Verster. Mandela a demandé à l’administration pénitentiaire de lui en fournir les plans. Il dit avoir beaucoup aimé y vivre, malgré l’étroite surveillance policière. Depuis, sa famille a fait construire juste à côté une immense bâtisse. « Il a gardé une certaine nostalgie de ses années de détention, mais aussi une souffrance. Le calme et l’esprit de camaraderie qui y régnaient lui manquent », estime le responsable de sa fondation, Verne Harris. « Oui, je suis toujours en prison » a-t-il confié un jour à Jacques Derrida, avant d’ajouter, en montrant ses collaborateurs hérités de l’ancien régime : « Ce sont mes gardiens ».

(1) « Un long chemin vers la liberté », Fayard, Paris, 1995.

(2) « Les Chemins de Nelson Mandela« , Michel Lafon, Paris, 2010.

(3) « Mandela », HarperCollins, Londres, 2000.

(Article publié dans « Le Nouvel Observateur » du 27 mai 2010)

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