Même si des proches de « Jaxaay » jubilent du fait qu’aucune sanction judiciaire ou financière n’ait été demandée, il n’en demeure pas moins que la Cour des comptes a relevé des irrégularités et dysfonctionnements à la suite de l’audit du « Plan Jaxaay ». L’As s’est procuré le rapport définitif qui sanctionne l’assemblée générale plénière tenue le 18 novembre 2010 sur le rapport particulier provisoire, dans les locaux de la Cour des comptes. Exclusif.
47.684 milliards dépensés, 50.256 milliards engagés
L’As s’est procuré le rapport définitif d’audit du projet de construction de logements sociaux et de lutte contre les inondations et les bidonvilles, communément appelé « Jaxaay ». La mission a visé les exercices 2006 à 2009. Suivant les données fournies par le Projet aux auditeurs, les dépenses effectuées par le projet sont évaluées à 47.684.695.439 F Cfa. Selon la Direction de la dette et des investissements (Ddi) du ministère de l’Economie et des Finances, à la date du 1er Septembre 2010, 50.256.110.008 F Cfa sont déjà mandatés.
Une instruction de Wade pour l’achat de 300 machines brésiliennes pointée du doigt
Si les auditeurs, dans leur rapport de décembre 2010, n’indexent aucune infraction pénale ou financière, ils n’ont pas manqué toutefois de relever une série de dysfonctionnements, avant de demander des correctifs aux gestionnaires du projet. Ce que les responsables de « Jaxaay » ont promis de faire, lors de l’assemblée générale plénière tenue le 18 novembre dernier, sur le rapport particulier provisoire. « Au fond, la montagne d’accusations portées sur notre dos a accouché d’une souris. L’audit a montré que les montants annoncés par l’opposition étaient fantaisistes, les investissements effectués visibles et palpables, les bassins, les stations de pompage du site Jaxaay, les écoles, et les différentes infrastructures ont permis d’atténuer l’impact des inondations à Dakar. Cela, personne ne peut le nier. Qu’il y ait quelques imperfections dans la gestion, cela aussi était attendu. Le rapport vient assurément à son heure », se réjouit une source proche de « Jaxaay », interpellée hier sur le rapport obtenu par L’As.
Pour autant, les auditeurs ont soulevé des errements et irrégularités, non sans prodiguer des recommandations. Outre certains marchés, le rapport note par exemple que « sur instruction du président de la République, le projet a acquis par marché numéro F/098/Fm approuvé le 17 Novembre 2006, 150 machines brésiliennes pour la fabrication de briques. Le coût de ce marché est de 470 millions F Cfa hors taxes hors Douane. Seulement, ces machines n’ont jamais été utilisées par le « Plan Jaxaay ». L’audit ajoute un autre « cas » : « le projet avait acquis le 17 Novembre 2006, auprès de Afitex, ces 150 machines brésiliennes dont 100 de type Sahara p/1 brique et 50 de type mélangeur Jag 500 pour un montant global de 470.888.065 F Cfa. Ces machines ont été cédées le 30 Mars 2010 au Ministère de la Jeunesse et des Sports. Ce matériel n’a jamais été rendu au projet… Un responsable de « Jaxaay » se défend : « les machines devaient aider à construire rapidement et proprement des logements sociaux dans le milieu semi-urbain et rural. Nous les avons transmises au Ministère de la Jeunesse qui va former les jeunes à ces constructions. Nous ne sommes pas chargés d’utiliser systématiquement le matériel ou les produits achetés par Jaxaay. La station du km14, que nous avons financée, est utilisée en relation avec le Ministère des Infrastructures ; le centre de santé de référence sera utilisé par le Ministère de la Santé, la police par le Ministère de l’Intérieur, les stations de pompage vont être progressivement remises au Ministère de l’Assainissement qui les rétrocèdera aux Communes… ».
Des chefs de quartier « arrosés » par Jaxaay
Pour autant, le rapport note que des sommes d’argent ont été versées en 2008 et 2009 à des personnes physiques comme les chefs de quartiers et à des Mouvements. « C’est vrai, mais il s’agit en général de sommes dérisoires dépensées en relation avec les déplacements de populations et les installations dans la cité Jaxaay », soutient la source. Dans tous les cas, l’audit a recommandé une utilisation judicieuse des ressources du projet.
La Sn-Hlm éclaboussée
L’As révélait déjà la vente illégale de maisons de « Jaxaay », soulevant à l’époque l’ire de la Sn-Hlm, où est logée la Cellule de commercialisation des logements Jaxaay. Dans son rapport, la Cour des comptes a révélé quatre cas d’anomalie dans les attributions des logements. Selon le rapport, « c’est le cas de Mamadou Diouf, attributaire du logement numéro 484 à l’unité de voisinage 20 A. Selon la base de données de Jaxaay, cette attribution a été faite sur la base de la lettre numéro 00484/MPNHC/DH du 18 Décembre 2006, alors que la commission a constaté que le nom de Mamadou Diouf ne figure pas dans cette lettre. Outre cela, Diouf déclare que cette maison lui a été affectée, suite au décès de sa mère. Ce qui n’est pas conforme à la réalité. Dans son dossier attributaire à la Sn-Hlm, il n’y a ni jugement d’hérédité, ni procuration des héritiers. Et en plus, il a prêté sa maison à Mor Faye, époux de Penda Yali ».
Pour ce cas, la source proche de « Jaxaay » jure que le logement en question porte le n° 674 au lieu du n° 484. « Il faut noter aussi que la lettre de transmission porte le n° 485 et non 484/MPBHC/DH du 12/12/2006. Le nom de Mamadou Diouf ne pouvait donc pas figurer sur la lettre n°484. Pour autant, une sommation qui lui a été servie a retracé l’historique de la maison maternelle (délégué de quartier, jugement et procuration produits) ».
La Cour des comptes jette aussi le trouble sur l’attribution d’une maison à la nommée Peinda Yali. « Cette dernière est attributaire du logement numéro 575 à l’unité de voisinage 12 B, suivant lettre numéro 00498/MPBHC/DH du 26 Décembre 2006. Interrogée par la Commission, elle a déclaré qu’elle était propriétaire de la maison. Elle aurait acheté une maison abandonnée à 700.000 F Cfa, ce qui est contraire aux déclarations de Mamadou Diouf, agent de Jaxaay et ami de son mari. Selon Diouf, Yali est propriétaire de la moitié de parcelle de la maison de son père et c’est cela qui justifie l’affectation de logements à la Cité Jaxaay.
Questionnée sur l’origine des 700.000 francs ayant servi à l’achat de la maison abandonnée, Penda Yali déclare qu’ils proviennent d’une « tontine ». Ce qui est invraisemblable, car s’il s’agit, comme elle l’a déclaré, d’une « tontine » de 5000 F Cfa par mois, celle-ci durerait 11 ans 8 mois ». Commentaire du responsable de « Jaxaay » confronté à ces éléments du rapport : « le nom de Penda Yali est sorti de la liste des sinistrés occupant les camps (Yeumbeul 1) et elle provient du quartier de Touba Bagdad. Elle fait partie des 79 premiers attributaires des camps. Son cas a suivi le cheminement logique des sinistrés propriétaires (recensement, indemnisation, attribution) révélés par la Commission départementale d’attribution des logements, présidée par l’Autorité administrative ».
Le préfet de Guédiawaye mis en cause par la Cour des comptes
Un autre cas soulevé par la Cour des comptes met en cause une légèreté ( ?) du préfet de Guédiawaye. En effet, soutient l’audit, c’est sur la base de la saisine par lettre du préfet de Guédiawaye, que le logement numéro 791 de l’unité de voisinage 11B a été attribué à Moustapha Saliou Massamba Mbacké, alors que ce dernier n’est pas un sinistré. « Certes, il n’est pas sinistré, mais l’autorité administrative a en effet évité un procès à l’Etat. En effet, par correspondance n° 531 du 18/05/2007, le préfet de Guédiawaye attirait l’attention du Projet sur le fait que le programme « spécial banlieue » a spolié le sieur Moustapha Saliou Mbacké de son bien immeuble, au profit d’un équipement collectif ».
Soit. La Cour des comptes soutient que l’entreprise Baol Construction, qui est une des entreprises attributaires de la construction de logements sociaux, a affecté un logement à un de ses gardiens du nom de Faye, alors que la villa concernée était déjà prête et livrée au Projet. Il s’agit de la villa numéro 632 de l’unité de voisinage 12B. En plus, c’est le même gardien, qui gérait la location de la villa numéro 623 de l’unité de voisinage 12 B, selon l’audit. « Ce qui s’est passé, c’est que les entreprises, avant de terminer leurs programmes, utilisent les bâtiments en chantier comme bureau ou local de gardien. Lesdits logements, patrimoines du projet, sont affectés aux sinistrés comme les autres logements, au fur et à mesure de leur finition », soutient la source de « Jaxaay ».
Les occupants de la villa 393 de l’unité de voisinage 11 A déclarent qu’elle a été achetée à leur profit par une Ong. Cependant, cette attribution a été faite, sans contrat en tout cas, selon la base de données de la Sn-Hlm. « Il s’agit du logement attribué à Mlle Adama Fall, mineure de 12 ans, orpheline de père et de mère. Le logement n’est pas vendu et est habité par de proches parents (sa tante Binta Thiam, malade). Héritière de parents ayants droit décédés, Mlle Fall ne peut pas signer de contrat avant sa majorité. Il n’a pas non plus été permis à son tuteur de contracter pour elle, mais le logement leur a été affecté dans l’attente du règlement administratif de ce cas ».
23 maisons mises en location par des bénéficiaires, un agent de « Jaxaay » pris en flagrant délit
L’audit a aussi constaté qu’aucun des ayants droit ne payait les 26.351 FCFA exigés par mois. Ce, en se basant sur les déclarations du Président Wade qui disait que les logements seraient gratuits, selon les vérificateurs. Outre la vente de logements, l’audit révèle que 23 maisons ont été mises en location par des bénéficiaires, au mépris des termes du contrat les liant à la Sn-Hlm. Pis, un agent de Jaxaay, Mamoudou Wane, a été confondu par les auditeurs, qui s’étaient présentés comme de potentiels locataires de maisons. Il a proposé de leur « vendre » une villa entre 6 et 7 millions de FCFA. « Il est licencié depuis », soutient un proche de « Jaxaay ».
Une transaction immobilière mise à nue
En dehors de ces cas, l’audit cite l’affaire de la villa numéro 78 de l’unité de voisinage 17 A. Cette villa est attribuée à Madame Oumou Sow qui l’a revendue à Penda Gadiaga par le biais du mari de cette dernière, Aliou Bèye. Actuellement, c’est la coépouse de celle-ci qui loge à ladite villa. La commission, selon le rapport, a également recensé 27 propriétaires ayant deux, voire trois maisons. La Cour des comptes recommande la résolution dans les plus brefs délais de ces errements. « Des sommations sont servies, et des retraits de logement se sont faits sur ces dits cas. C’est un phénomène qui nécessite beaucoup de présence sur le terrain, parce que les auteurs de ces faits ne demandent pas d’autorisation préalable », se défend notre interlocuteur. Qui ajoute : « les attributions doubles ont été autorisées par la Commission Départementale d’attribution de logements, sur la base de la typologie du logement (nombre d’étages ou d’appartements), pour un maximum de deux (02) logements. Cela pourrait être aussi le cas pour une vente de logement si le cédant ou l’acquéreur ne se manifestent pas et traitent en catimini. Ce qui est important de souligner à ce niveau, c’est qu’aucun cas de déviation manifeste de Projet ne soit noté ; au contraire ce sont des particuliers qui bénéficient de la bienveillance du Chef de l’Etat, qui manipulent. Nous veillons au grain et tout cas décelé reçoit la sanction adéquate ».
Mystères autour de 50 hectares octroyés par les Finances au « Groupe Nabi »
Un fait qui a aussi intrigué les auditeurs est relatif au terrain attribué au « Groupe Nabi ». En effet, il a été prescrit l’immatriculation au nom de l’Etat du Sénégal d’une parcelle de terrain du domaine national sise à Tivaouane Peulh, d’une superficie de 50 hectares, en vue de son attribution par voie de bail au profit de la société « Groupe Nabi », pour la construction d’un programme de logements du « Plan Jaxaay ». Pourtant, les autorités de « Jaxaay » interpellées par la Cour des comptes déclarent tout ignorer de cette transaction. Comme quoi quelque part, on est intervenu dans « Jaxaay » sans en informer ses…dirigeants. Interpellé sur cette transaction, le ministère des Finances n’a apporté aucune réponse aux auditeurs qui ne manquent pas de le souligner. C’est pourquoi la Cour des comptes demande au ministre de l’Economie et des Finances, Abdoulaye Diop, de prendre les dispositions requises en vue de résilier la transaction foncière au profit du groupe « Nabi ». La Cour a aussi passé au crible les différents marchés passés par le projet. Nous y reviendrons amplement…
Cheikh Mbacké GUISSE
lasquotidien.com