Les banques, hommes politiques, internet, Ong, et l’immobilier servent de réceptacle ou de subterfuge pour recyclage de l’argent sale. C’est ce que relève, entre autres, le rapport annuel 2013 de la Cellule nationale de traitement de l’information financière (Centif).
Le département de transfert rapide d’argent d’une banque a relevé un certain nombre d’anomalies relatives à des transferts en provenance de l’étranger.
En effet, l’analyse desdites opérations a révélé l’utilisation de documents d’identification (passeports) portant les mêmes numéros et présentés par différents bénéficiaires. Sur le fondement de ces constatations, la banque a transmis une déclaration de soupçon à la CENTIF. L’identité reprise dans les passeports utilisés à l’occasion du retrait des fonds renforce le caractère suspect des activités de ce groupe de personnes. En effet, les investigations menées par la CENTIF établissent que les bénéficiaires des transferts ont fait usage de faux passeports. Un rapport est transmis au Procureur de la République sur la base de ces faits.
Faux et usage de faux en écritures privées, détournement de fonds
La société anonyme dénommée LIGGEY, spécialisée dans le secteur des bâtiments et travaux publics (BTP), est régulièrement installée au Sénégal.
L’expertise et l’expérience de son dirigeant, KERSA, lui ont permis d’être adjudicataire d’un marché public. Un semestre après l’exécution conforme des travaux, les services financiers de l’autorité contractante procèdent au règlement par un chèque de 200 millions à l’ordre de la société Liggey.
Le chèque est récupéré par Monsieur Djokale, employé de la société Liggey en qualité d’agent de liaison. Celui-ci, au lieu de remettre le chèque au responsable financier de la société LIGGEY, l’endosse au profit d’une entreprise dénommée SOUFOU pour encaissement dans le compte ouvert au nom de cette dernière dans les livres de la banque COPARE. En réponse aux interrogations de la banque COPARE, qui tient par ailleurs le compte de la société LIGGEY, Monsieur DJOKALE explique qu’il est également actionnaire de ladite société. Non convaincue par ces justifications et ne connaissant aucun lien entre la société SOUFOU et l’autorité contractante, la banque a saisi la CENTIF. Ces indices de blanchiment de capitaux de produits d’infraction de faux et usage de faux en écritures privées, de soustraction, de détournement de fonds, ont été portés à la connaissance de l’autorité judicaire territorialement compétente aux fins de mise en mouvement de l’action publique.
Détournement de deniers publics, corruption, trafic de drogue
Selon le rapport, Monsieur FITE, Directeur général de la société DIFFE, est chargé par les autorités étatiques compétentes à mettre en place une nouvelle société parapublique. A cet effet, une société dénommée OUTIAME SA dont l’objet est la prise de participation et les investissements dans le secteur immobilier achète plus de la moitié des actions de la nouvelle société ayant comme raison sociale DIAPALE. Pour financer sa participation à l’actionnariat de DIAPALE, les dirigeants de la société OUTIAME ont sollicité et obtenu d’une banque de la place, XALISS, un prêt de plus d’un milliard de francs CFA dont une partie devait servir à l’acquisition d’un immeuble situé dans la région de Dakar.
Ce prêt a été accordé par la banque XALISS à la société DIAPALE en contrepartie d’une sûreté qui a consisté en l’ouverture par DIFEE d’un compte dans la banque XALISS assortie de la signature d’une convention de dépôt à terme portant sur le montant intégral du prêt. Après la mise en place du prêt, Monsieur FITE demande à la banque XALISS, et au nom de DIFFE qui y consent, le remplacement du DAT par deux autres garanties à savoir le nantissement au profit de la banque prêteuse de l’ensemble des actions détenues par OUTIAME SA dans le capital de DIAPALE et la promesse d’hypothèque de l’immeuble à acquérir. En définitive, ces faits susceptibles de constituer une infraction de blanchiment sous-tendue par les délits de détournement de deniers publics, d’abus de biens sociaux et de corruption ont été portés à l’attention de l’autorité judiciaire.
300 millions versés dans le compte «Lewel»
Monsieur LEWEL est une personnalité politiquement exposée (Ppe) étrangère installée au Sénégal où il dirige un organisme de développement.
Au cours d’une période de référence de six ans, il a été relevé des versements en espèces, effectués par de proches collaborateurs, pour près de 300 millions dans son compte à la banque «XALISS». Selon le rapport, «ces versements excèdent largement les revenus cumulés de ‘’LEWEL’’ perçus sur cette période. Les fonds seraient, selon lui, le produit de la vente de certains de ses biens dans son pays d’origine. Les investigations menées par la Centif, au Sénégal et à l’étranger, n’ont relevé la trace d’aucune transaction portant sur des biens appartenant à Monsieur «LEWEL». Par contre, Monsieur «LEWEL» a été cité comme un des acteurs principaux dans une affaire de corruption relative à l’attribution de marchés portant sur des sommes élevées. D’ «où de forts soupçons sur la licéité des sommes déposées sur son compte bancaire», souligne le rapport.
L’immobilier et le Ppe pactisent
La société anonyme A, propriétaire d’un terrain nu d’une superficie de plus d’un hectare à Dakar, la société anonyme B dirigée par le dénommé E, représentée par une société civile immobilière C. Les autres informations signalées dans la déclaration de soupçon révèlent que la société A a été sollicitée par la société civile immobilière pour l’achat du terrain susvisé. Le contrat de vente fixe le prix du terrain à 100.000 FCFA le mètre carré et comporte une clause dite de déclaration de «command», ce qui suppose que l’acquéreur déclaré, à savoir la société B, effectue la transaction pour le compte d’un tiers (le command) dont l’identité, révélée postérieurement à la signature du contrat, correspond à celle de la société C.
Monsieur E, le gérant de la société B, est également l’administrateur général de la société C dans laquelle il est associé à Monsieur F, un ressortissant du continent américain au nom et pour le compte de qui il agit. Le règlement de la transaction a été fait à l’aide de trois (3) chèques d’un montant cumulé équivalant à 80% du prix convenu. Le premier chèque avait été émis et remis au vendeur hors la vue du notaire et avant la signature du contrat, les deux autres chèques ayant été encaissés après la cession du terrain. Les modalités de règlement de la transaction et la déclaration de command ont conduit la Centif à mener des investigations poussées sur l’origine des fonds et l’environnement économique et social des deux partenaires, Messieurs E et F.
Ces résultats ont permis de relever des faits susceptibles de constituer une infraction de blanchiment de capitaux sous-tendue par un recyclage de fonds dans l’immobilier à travers la constitution d’une société civile immobilière et d’une société commerciale aux relations diffuses, l’achat de biens immobiliers, le recours à des prêts hypothécaires pour leur construction, l’arrêt des travaux en cours d’édification suivi de la cession des biens et le transfert des produits de la vente dans une grande place financière européenne. Monsieur F fait l’objet d’une procédure judicaire dans ce pays européen pour blanchiment de capitaux, en plus de celle engagée contre lui dans son pays d’origine pour meurtre et trafic de drogue.
Transfert de fonds d’origine douteuse depuis l’étranger, Recyclage de fonds issus de racket, trafic de drogue…
La société à responsabilité limitée (SARL) WORK Sénégal qui a pour activité déclarée l’importation et l’exportation de denrées alimentaires, est inscrite au Registre du Commerce et du Crédit Mobilier (RCCM) du Sénégal. Monsieur LOUFALE, un ressortissant de HOPE, pays du continent américain, et Monsieur NABOURA, citoyen d’un pays de l’Afrique de l’Ouest en sont les actionnaires et dirigeants. Monsieur NABOURA a ouvert un compte courant au nom de la société dans les livres d’une banque. Ce compte fonctionne sous la signature de Monsieur DELTA et Monsieur GAMMA, compatriotes de Monsieur LOUFALE.
Sur une période de neuf mois, ledit compte est alimenté par une cinquantaine d’opérations d’un montant cumulé d’environ 900 millions de F.CFA, constituées de virements, de versements d’espèces et de remises de chèques. Les opérations au crédit sont suivies immédiatement de retraits, d’un montant agrégé sensiblement égal aux sommes déposées dans le compte, d’où un solde quasi nul au moment de la clôture du compte, intervenue au bout de 18 mois de fonctionnement. Les retraits sont effectués le plus souvent par chèques et par cartes bancaires. Le caractère atypique du fonctionnement du compte et le signalement de LOUFALE pour escroquerie dans son pays d’origine ont conduit la banque à faire une déclaration de soupçon à la CENTIF. L’analyse des retraits opérés sur le compte révèle qu’une partie des fonds en cause était destinée à des dépenses somptuaires de consommation dans les grandes surfaces et de grands restaurants au Sénégal, dans un autre pays d’Afrique et dans différents sites touristiques du Moyen Orient ou d’ailleurs.
L’autre partie de l’argent est destinée à être investie dans le secteur du commerce et de l’immobilier. Les enquêtes relatives à l’environnement économique et social ont permis de confirmer que Monsieur LOUFALE et ses acolytes, nationaux et étrangers, sont poursuivis pour racket, trafic de drogue, fraude, détournement et blanchiment de capitaux à HOPE. De plus, elles ont révélé que la SARL WORK Sénégal n’est pas une filiale de la multinationale WORK International dont le siège est basé à HOPE et qui est représentée dans plusieurs pays d’Afrique et d’Europe.
Ces faits susceptibles de constituer une infraction de blanchiment de capitaux ont été portés à la connaissance de la justice.
Fonds provenant de l’étranger 100 millions sans quitus
Monsieur KANQUIN a ouvert un compte dans les livres de la banque SICAFOE où il déclare exercer le métier d’artisan d’art. Ce compte a fonctionné normalement pendant deux ans jusqu’au jour où il a enregistré un virement de près de 100 millions de francs CFA.
Le donneur d’ordre est une société spécialisée dans la vente de métaux précieux dans l’une des plus grandes places asiatiques de transactions sur les bijoux. Toutefois, le bénéficiaire déclare que les fonds lui sont envoyés par son frère qui vit en Afrique australe. L’absence de liens apparents entre le donneur d’ordre et le bénéficiaire, de documents justificatifs du virement, de production des pièces demandées par la banque sénégalaise et la réception par cette dernière d’un message demandant le rapatriement des fonds ont poussé cette dernière à transmettre une déclaration de soupçon à la CENTIF. Après investigations, la Centif relève des malversations. Ainsi, selon la Centif la banque émettrice est située sur une place considérée comme non respectueuse des règles en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux; aucun lien apparent ne peut a priori être établi entre le donneur d’ordre et le bénéficiaire. En conclusion la Centif a bloqué les fonds virés et transmis un rapport aux autorités judiciaires.
Transferts de fonds illicites – L’Ong Béta supposée agir dans le domaine caritatif enrôle 60 millions
Monsieur A est le fondateur et président d’une association caritative dénommée ONG BETA.
Dans le cadre d’un programme de collecte de fonds destinés à promouvoir la lutte contre des maladies émergentes, il a signé au nom de son association un protocole d’accord avec une institution financière sénégalaise pour la mise en place d’une plateforme technique destinée à la collecte de donations en provenance de l’étranger. Il s’agit, pour les donateurs, d’effectuer un virement électronique en faveur de l’association en se connectant à la plateforme à partir d’un lien Internet qui leur est communiqué. La plateforme est également renseignée des coordonnées de ces personnes (numéro de téléphone, adresse électronique, pays de résidence, etc.). Au cours de l’exécution du protocole, de nombreuses irrégularités sont décelées sur plusieurs transferts. L’institution financière a ainsi désactivé le lien Internet dédié aux donations et bloqué des fonds déjà collectés dont le montant total s’établit à plus de 60 millions de F.CFA pour 82 transactions enregistrées.
La fraude via internet
Le type le plus marqué de ce délit est la fraude à l’acompte encore dénommée escroquerie via internet. L’importance et la récurrence des cas de cette nature constatés à travers les cinq continents, a fini d’en faire une typologie mondialement reconnue sous le vocable d’escroquerie de type fraude 419 par allusion à l’article 419 du Code pénal du Nigéria qui prévoit et réprime cette infraction. Cette infraction naguère limitée à un seul pays, s’est répandue à d’autres pays situés dans divers endroits de la planète avec le partage des pratiques criminelles entre délinquants. Ainsi, les auteurs sont issus de divers pays parmi lesquels le Sénégal. A partir de notre pays, des groupes étrangers opèrent avec des moyens technologiques très sophistiqués en profitant des infrastructures techniques de qualité. Un autre facteur favorable à la pratique de cette fraude est la libre circulation des personnes, un des piliers de l’intégration régionale.
Des couples mixtes sont ainsi recensés parmi les auteurs de ces cas d’escroquerie. Les femmes, appât naturel de premier ordre, sont mises en avant dans des cas recensés d’escroquerie aux sentiments en général, au mariage en particulier. Des images très fortes de l’attirail féminin peuvent ainsi être postées pour ferrer des hommes. On note ainsi l’importance de la dimension genre, avec la présence marquée de femmes qui, seules ou avec la complicité de leurs époux, sont auteurs de crimes à caractère financier.
Tentative de blanchiment de fonds issus d’une escroquerie, 100 millions sans traçabilité
La banque COPARE a transmis une déclaration de soupçon concernant Monsieur Y, autorité d’une collectivité locale sénégalaise, qui aurait procédé à la vente de parcelles fictives dans sa circonscription. En effet, l’analyse du compte bancaire de Monsieur Y révèle une prépondérance de versements d’espèces de plus de 100 millions de francs CFA au sujet desquels la banque ne dispose pas d’informations quant à leur provenance. Par ailleurs, ce montant cumulé Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (CENTIF) du Sénégal 38 excède largement les revenus légaux de Monsieur Y à qui la banque ne connaît aucune autre activité.
Une manie à outrance
Monsieur NEKH se déclare gestionnaire de fortune dans une banque d’un pays européen où il a sa résidence régulière. Au Sénégal, il a ouvert un compte dans les livres de la banque XALISS. Le fonctionnement de ce compte laisse penser à une fraude à l’acompte. En effet, des sommes importantes sont régulièrement virées dans le compte, par des tiers et à partir de divers pays étrangers, pour être aussitôt retirés par Monsieur NEKH.
Lorsque ce dernier n’est pas sur place, les retraits sont immédiatement effectués par son frère RAK, bénéficiaire d’une procuration. Le fonctionnement atypique du compte, dont le titulaire est de surcroît un banquier entretenant avec les donneurs d’ordre des relations non établies, a conduit la banque «XALISS» à transmettre une déclaration de soupçon à la Centif.