Lors des grandes crises qui ont secoué le Sénégal entre 1981 et 2000, le président de la République d’alors Abdou Diouf et son remplaçant à la tête du pays, Me Abdoulaye Wade se retrouvaient autour de l’essentiel : l’intérêt national. Cette démarche qui faisait la particularité du jeu politique sénégalais semble s’éteindre aujourd’hui. Plusieurs facteurs expliquent celà. Ce duo de président est une véritable chance pour le Sénégal.
« Vous avez eu la chance d’avoir une opposition intelligente », a lancé récemment le président de la République, Me Abdoulaye Wade à l’endroit de son prédécesseur, Abdou Diouf. Ces propos de Me Wade ont sûrement rappelé à nombre de Sénégalais la farouche opposition entre les deux hommes entre 1981 et 2000. Mais aussi la leçon qui découle de leurs rivalités, car au moment des fortes tensions, Diouf et Wade parvenaient à dialoguer. Cela a été favorisé par plusieurs facteurs.
Les deux hommes se sont rudement affrontés entre 1981 et 1991. La tension a été forte en 1988 lors des élections générales. Des contestations ont accompagné la victoire du candidat du Parti socialiste, Abdou Diouf avec 73,20 % des suffrages. Son opposant historique arrivait loin derrière avec 25,80 %. L’annonce des résultats déclenche des violences. Le camp de l’opposant Wade soupçonne des fraudes. Plusieurs leaders, dont Abdoulaye Wade, sont arrêtés et incarcérés. L’Etat d’urgence est décrété. Le pire a été évité de justesse. Tirant peut-être les leçons de cette crise, les deux hommes ont commencé à « apprendre à se parler ». « C’est à partir de 1991 qu’il y a eu des retrouvailles. Rappelez-vous du gouvernement de majorité présidentielle de 1991. C’est à la suite de la crise que le président Abdou Diouf a demandé qu’il y ait un dialogue. Le président Wade, quand il est sorti de l’audience, avait dit : nous allons discuter de tout. Il n’y avait pas de conditions au dialogue », rappelle Moustapha Ka, ancien porte-parole du gouvernement socialiste. Ce dialogue entre les deux hommes est fondé sur deux cadres conceptuels, selon l’ancien ministre socialiste. L’option du président Diouf était axée sur le consensus et le sursaut. « C’est le fait que les Sénégalais se retrouvent sur l’essentiel, les questions qui intéressent tout le monde. Le sursaut, c’est le réveil, au moment des grandes crises qu’il y ait un sursaut patriotique », souligne M. Ka qui rappelle que de 1981 jusqu’en 91, le président Diouf a prêché dans le désert, peinant à s’entendre avec Wade.
Le rapprochement entre les deux hommes était également facilité par l’absence de conditions.
« Dès l’instant qu’on pose des conditions, on restreint les champs du dialogue. C’est ça qui fausse le dialogue actuellement », fait remarquer Moustapha Ka. A cela s’ajoute la nature du jeu politique actuel. « Le jeu politique sénégalais est un peu piégé. On est en campagne permanente. Depuis deux ans, on est en campagne pour des élections de 2012. Quand les partis et les leaders sont en campagne électorale permanente, quand ils visent le fauteuil présidentiel, le président Wade veut conserver son poste, on n’a pas un regard sur les problèmes nationaux. On cherche à conserver ou à conquérir le pouvoir », explique l’ancien directeur de Cabinet de Diouf. Cet environnement crée des affrontements, selon l’ancien ministre qui estime que les acteurs politiques perdent un peu l’essentiel. « Il y a une cassure politique. Alors qu’en 1991, le gouvernement de majorité n’a été rompu que six mois avant les élections. Il y avait un consensus, mais quand il fallait préparer les élections, le président Wade a dit : maintenant, je ne suis plus lié par le gouvernement, mais je vais faire ma campagne pour 93 », rappelle-t-il. Les deux acteurs-clé du jeu politique sénégalais d’alors misaient sur le sursaut et le consensus » pour se retrouver autour des intérêts du pays. Leur dialogue se matérialisait souvent. Du 08 avril 1991 au 18 octobre 1992, l’opposant Wade a été ministre d’Etat auprès du président de la République. Cela ne l’avait pas empêché de s’opposer farouchement au chef de file des socialistes aux élections de 1993. Mais leur dialogue avait permis d’élaborer en 1992 un code électoral consensuel sous la conduite du juge feu Kéba Mbaye.
Participation au gouvernement
Le dialogue a également prévalu au lendemain des élections de 1993 remportées par le candidat du Ps, Abdou Diouf au 1er tour avec 58,40% aux dépens de Me Wade qui a engrangé 32,03%.
C’est ainsi que le président Wade s’est retrouvé dans le gouvernement de Diouf entre 1995 et 1997 comme ministre d’Etat auprès du président de la République. Le secret de ces retrouvailles ? « Il y a eu le fait qu’il ait de modérateur qui puisse bénéficier d’un consensus ». « Le président Kéba Mbaye était le modérateur quand il s’agissait d’élaborer le nouveau code électoral », explique Moustapha Ka qui ajoute qu’il n’y avait pas de tabous dans le dialogue entre Wade et Diouf. Ça a permis de rapprocher les uns des autres. Les gens ont appris à se parler et à se comprendre. Journaliste analyste politique, Issa Sall souligne qu’il y avait des personnalités qui pouvaient nouer le dialogue entre les deux rivaux. « Leurs amis facilitaient leur rapprochement. Il y a avait des personnalités crédibles pour instaurer le dialogue entre les deux hommes. Famara Sagna et Médoune Fall ont joué un rôle important. Il y avait aussi les autorités religieuses comme Abdoul Aziz Sy. Le pays avait assez de notabilités qui pouvaient porter la parole de Diouf ou la parole de Wade », souligne M. Sall. A côté des guides religieux et amis des deux hommes, les pays amis du Sénégal avaient beaucoup poussé Wade et Diouf à se parler, parce que s’il n’y avait pas de dialogue tout était impossible. Au sortir de ses audiences avec le président Diouf, Me Wade affirmait que le dialogue était sans condition. « Il n’y avait pas de conditions, parce qu’il y avait des gens de parole. A l’époque aussi bien Wade que Diouf ne pouvaient pas renier leur parole, parce qu’il y avait des gens entre eux. Wade ne pouvait pas remettre en cause ses engagements aussi bien que Diouf », explique Issa Sall. Le Directeur de publication de « Nouvel Horizon » se désole du fait qu’aujourd’hui, on assiste au contraire des épreuves de 1991. « Les gens qu’on entend parler de dialogue, qui essaient de jouer les intermédiaires, n’ont plus cette crédibilité », déplore M. Sall. La classe politique peut-elle s’inspirer de 1991 ? Cela est possible à condition que la « sincérité soit mise en avant ». « Le dialogue politique est fondé sur la sincérité. Il faut que les gens qui s’engagent à dialoguer cherchent à trouver des solutions, mais si chacun cherche à tromper l’autre et qu’il n y a pas de sincérité dans les engagements, il n’y a pas de dialogue politique », affirme M. Sall. Pour notre confrère, les personnes pour nouer le dialogue ne manquent pas. « C’est la crédibilité du discours politique qui manque. Il faut que les hommes politiques de part et d’autre soient crédibles et prennent des engagements sans les renier après », déclare-t-il. Issa Sall prône également la discrétion dans l’action. « On ne peut pas raconter le dialogue qu’il y a eu dans la presse. C’est ce qui empêche le dialogue de prospérer, parce que dès qu’il y a un contact, le lendemain on le retrouve dans la presse alors que le dialogue est sensé se passer dans le secret et durer le plus longtemps possible avant que donne les résultats ». Le dialogue politique n’est pas en panne, à en croire, Babacar Gaye, porte-parole du Parti démocratique sénégalais (Pds). « Il existe à l’Assemblée nationale où il y a des débats démocratiques sur les marches de l’Etat et de la République », déclare-t-il dans un entretien avec nos confrères du « Populaire ». S’agissant des rencontres entre la majorité et des partis d’opposition autour de questions stratégiques, importantes ou d’intérêt national, Babacar Gaye souligne que le camp présidentiel est ouvert.
Babacar DIONE
lesoleil.sn