Rectifier le tir par Vieux Savane

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Jeudi 3 avril 2014, veille du 54 ième anniversaire de l’indépendance du Sénégal, le chef de l’Etat a souhaité, dans son adresse à la nation, « que cette occasion solennelle fortifie en chacun » de ses compatriotes « la fibre patriotique, le désir ardent de rivaliser dans l’excellence et la passion de servir la Nation ».

Si toutefois, pourrait-on ajouter, cette exhortation ne se suffit pas de belles paroles mais prend le soin de montrer par l’exemple que c’est le seul chemin qui vaille pour autant qu’il est question de mettre le pays sur les rails de l’émergence économique et sociale. Le rappeler est important, au regard de l’encouragement de la « transhumance » en cours, à travers le recyclage de certaines personnalités politiques de l’ancien régime, et qui n’est pas pour rassurer. Qu’on ne nous demande surtout pas de différencier ce qui relève du président de la République chargé de trouver des réponses aux problèmes des Sénégalais et du Président de parti contraint de massifier sa jeune formation politique.

En l’espèce, cette schizophrénie délirante ne saurait prospérer. Comment en effet fortifier la fibre patriotique quand on ne promeut pas la bonne gouvernance, quand on « drague » des personnalités à qui l’on prête une base électorale, nonobstant le fait qu’elles soient dans le viseur de la justice, suspectées de mauvaise gestion? Comment raviver le désir ardent de rivaliser dans l’excellence quand on donne l’impression que certaines nominations se font en fonction de la proximité politique? Et lorsque surtout, on menace de virer les directeurs généraux de sociétés publiques, non point parce qu’ils auraient mal géré leurs boîtes mais parce qu’ils n’auraient pas gagné leurs circonscriptions électorales, les invitant de ce fait indirectement à détourner les biens publics à des fins partisanes ?

Comment alors être habité par la passion de servir la nation quand on est en face de personnes plus enclines à se servir qu’à servir ?

Cette mentalité de la jouissance rentière qui git dans de telles pratiques faut-il le souligner, est d’ailleurs véhiculée par les médias, comme peut en témoigner le traitement réservé aux nominations en Conseil des ministres. Elles sont en effet appréciées à l’aune de postes supposés juteux ou non. Il n’est nullement question des servitudes inhérentes à la tâche. Bien au contraire, les nominations à certaines fonctions sont rarement analysées en termes de servitudes et d’obligations de résultats. En somme, tout ceci est l’expression d’une vision rentière et politicienne de la gestion publique qui est bien ancrée voire sédimentée dans l’inconscient collectif sénégalais. Il se pose par conséquent la nécessité d’une rupture avec le continuum prébendier en vogue depuis les années d’indépendance pour ouvrir une nouvelle séquence d’une histoire trempée dans l’exigence de rendre compte.

C’est cette attente qui explique l’adhésion de la grande majorité des Sénégalais à la lutte contre toute forme d’impunité, surtout que des mesures courageuses avaient fortement marqué les esprits. Que ce soit un fils d’un ancien chef d’Etat sommé conformément aux lois en vigueur de s’expliquer et de justifier l’immense fortune qui lui est prêtée ou un chef religieux influent qui se targue d’avoir 12 millions de fidèles attrait devant la justice pour s’expliquer sur des assassinats perpétrés dans sa concession, le message était on ne peut plus clair. Nul n’est au dessus des lois . Mais voilà qu’à s’échiner à débaucher tous azimuts les militants d’autres partis, à encourager et à consolider du même coup des valeurs de trahison et de larbinisme, pris qu’il est dans la nasse de son aveuglante obsession du deuxième mandat, le chef de l’Etat brouille son image en faisant la part belle à la transhumance politique. Ce qui est bien dommage car cela risque d’annihiler les efforts qui sont par ailleurs fournis au plan social avec, notamment des mesures volontaristes qui ont été prises pour rendre effectives la baisse des loyers, la Couverture maladie universelle, les bourses familiales, pour traquer les biens supposés mal acquis.

Y a t-il en effet plus grave corruption que celle de l’esprit à laquelle appelle justement cet encouragement à l’absence de conviction et d’éthique ? Et ce n’est pas là où le chef de l’Etat est attendu. A s’y employer, il grille plutôt le capital sympathie qui a accompagné son élection et piétine les espérances placées en lui par nombre de Sénégalais en attente de voir leur Président vent debout , sabre au clair, preux chevalier, s’attaquer à la résolution des problèmes d’emploi, de santé, d’éducation, etc., qui les taraudent.

Le rendez-vous est à ce niveau et non dans des combinaisons qui ne peuvent pas prospérer. Et puis, faut-il le souligner, les Sénégalais ont acquis une maturité démocratique qui fait que désormais ni l’argent ni le débauchage ni le ndigël ne peuvent avoir raison de leurs cartes. Il suffit de se référer à Abdou Diouf et Abdoulaye Wade qui l’ont expérimenté à leurs dépens. Il appartient par conséquent au chef de l’Etat d’avoir l’intelligence novatrice de l’homme de mission pour emprunter une route différente de celle de ses prédécesseurs, s’il veut réussir son mandat et en espérer un second. Il faut pour ce faire, de la lucidité et du courage, pour rectifier le tir en incarnant un nouveau leadership qui met l’éthique et la morale au cœur de son action, loin du recyclage politicien.

sudonline.sn

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