Plus d’une semaine après sa quatrième place au Ballon d’or, Sadio Mané revient à Salzbourg, mardi soir, où Liverpool ne doit pas perdre au risque de compromettre son avenir en Ligue des champions. Un endroit où le Sénégalais a surtout fini de construire sa musculature avant d’exploser en Angleterre.
Un soir d’août 2012, un homme, blouson sombre et lunettes fines posées sur le nez, s’est mis à tourner autour du stade Saint-Symphorien. Puis, il s’est installé discrètement sur un siège en plastique. À l’affiche : un deuxième tour de Coupe de la Ligue, entre le FC Metz et Tours, remporté par les locaux grâce à un but de Gaëtan Bussmann. Désolé pour l’actuel latéral gauche de Guingamp, ceci n’est qu’un détail. L’important, ce soir-là, est ailleurs, et le regard du fameux visiteur est tourné vers un autre joueur : un petit format, aligné à l’avant d’un 4-3-3 par Albert Cartier aux côtés de Diafra Sakho et Alhassane Keita. Nom : Mané. Prénom : Sadio. Âge : 20 ans. Objet du suivi : est sorti de l’anonymat quelques semaines plus tôt à l’occasion des Jeux olympiques de Londres, où un certain Gérard Houllier a succombé à la vitesse et aux qualités techniques d’un type aujourd’hui considéré comme «?un cadeau de Dieu?» . Rien que ça.
L’homme au blouson sombre, qui n’est autre que Ralf Rangnick, alors directeur sportif du Red Bull Salzbourg, a été envoyé en Moselle pour vérifier le coup de cœur d’Houllier. Verdict ? Rangnick valide le profil. Problème : il n’est pas seul. «?Ce jour-là, Sadio a bien joué et ça a un petit peu joué contre nous, expliquait récemment à The Athletic celui qui est toujours employé par le groupe Red Bull. Après le match, j’ai rencontré le président de Metz (Bernard Serin, N.D.L.R.) et il a insisté sur le fait qu’ils ne seraient pas vendeurs à moins de quatre millions d’euros. Pour nous, c’était une grosse somme, surtout qu’on parlait d’un joueur qui évoluait en troisième division française.?» À la suite de son rendez-vous avec Serin, Ralf Rangnick réussit malgré tout à convaincre son patron, Dieter Mateschitz, de faire l’effort financier. Ainsi, le 31 août 2012, Sadio Mané est extrait du bus messin (qui mettait le cap vers Quevilly pour un match de championnat) et monte dans un avion, direction Salzbourg : le Sénégalais ne sait alors même pas situer l’Autriche sur une carte. On connaît la suite.
«?C’était un rêve?»
Car c’est à Salzbourg que Mané a, de son propre aveu, «?appris le vrai football?» et que le natif de Sédhiou a définitivement changé de vie. Avant ça, le Sénégalais avait pourtant un rêve, «?écrire l’histoire du FC Metz?» , ce qu’il confiait il y a quelque temps à Onze Mondial. Trop précoce et chatouillé par le destin, il n’en a pas eu le temps, si ce n’est en étant le huitième plus gros transfert sortant de l’histoire du club : «?Les dirigeants de Salzbourg me disaient que c’était nécessaire pour un jeune joueur comme moi de continuer ma progression chez eux.?» Alors, au revoir la France, bonjour l’Autriche, où un certain Roger Schmidt vient de poser ses valises et où Sadio Mané déboule aux côtés d’Isaac Vorsah et de Rodnei. Qui ? Deux défenseurs centraux qui sont aujourd’hui sans contrat et qui n’auront jamais réussi à soulever la Red Bull Arena. L’ancienne dynamite messine, elle, n’a besoin que d’une poignée de rencontres pour se mettre son nouveau public dans la poche et trouve rapidement, sur le terrain, des assistants talentueux. On pense évidemment à Kevin Kampl, mais aussi à Valon Berisha et Jonathan Soriano, juste derrière qui Mané terminera meilleur buteur du club au bout de sa première saison en Autriche. «?Grâce à Sadio, nous avons pu changer d’approche et développer le football que l’on souhaitait mettre en place à Salzbourg, détaillait Schmidt, également dans The Athletic. Dès la première séance d’entraînement, on a pu voir qu’il avait les ingrédients d’un grand joueur. Il fallait qu’il se familiarise avec certaines notions tactiques, mais il ne lui a pas fallu beaucoup de temps pour se mettre au niveau. J’ai rarement vu un joueur travailler autant et être aussi altruiste pour son équipe. Pour un entraîneur, c’était un rêve.?»
«?C’était surtout un joueur rare, souffle l’ancien directeur sportif du FC Metz, Philippe Gaillot. La présence de Gérard Houllier à Salzbourg a été très importante. Nous, au départ, on voulait qu’il nous aide à remonter en Ligue 2, mais…?» Mais Sadio Mané devait déjà exploser. Ce qu’il va faire malgré l’accueil parfois musclé de certains adversaires, déboussolés par la vitesse du bonhomme. Hors terrain, Mané refuse également de se planquer et ne cache pas à ceux qui le côtoient son rêve de devenir Ballon d’or. «?Bon, avant, je veux être élu joueur africain de l’année?» , glisse-t-il même à l’époque à Mustapha Mesloub, chargé de l’intégration des joueurs au club et très proche de Mané. À l’époque, Mesloub passe beaucoup de temps avec l’ailier sénégalais et voit notamment le joueur tuer son temps libre en faisant… de la gym. «?Le club lui avait fourni l’équipement nécessaire, des poids, un tapis, détaille le confident, là aussi dans les colonnes de The Athletic. Sadio était obsédé par l’idée de s’améliorer et voulait se débarrasser du dernier gramme de graisse qui lui restait sur le corps.?» L’objectif recherché est alors simple : Sadio Mané veut se muscler afin de pouvoir résister aux nombreux coups qu’il reçoit chaque week-end et pour gagner en explosivité. Mesloub poursuit : «?Il arrivait de Metz, où il y avait plusieurs Africains dans l’équipe et dans la ville. À Salzbourg, c’était pas vraiment la même histoire. Pour la nourriture, par exemple, ça pouvait être un problème, car il n’y avait aucun restaurant africain en ville. Donc on mangeait des pâtes, car c’est ce qui se rapprochait le plus de la cuisine à base de riz du Sénégal.?»
La leçon au Bayern, l’erreur de Klopp
En Autriche, Sadio Mané reçoit également le racisme en pleine tête, via notamment deux évènements marquants. Le premier : les larmes d’un jeune garçon à qui il venait alors de sourire. «?Le gamin n’avait probablement jamais vu un homme noir de sa vie. À Salzbourg, il y a 99% de blancs, raconte Mesloub. C’est un incident qui a vraiment affecté Sadio.?» Le second : les insultes lâchées par un adversaire lors d’un match face au SK Sturm Graz. Tout ça finit de forger la carapace d’un joueur devenu international et qui va définitivement exploser sportivement lors de sa seconde saison, via notamment un match amical brillant remporté face au Bayern de Pep Guardiola, disputé en janvier 2014, où Mané aura mis à terre à plusieurs reprises Javi Martínez selon plusieurs témoins.
Une copie référence qui va également réveiller les regards extérieurs. Ceux du Bayern, évidemment, qui ne fera finalement jamais d’offre concrète, mais aussi ceux de Liverpool ou du Borussia Dortmund. Un jour, Jürgen Klopp fera même le déplacement jusqu’à Salzbourg pour s’entretenir un long moment avec la jeune promesse et tester son caractère. Il repartira en Allemagne sans le joueur. «?L’une des plus grosses erreurs de ma vie, racontera l’an passé l’entraîneur des Reds au Liverpool Echo. Et c’était vraiment de ma faute !?» Sadio Mané partira finalement quelques mois plus tard à Southampton et retrouvera Klopp à Liverpool bien plus tard, avant de remporter la Ligue des champions avec le barbu, laissant derrière lui le souvenir, en Autriche, d’un joueur brillant et vraiment à part. Un joueur que la Red Bull Arena s’apprête à retrouver mardi soir, sous un autre maillot et avec des ailes de joueur mûr : la bombe a bien explosé.