Les soubassements économiques et sociaux de la violente crise politique que le pays vient de vivre n’ont échappé à personne et surtout pas au Président qui lors de son allocution du 8 mars a annoncé des réorientations budgétaires massives en faveur de l’emploi, celui des jeunes en priorité.
Heureuse initiative car l’argent est le nerf de la guerre économique. Encore faut-il qu’il soit correctement utilisé ! A cet égard le président serait avisé de tirer les leçons d’un des plus retentissants échecs de son gouvernement que constitue la gestion désastreuse de la filière arachidière. Ses ministres de l’agriculture successifs ont englouti des centaines de milliards de francs pour finalement laisser une filière, autrefois le fleuron de notre économie, exsangue, où les rendements trop faibles ne sont plus suffisant pour rémunérer les producteurs et une industrie ruinée par les avantages offerts aux acheteurs étranger provoquant le licenciement de milliers de travailleurs. Désastre qui n’a pas peu contribué à l’exode rural voir à l’exode tout court, poussant une jeunesse en quête d’avenir, et même de présent, à tenter la dangereuse aventure pour voir si les champs ne seraient pas plus verts ailleurs.
Au départ pourtant, les acteurs y ont cru, le Plan Sénégal Emergeant était plein d’ambition pour la filière, la production allait être multipliée, les investissements industriels pleuvoir, on visait même la souveraineté alimentaire. Du coup, personne ne pensait que le pouvoir en place allait totalement ignorer les demandes et les besoins des acteurs potentiels pour enchainer erreurs funestes et gestion financière désastreuse :
Plan de 40 milliards de francs par an porté l’an dernier à 60 milliards, de subvention des intrants agricoles. Cela aurait pu être un pari brillant, sauf que comme nous l’avait révélé le député Cissé Lo, ces sommes fabuleuses ne sont pas confiées à de savants agronomes ou des organisations de producteurs expérimentées mais à des « businessmen », comme les qualifie le ministre lui-même.
Une récente étude de l’ANSD montrait ainsi que moins de 17 % des producteurs bénéficiaient de ces intrants subventionnées (alors qu’il devrait couvrir la moitié des besoins) et ce sans parler de leur qualité qui explique en grande partie la faiblesse des rendements.
Nationalisation de la SONACOS, le gouvernement a racheté à prix d’or un outil industriel obsolète et une entreprise en pleine débâcle. Il aurait pourtant pu être alerté par le fait que le propriétaire ne parvenait pas en s’en défaire depuis des années. Les 66 milliards de recapitalisation, ajoutés à des dizaines de milliards de subvention n’ont en rien rétabli l’affaire, son actuel DG est encore en quête d’un énième subside pour restaurer l’outil industriel pourtant inutile. Car l’entreprise aujourd’hui se contente d’acheter, avec l’argent de l’Etat, la graine pour la revendre tel quel aux opérateurs étrangers, accumulant les pertes et perturbant au passage le marché pour des acteurs privés allègrement piétinés.
Signature d’un accord avec la Chine. Au moment où l’état rachetait la SONACOS, il la condamnait ainsi que toute l’industrie nationale en signant un accord totalement déséquilibré avec la Chine. Tous les pays producteurs d’arachide, les USA, l’Inde, l’Argentine, le Soudan et même la Chine exportent des produits finis (arachide HPS, huile, tourteau), le Sénégal lui a choisi de vendre sa matière première à l’industrie chinoise, les chinois ayant habilement prévu d’en exonérer l’importation de droit de douane, alors qu’ils taxaient ou interdisaient l’importation de produits finis sénégalais. Précisions : les acteurs qu’ils soient producteurs ou transformateurs ont appris l’existence d’un tel accord dans la presse, nos brillants ministres n’ont pas pensé que leurs avis pouvaient compter ni même jugé utile de les informer.
De tels errements et gaspillage d’argent publique aurait dû être sanctionné depuis belle lurette, mais l’actuel ministre de l’Agriculture et de l’Equipement Rural, le Pr Moussa BALDE a trouvé la parade : les statistiques agricoles ! Comme pour les plans quinquennaux staliniens en leur temps, les statistiques n’ont pu pour vocation de décrire une réalité économique, elles servent désormais à justifier une politique et l’argent gaspillé, quitte à tordre le cou à la vérité. Interrogé sur l’incohérence entre les statistiques de production et la réalité de la collecte, le ministre BALDE l’explique par un marché intérieur informel qui aurait explosé. A suivre son raisonnement chaque sénégalais consommerait 100 kg d’arachide par an ! Seule l’ANSD ose une pudique contradiction de ces statistiques aberrantes produites par la DAPSA en corrigeant en catimini, avec un ou deux ans de retard, les prévisions de croissance du PIB.
Ces statistiques mirobolantes ne parviennent cependant plus à cacher une réalité plutôt sombre. Ces politiques erratiques ne sont plus financées : les subventions de la campagne 2018/2019 ne sont pas soldées, quant aux 60 milliards que le ministre claironne avoir dépensés pour la dernière campagne, il n’en a pas versé le premier franc alors que la commercialisation est déjà achevée ! Les dettes s’accumulent chez les acteurs privés qui sont ruinés, y compris les organisations de producteurs qui ont vu leurs efforts pour mettre en place une contractualisation avec les transformateurs locaux, saccagés par la razzia des acheteurs étrangers, encouragé par l’état.
Monsieur le Président vous avez compris le message du peuple, instruisez le ministre d’en faire de même. Expliquez-lui qu’il est au service de producteurs, d’artisans et d’industriels qui ne cherche qu’à survivre et nourrir leurs familles et ne sont pas là pour soutenir les ambitions politiques ou des plans pour lesquels ils n’ont pas été consultés. Qu’il faut les écouter et non pas les traiter comme des opposants dès lors qu’ils décrivent leur réalité, même si elle ne complait pas à la propagande ministérielle.
Pape SENE
Journaliste consultant