Le chef de l’Etat qui chante toujours la rupture est bien servi. La Commission nationale de réforme des institutions (Cnri) qu’il avait mise en place au mois de novembre 2012 lui a remis, hier, les résultats de ses travaux. Des innovations majeures sont énoncées dans le rapport et l’avant-projet de Constitution. Des changements qui risquent de bouleverser de vieilles et tenaces habitudes…politiques.
Macky Sall tient son «livre de chevet». Il a de quoi s’occuper pendant de très longues nuits. Les résultats des travaux qu’il avait confiés à la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri) lui ont été restitués, hier, par son Président, Amadou Mahtar Mbow. Après 15 mois de travaux, la Cnri a remis ses conclusions consignées dans deux documents : un rapport et l’avant-projet de Constitution. D’après Amadou Mahtar Mbow, «le rapport est un compte-rendu détaillé de l’ensemble du travail de la Cnri, des méthodes qu’elle a employées, des consultations qu’elle a menées à travers les questionnaires… Ce rapport permet donc de savoir les raisons qui expliquent les options qui figurent dans le projet de Constitution, notamment par rapport au diagnostic établi préalablement à toute action et aux problématiques soulevées dans la lettre de mission que vous m’aviez remise le 28 novembre 2012.» L’avant-projet de Constitution élaboré comporte un préambule et 154 articles regroupés en 14 titres divisés eux-mêmes en sections. Le Président de la commission ajoute que «certaines de ses dispositions doivent être complétées par des lois organiques et des lois ordinaires».
Du texte lu par Amadou Mahtar Mbow devant le chef de l’Etat, il ressort que des ruptures sont opérées par rapport aux dispositions qui figuraient dans les Constitutions précédentes. «D’autres sont même totalement nouvelles n’ayant donc pas été évoquées dans aucune autre Constitution du pays.» Dans les grandes lignes de l’avant-projet de Constitution, l’on note une volonté d’octroyer «de nouveaux droits d’initiative aux citoyens et aux associations, ainsi que la possibilité de nouveaux recours en action et en interprétation, un meilleur gage d’effectivité des droits civils et politiques et des droits économiques et sociaux, notamment en faveur des populations vulnérables et des personnes handicapées ; implicitement la suppression des dispositions liberticides ou attentatoires au libre-arbitre du juge», entre autres.
Réduction de mandat,Parlement monocaméral, Cour constitutionnelle… L’avant-projet de Constitution intègre aussi des innovations relatives à «des mandats à durée strictement limitée avec des possibilités de renouvellement restreintes», «des dirigeants tenus de déclarer leur patrimoine, de rendre compte de leur gestion et passibles de sanctions s’il y a lieu», «des institutions dont la taille est soumise à des normes» et «des hautes fonctions de dirigeants régies par des incompatibilités strictes». Il est préconisé une «précision et un renforcement des missions attachées à la fonction de président de la République, une normalisation de la fonction de ministre, la réglementation du fonctionnement des institutions dans l’hypothèse du chevauchement de majorités.
Les ruptures énoncées dans ce projet de Constitution touchent également la vie des institutions. Il est attendu «l’élargissement de la mission du Parlement, monocaméral maîtrisant mieux le travail parlementaire avec un pouvoir d’amendement renforcé, une représentation minimale garantie à la minorité, un encadrement des conditions de sa dissolution». Si Macky Sall approuve cette recommandation, son rêve de ressusciter le Sénat ne sera jamais réalisé. Les rapports entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif seront aussi reconsidérés. Aussi faudrait-il s’attendre à une «réorganisation de la hiérarchie judiciaire avec, à son sommet, une Cour constitutionnelle renforcée en nombre aux compétences élargies, au choix des membres diversifié tant par leur origine que par leur source de désignation».
Dans son mot, le Président Mbow semble mettre la pression sur Macky Sall. «Pour rendre applicables les dispositions de cette nouvelle Constitution, la Cnri propose l’adoption rapide des lois organiques relatives à la Cour constitutionnelle, au Conseil supérieur de la magistrature et à l’Autorité de régulation de la Démocratie, pour les raisons exposées dans le rapport.» Mais comme Macky Sall décide seul, il prendra tout le temps qu’il faudra avant d’homologuer des documents qui régentent sa vie politique et celle de tous les Sénégalais. L’attente peut être longue.NDIAGA NDIAYE
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