Reportage : le camp de migrants de Vial, une vision de l’enfer sur l’île de Chios

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D’ici à la fin de l’année, le camp de réfugiés de Vial de l’île de Chios devrait demeurer le seul à accueillir les migrants venus illégalement de Turquie. Beaucoup redoutent leur transfert dans ce lieu, à la sinistre réputation.

Des barbelés à perte de vue. Et une immensité de containers blancs au milieu d’une végétation méditerranéenne peu dense et peu verte, habituée depuis longtemps, à être brûlée par le soleil. Voici à quoi ressemble le camp de réfugiés de Vial, au centre de l’île de Chios, loin de la ville, de la mer, loin du regard de la population. Dans cet empire de grilles et de tôles cohabitent 1 500 migrants, des hommes, des femmes et des enfants. Ici, le nombre de résidents ne peut rivaliser avec les 4 000 personnes actuellement hébergées sur l’île voisine de Lesbos. Pourtant les conditions de vie y sont tout aussi déplorables.

Ici aussi, le camp est à certains endroits jonché de détritus et d’immondices. L’odeur y est par endroit insupportable. Ici aussi, les plaintes des résidents à majorité syrienne sur le mépris, voire la maltraitance, des autorités sont légion. Le camp de Vial, géré par le gouvernement grec, est l’un des cinq hotspots (centre d’enregistrement de migrants) du pays, un lieu qui doit permettre de distinguer les migrants économiques des réfugiés politiques. Beaucoup de personnes sont bloquées là depuis l’entrée en vigueur de l’accord entre Ankara et l’Union européenne, prévoyant le renvoi systématique des migrants vers la Turquie depuis mars 2016.

Le camp de Vial est caché de la population, à plus de 20 kilomètres de la ville de Chios. Crédit : Charlotte Boitiaux

Le camp de Vial est caché de la population, à plus de 20 kilomètres de la ville de Chios. Crédit : Charlotte Boitiaux

À Vial, l’attente et l’enfermement sont le quotidien des migrants, car le « tri » effectué par les autorités prend du temps. Les démarches administratives doivent être impérativement effectuées depuis le hotspot, aux horaires d’ouverture du petit bureau d’information situé à l’entrée de Vial, assailli par la population du camp.

« On est livrés à nous-même ici »

Najah, elle, attend depuis son arrivée il y a neuf jours, d’avoir des informations sur le regroupement familial. « Mon mari est en Allemagne », raconte cette Syrienne, mère de cinq enfants. « Je veux juste parler à quelqu’un pour savoir quoi faire. Mais je ne vois jamais personne ». Nouroz, sa voisine de container, se plaint, elle, des défaillances médicales. « Ca fait neuf jours aussi que je suis à Vial. Et depuis le premier jour, j’ai demandé à voir un médecin parce que je suis malade », explique-t-elle. « Mais personne ne me répond. On est livrés à nous-mêmes ici. Même les ONG se font rare ». Sony, un migrant camerounais, essaie de relativiser l’abandon des autorités. « Au moins, on peut faire ce qu’on veut, y’a presque jamais personne qui entre ici pour nous parler. Sauf la police. Mais elle, elle préfère frapper ».

Sony, migrant camerounais dans le camp de Vial. Crédit : Charlotte BoitiauxSony, migrant camerounais dans le camp de Vial. Crédit : Charlotte Boitiaux

Pendant les deux heures passées dans le camp de Vial, force est de constater que les autorités grecques sont invisibles. Le bureau d’information a fermé à 14h de l’après-midi, ce jour-là. Les agents de sécurité sont introuvables eux aussi. Pourtant, les femmes sont nombreuses à se sentir menacées et à réclamer davantage de protection. « Chaque nuit, il y a des bagarres entre Afghans et Arabes, entre différentes ethnies », raconte Nouroz. « J’ai peur qu’il arrive quelque chose à ma fille. Je ne la laisse pas toujours sortir ». Même son de cloche de Najah. « C’est l’enfer ici. On n’ose même pas aller aux douches, parce qu’elles sont à côté de celles des hommes. On est toujours sur le qui-vive. Jamais, on ne se sent en sécurité. C’est pas un endroit pour des familles comme nous ».

L’emplacement du camp ajoute à l’angoisse. « On est au milieu de nulle part. Il n’y a que des collines autour de nous. Je n’aime pas être coupé du monde », confie un autre migrant avec une bassine sous le bras pour aller nettoyer son linge. « C’est pas bien ce qu’il se passe ici ».

« Ne vous fiez pas au calme apparent »

L’ambiance est calme, durant la journée. Peut-être la chaleur échauffe-t-elle les esprits à la nuit tombée. A midi, les hommes se reposent, et les enfants dorment à l’ombre des containers, sur des tapis de sol à l’extérieur, l’air étant trop étouffant dans les abris. Il y a peu de bruit malgré le millier de résidents.

Crédit : Charlotte BoitiauxCrédit : Charlotte Boitiaux

« Ne vous fiez pas au calme apparent. Attendez 17h… », raconte pourtant Jules, un Nigérian, qui a obtenu le statut de réfugié, mais qui vient rendre visite à ses amis. À 17h, un bus de la ville de Chios est chargé d’emmener des personnes qui souhaitent se rendre en ville, pour se promener, faire quelques courses. La liaison Vial-Chios est assurée une à deux fois par jour. « Quand le bus arrive, les gens deviennent fous, ils se battent pour monter à l’intérieur. La police est obligée d’intervenir. Et là, les policiers deviennent violents… Presqu’à chaque fois, ça dégénère, alors le bus ne prend personne et repart à vide ».

Fermeture de Souda, le second camp de l’île de Chios

Le bus dessert également le camp de Souda, situé dans le centre-ville de Chios. Souda, qui regroupe près de 250 personnes, est le second camp de l’île. Il est destiné à fermer d’ici à la fin de l’année, le gouvernement grec souhaitant regrouper tous les migrants de l’île au même endroit, dans le camp de Vial. Une fermeture et un regroupement possible grâce à l’accord entre l’UE et la Turquie : depuis un an, le flux migratoire s’est drastiquement tari. « Ils étaient plus 1 000 au plus fort de la crise, ils sont à peine plus de 300 aujourd’hui », précise Evgenia Spirou, la responsable de l’ONG Médecins du Monde (MdM) dans le camp. Le gouvernement et les ONG ne craignent pas vraiment de nouvelles arrivées.

« Il ne reste que des hommes seuls ici, à Souda. Les femmes et les enfants, dans leur grande majorité, ont déjà été transférés vers Athènes », précise Evgenia Spirou. Tous les migrants de l’île de Chios seront bientôt cachés du regard des habitants. En attendant sa fermeture, le camp de Souda vit ses derniers moments dans une ambiance différente de celle de Vial. Ici, l’effervescence des migrants est palpable. Leur agressivité aussi. Certains résidents, passablement éméchés, provoquent et insultent les journalistes. D’autres ignorent purement les médias.

Le camp de Souda n'abrite Le camp de Souda n’abrite

« Autant de gens dans un espace clos, ça peut jamais marcher »

A l’instar de Vial, le camp de Souda a son lot de problèmes : trafic de drogues, bagarres, règlements de compte entre gangs, énumère Evgenia Spirou de MdM. « Parfois, ils ne sont même pas conscients de ce qu’ils font. Ils sont tellement drogués qu’ils ne réalisent rien… », précise Ousmane, le médecin de Médecins du Monde qui enchaîne les consultations dans son container médical à l’entrée du camp.

Une ambiance délétère que dénoncent aussi les migrants. « Ici, les Arabes et les Africains ne s’entendent pas, il y a toujours des problèmes. Il y a trois à quatre bagarres par semaine », confie Maréchal, un Camerounais d’une vingtaine d’années qui s’est retrouvé en Grèce après avoir refusé d’atteindre l’Europe en passant par la Libye. « Je me demande ce qu’il se passera quand on sera tous à Vial. Ca risque d’être explosif. On a entendu dire que c’était pire qu’ici, là-bas ».

Pour Maréchal le transfert vers « l’enfer Vial » est redouté mais accepté avec résignation. « On n’a pas le choix. Ici ou là-bas, ce sera toujours aussi dramatique, de toute façon », confie-t-il, en finissant de laver ses figues à l’entrée du camp. Son ami Marcel, lui aussi Camerounais, acquiesce. « Quand vous mettez autant de gens en colère, avec de la frustration, ensemble, dans un espace clos, ça ne peut jamais marcher… »

Maréchal, migrant camerounais, dans le camp de Souda. Crédit : Charlotte BoitiauxMaréchal, migrant camerounais, dans le camp de Souda. Crédit : Charlotte Boitiaux

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