Un conflit qui perdure, une histoire faite de braquages, de tueries, d’attaques sporadiques entre le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc) et les éléments de l’armée. Les populations, malheureuses, continuent à en souffrir ! La Casamance, cette tache noire de la légendaire téranga sénégalaise va mal. Des sanctuaires rebelles craints dans le Fogny aux disques mortels qui continuent de sauter sur des citoyens innocents, en passant par une avancée terrifiante de la pandémie du sida, tout cela, se déroule dans cette belle région naturelle. Une région qui, 28 années après l’éclatement du conflit qui la consume, sombre silencieusement dans la souffrance. Voyage en Casamance, cet autre visage du Sénégal.
Zone des palmiers, commune de Diouloulou: Dans les méandres d’une localité perdue de la Casamance
Zone des palmiers, commune de Diouloulou. Dans cette espèce de trou aux pistes sinueuses menant à une mosaïque de villages perdus, règne le chef rebelle Lamarana Sambou, un allié de César Atoute Badiate. Ici, les rebelles montent leurs propres check point et l’action humanitaire reste l’unique espoir pour ces populations abandonnées à leur propre sort. Voyage au cœur d’un territoire à part où groupes rebelles et populations se confondent.
Après 60 km de route en provenance de Ziguinchor sur la nationale 5 qui mène vers la Gambie, la localité d’Ebinako offre à sa droite un virage pour le moins brusque. Sur cette piste entourée d’un tapis herbacé haut et touffu, les véhicules éprouvent beaucoup de mal à emprunter les contours ondoyants. Ça cahote et ça hoquette. Après avoir parcouru moins de 5 km dans ce labyrinthe, s’offre un spectacle surprenant. Un groupe armé assis sous un arbre à côté duquel une sorte de case faite de feuilles de palmier, veille sur les entrées. Un check point signé : Rebelles. Le bas niveau qu’affiche cette case, laisse croire la présence d’un bunker. Il ne saurait d’ailleurs en être autrement, vu la configuration de cet endroit. C’est avec leur aval que tout mouvement à l’intérieur des localités est possible. Des destinations qui se dessinent sur cette longue piste rappelant les ondulations d’un anaconda.
Ils sont là, ces gens empruntant souvent à deux des motos. Ils sortent parfois des herbes en vélo, d’aucuns ont les yeux rouges et un regard perçant. Et s’il vous arrive de les croiser sur la piste, ils ne vous évitent pas, comme qui dirait : ‘Ici, c’est notre fief’. Même les chiens semblent comprendre cela, eux qui ne daignent pas se lever à l’approche du visiteur. Ce dernier se trouve bien souvent dans l’obligation de les contourner. La peur est la chose la mieux partagée lorsqu’on débarque dans la Zone des Palmiers même si cet arbre dont le nom est donné à cette partie du Fogny, symbolise la paix et la vitalité en Casamance. Ici, la vie tient à un fil, une bavure est vite arrivée. Le risque zéro n’existe pas ici. Si ce n’est la crainte d’une attaque imprévue, c’est le stress de devoir avancer sur cette terre de la Casamance susceptible de contenir une mine enfouie quelque part. L’endroit interdit aux militaires et aux étrangers pendant deux décennies, est à cheval entre des sanctuaires du Mfdc et la frontière nord à la lisière de la Gambie. Même si l’on peut se réserver d’être affirmatif sur l’appartenance de ces gens, c’est un secret de polichinelle de souligner que dans cette partie du département de Bignona qui fait si peur dans la région, règne en maître le chef rebelle Lamarana Sambou, un allié de César Atoute Badiate.
En fin septembre-début octobre 2010, des affrontements ont éclaté dans la zone entre le front nord-ouest de Lamarana Sambou et la dissidence nord-ouest dirigée par Yancouba Djiba. Des combats qui se sont soldés par la victoire du camp de Lamarana. Yancouba Djiba et ses proches ont été obligés de battre en retraite vers la Gambie où plusieurs de leurs éléments seront emprisonnés. Les autorités gambiennes qui ont vu les affrontements fratricides se dérouler dans leur territoire, ont sévi pour mettre en prison dix-sept combattants de la dissidence. Très vite, Lamarana s’empare des trois cantonnements qu’occupaient Djiba et ses amis dans la Zone des Palmiers. Depuis, il reste le maître incontesté de cet endroit perdu de la Casamance.
Les maquisards s’occupent à leur manière de cette partie, ils l’administrent comme ils l’entendent. Treize villages constituent la Zone des Palmiers. Les combattants du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance dictent leur loi ici, une quasi autonomie encouragée par l’absence de l’Etat du Sénégal. Un Etat que l’on cesse de sentir juste au virage d’Ebinako sur le grand axe routier menant vers la Gambie avec des militaires qui veillent sur les innombrables braquages perpétrés sur ces axes.
Dans la Zone des Palmiers, on manque presque de tout. Ces populations vivent dans la misère. Une situation due en grande partie à cette piste qui les sépare de la route nationale numéro 5 et… du monde. Que de demandes faites, que d’appels du pied lancés ! Mais le semblant de puits dans lequel elles se trouvent, est si profond que personne ne les entend. Ces populations se débrouillent à leur manière : elles cultivent leurs rizières, livrent leurs combats face aux groupes ennemis et se maintiennent en vie.
La dernière visite d’une autorité dans la localité date de 1964
Après une dizaine de kilomètres parcourus sur cette piste, le village d’Essom situé à 15 km de la frontière gambienne nous apparaît sous un soleil de plomb. Il est midi. C’est juste après l’indépendance du Sénégal, précisément en 1964, que l’histoire s’est arrêtée dans cette partie de la Casamance. Pour venir à Essom, ce village de 540 âmes situé dans la communauté rurale de Djinaky, le visiteur est dans l’obligation de faire le tour jusqu’à Mongone. Le président du comité de santé du poste d’Essom livre tout le désarroi qui s’empare des populations des palmiers : ‘Les autorités du Sénégal nous négligent, mais c’est leur problème. Essom, à l’image des autres villages de la Zone des Palmiers, est confronté à un enclavement. En 1958, des ponts en bois avaient été construits sur la piste qui mène à Essom par l’ancien ministre Emile Badiane. Depuis lors, il n’y a plus rien. Le secteur n’a jamais été visité par une autorité supérieure.’
C’est le village d’à-côté, Biti Biti, situé à environ 4 km d’Essom, qui a reçu la visite du premier gouverneur de Ziguinchor en 1964. Depuis, ‘aucune autorité n’est venue dans la Zone des Palmiers. Et ça, je l’ai d’ailleurs souligné au gouverneur actuel de Ziguinchor’, livre Youssouf Rémy Diédhiou, ce transitaire à la retraite. Une dizaine de kilomètres séparent de la Gambie ces treize villages qui composent la Zone des Palmiers. Une zone qui a payé un lourd tribut depuis le début du conflit armé. Ils en portent tous encore les stigmates, ces villages plongés dans les ténèbres depuis leur création. C’est le même décor d’Essom à Banlonguine, en passant par Mongone, Birikama Nding, Wangrang, Biti Biti… La même galère.
Les échanges intérieurs se font avec la monnaie gambienne ‘parce que trouver le franc Cfa n’est pas facile ici’, racontent ces populations qui ont de la peine à saisir leur réelle identité. ‘Tout ce que nous consommons provient de la Gambie. Nous vivons le calvaire. Plusieurs d’entre nous disposent de la carte d’identité gambienne et lorsque vous avancez vers d’autres localités de la frontière comme Kouram, cette carte d’identité gambienne est possédée par presque toutes les populations, d’autres ont carrément une double nationalité. La situation est critique pour nous’, peste le président du comité de santé sous les acquiescements rythmés de ses villageois. Cette proximité est souvent exploitée par le président gambien Yahya Jammeh qui n’hésite pas à utiliser cette masse en sa faveur lors des élections en Gambie ou encore en période de moisson de ses vastes champs situés dans son village natal de Kanilai, informent des sources concordantes.
Des troubles, il n’en manque pas dans la zone et elles sont surtout liées à l’enclavement : il n’y a pas de route et les autorités ne viennent pas. ‘Comment voulez-vous alors que l’on se sente des Sénégalais ?’, fulminent ces visages subitement pris entre deux colères. Il est très difficile de se sentir sénégalais pour eux, qui ne voient la monnaie de leur pays qu’en période de vente des oranges ou des arachides. Les vendeurs qu’ils sont, réclament d’être payés en Cfa. A part cela, la monnaie gambienne est utilisée pour les échanges intérieurs.
Les cris de désespoir émanant de la Zone des Palmiers ne tombent pas toujours dans l’oreille de sourds. La réaction est apportée par des organisations humanitaires et autres Ong qui tentent d’adoucir autant que faire se peut les souffrances chroniques vécues dans ces lieux.
Amadou NDIAYE (Envoyé spécial)
walf.sn