Karim Wade et Khalifa Ababacar Sall pourraient voir le bout du tunnel, si le projet de loi d’amnistie demandé par le président de la République Macky Sall aboutit. Loin de s’appesantir sur leurs propres personnes, cette amnistie bénéficiera à beaucoup d’autres citoyens désireux de retrouver leurs droits civiques et leur ‘’honneur’’.
Karim Wade. Khalifa Ababacar Sall. Les noms des deux grands opposants politiques ont été tirés du lot, dès que le communiqué du Conseil des ministres du mercredi 28 septembre 2022 a fait savoir que le président de la République, Macky Sall, a demandé au ministre de la Justice ‘’d’examiner, dans les meilleurs délais, les possibilités et le schéma adéquat d’amnistie pour des personnes ayant perdu leurs droits de vote’’. La recomposition politique que pourrait engendrer une telle restitution de droits civiques occulte les personnes qui ont été condamnées en même temps que l’ex-maire de Dakar et le fils de l’ancien président de la République Abdoulaye Wade. Alors que le refus du dernier nommé, déterminé à prouver son innocence face aux accusations d’enrichissement illicite, divise le Parti démocratique sénégalais (PDS), les gains politiques qu’espère cette formation politique de l’éventualité d’une amnistie de son candidat peuvent ne pas entrer en contradiction avec l’idéal de l’ancien super ministre.
Selon la secrétaire chargée de la communication au PDS, Nafi Diallo, proche de Karim Wade, ‘’si on (le PDS) accepte l’amnistie, Karim est prêt à abandonner la politique’’. Une éventualité catastrophique pour une formation qui a basé toute sa stratégie de participation à l’élection présidentielle de 2024 sur le retour du fils de l’ancien président de la République et fondateur du parti. D’autant plus qu’un regain électoral a été noté au sortir des élections législatives du 31 juillet 2022 avec lesquelles le PDS a obtenu plus d’une vingtaine de députés.
Karim Wade continue de clamer son innocence
Condamné par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), le 23 mars 2015, à une peine de six ans de prison ferme et à une amende de 138 milliards de francs CFA, Karim Wade continue de clamer son innocence. Et l’acceptation d’une amnistie pourrait sonner comme une reconnaissance de culpabilité.
Mais ce n’est pas la première fois qu’une loi d’amnistie va être votée au Sénégal et l’expérience montre que ce sont les éléments inclus dans texte juridique qui feront la différence.
L’amnistie est l’effacement par la loi de certaines condamnations de votre casier judiciaire. La dernière loi d’amnistie votée au Sénégal est la loi Ezzan, proposée par Ibrahima Isidore Ezzan, député du Parti démocratique sénégalais (PDS), adoptée par l’Assemblée nationale le 7 janvier 2002. Elle a permis d’effacer des ‘’infractions commises depuis le 1er janvier 1983 au 31 décembre 2004. Les infractions criminelles ou correctionnelles commises pendant cette période au Sénégal ou à l’étranger, en relation avec les différentes consultations électorales ou ayant des motivations politiques’’.
Cette loi a principalement bénéficié à Amadou Clédor Sène, Assane Diop et Pape Ibrahima Diakhaté, tous condamnés comme les assassins du vice-président du Conseil constitutionnel Babacar Sèye, abattu par des hommes armés en plein Dakar, à quelques heures de la proclamation des résultats des élections législatives de 1993. Les deux premiers cités ont écopé d’une peine de 20 ans de prison et de travaux forcés, alors que le troisième accusé a été condamné à une peine de 18 ans de prison.
En 1991 également, la loi n°91-40 du 1991 portant amnistie a porté sur ‘’toutes les infractions criminelles ou correctionnelles commises entre le 1er août 1987 et le 1er juin 1991, tant au Sénégal qu’à l’étranger, en relation avec les événements dits « de Casamance ». Sont amnistiés de plein droit les crimes d’attentat et complot contre la sécurité de l’État sénégalais et l’intégrité du territoire national prévus et punis par les articles 72 et 73 du Code pénal, commis antérieurement au 31 juillet 1987 en relation avec les évènements dits « de Casamance » et dont les auteurs ont fait l’objet de condamnation à une peine égale ou supérieure à 15 ans de détention criminelle’’.
Le contenu de la loi, le plus important
L’article 2 ajoute que ‘’sont amnistiées de plein droit les infractions criminelles ou correctionnelles commises entre le 19 mai 1988 et le 8 avril 1991, prévues et punies par les articles 80, 96, 97, 198, 248, 251, 254, 258, 261, 262, 406, 407 du Code pénal et par la loi 64-52 du 10 juillet 1964 réprimant l’importation, la fabrication, la détention et le transport des explosifs ainsi que tous engins meurtriers ou incendiaires, que leurs auteurs aient été jugés définitivement ou non’’.
Cette loi initiée dans le cadre du conflit casamançais, conformément à l’accord trouvé en 1991 entre le gouvernant du Sénégal et des combattants du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC), est intéressante pour la situation actuelle. En son article 10, elle dispose : ‘’L’amnistie ne met pas obstacle à l’action en révision devant toute juridiction compétente, en vue de faire établir l’innocence du condamné.’’ Un point qui pourrait fédérer toutes les parties dans cette histoire, car la révision de son procès, afin d’avoir une nouvelle chance de prouver son innocence, est la principale préoccupation brandie par le fils de l’ancien président de la République.
Tout dépendra ainsi des éléments introduits dans la loi d’amnistie.
Un autre argument qui pourrait convaincre l’ancien ‘’ministre du Ciel et de la Terre’’ est que cette loi ne profiterait pas qu’à lui seul. En effet, Karim Wade a été condamné avec cinq autres personnes. Il s’agit d’Ibrahim Aboukhalil alias ‘’Bibo Bourgi’’ (cinq ans de prison ferme, 138,239 milliards d’amende), Mamadou Pouye et Alioune Samba Diassé (chacun cinq ans de prison ferme et de 69,119 milliards de francs CFA d’amende). Vieux Aidara, Evelyne Riout Delattre et Mballo Thiam, hors du Sénégal au moment du procès), sont tombés tous sous le coup d’un mandat d’arrêt international et ont écopé d’une peine maximale de dix ans de prison ferme.
Même si l’on s’abstient de commenter la possibilité d’amnistie du côté de l’autre ‘’K’’, Khalifa Sall est à peu près dans la même situation. Condamné à une peine de cinq ans de prison ferme assortie d’une amende pénale de cinq millions de francs CFA, ses coaccusés verraient, au-delà de la politique, d’un bon œil l’effacement de ces lignes sur leur casier judiciaire.
En effet, Fatou Traoré, secrétaire de l’ex-maire de Dakar, a été condamnée à deux ans de prison, dont six mois ferme. De leur côté, Yaya Bodian et Mbaye Touré, respectivement comptable à la mairie de Dakar et directeur administratif et financier de la municipalité, ont été tous condamnés deux à cinq ans de prison ferme.
L’Enquête