Rokhaya Daba Fall est un Ingénieur Agronome, diplômée d’une des plus prestigieuses Faculté Agronomique, Gembloux (Belgique), et spécialisée en pédologie. Dans cet entretien accordé à Sud Quotidien, l’ancienne représentante de la Fao en Centrafrique est revenue sur la politique d’autosuffisance en riz à l’horizon 2017 que le gouvernement du Sénégal est en train de mener dans le cadre du Pse. Elle pense qu’il ne suffit pas seulement de se fixer des objectifs qui deviendraient à la longue des slogans politiques, mais d’élaborer une politique rationnelle à partir de nos ressources et de nos communautés. Mieux, elle «doute qu’on puisse arriver à une autosuffisance en riz et faire accéder ce riz à tous les Sénégalais»
Le gouvernement du Sénégal est en train de mener une politique d’autosuffisance en riz à l’horizon 2017. Est-il possible d’atteindre cet objectif ?
C’est une question à plusieurs volets. Je voudrais tout d’abord dire que l’autosuffisance en riz en 2017 est possible. Mais qu’est-ce que nous cherchons ? Des slogans, des annonces ou juste une autosuffisance ponctuelle ?
Une autosuffisance à plusieurs volets, il n’y a pas seulement le fait d’arriver à avoir un niveau de production qui puisse satisfaire les besoins. L’autosuffisance ne s’arrête pas à cela. On peut arriver à produire suffisamment de riz en 2017 de façon ponctuelle en investissant comme il le faut et avoir donc les quantités qu’il faut pour assouvir les besoins. Il faut que tous les Sénégalais puissent accéder à ce riz. Et pour cela, il faut qu’il soit physiquement disponible partout au Sénégal. Ceci n’est peut-être pas un problème, mais il faudrait que financièrement qu’on puisse l’acheter. Il y a une pauvreté chronique au Sénégal et elle est structurelle dans le Sénégal. Les chiffres ne se trompent pas. On a toujours été dans le peloton des 25 ou 30 derniers pays au plan de la pauvreté. Donc mon problème est de savoir si tous les Sénégalais vont accéder à ce riz. Je doute qu’on puisse arriver à une autosuffisance en riz et faire accéder ce riz à tous les Sénégalais.
L’Unacois s’est engagée devant l’Etat à acheter toute la production de riz de cette année et de le vendre sur le marché national. Ne pensez-vous pas que cela va faciliter l’accès des populations à cette denrée ?
Il n’y aura peut-être pas de problème d’accès physique si l’Unacois fait la distribution. Mais tous les Sénégalais ne sont pas en mesure, à l’heure actuelle, avec le budget familial dérisoire, d’avoir ce riz. Le Riz importé est très bien subventionné, alors que ce riz local nous a coûtés trop cher déjà. Tout le monde sait ce que sont les investissements au niveau de la vallée. Donc, l’Etat peut prendre sur lui de faire tous ces investissements, ce qui est très louable, parce qu’il est temps qu’on le fasse, mais le problème, c’est comment faire pour qu’on sorte de cette pauvreté endémique et structurelle pour que tout Sénégalais puisse se lever un jour sans hésiter à aller prendre son sac de riz, en fonction de sa bourse. C’est possible peut-être, si l’on subventionne ce riz local. Mais le problème, c’est qu’on puisse s’inscrive dans une politique de durée. Qu’on arrête avec les politiques de slogans. Le Sénégalais doit pouvoir se nourrir et on a les moyens de le faire. Les potentialités sont là. Le problème c’est tout simplement de s’inscrire dans une politique rationnelle bien pensée pour que tous les Sénégalais puissent avoir accès à leur production et que l’autosuffisance soit, non seulement pour le riz, mais une autosuffisance alimentaire de façon globale.
Qu’entendez-vous par une politique rationnelle ?
Je veux tout simplement dire une politique qui est pensée à partir de nos ressources et à partir de nos communautés dans une structuration bien claire qui puisse permettre à chacun de participer à l’élaboration de cette politique. Chaque communauté dans son territoire puisse élaborer les éléments de ses ressources qui puissent participer à cette politique et arriver, in fine à ce que cela soit une approche inclusive avec des ressources de notre pays. Ce qui permettra de fonder une logique d’autosuffisance alimentaire pour l’ensemble des Sénégalais. C’est juste dire qu’il ne suffit pas de se fixer un objectif et que ça devient un slogan, mais de rationnaliser tout cela dans le cadre d’une réflexion inclusive qui impliquerait l’ensemble des enfants de ce pays.
La qualité du riz local est souvent décriée par les consommateurs. Partagez vous cet avis ?
Il y a eu beaucoup d’amélioration dans la qualité du riz du fleuve et du riz du sud. Le Sénégalais devrait pouvoir s’approprier ce riz. Parce qu’à partir du moment où c’est quelque chose qui lui tombe dessus, c’est normal qu’il se mette à faire des comparaisons et à ne pas vouloir voir la valeur de ce que sa production représente. Le problème c’est encore une fois revenir sur cette réflexion inclusive et donner la possibilité aux Sénégalais de s’approprier les produits locaux. Le riz local est bon. C’était dans le traitement que se posait le problème et maintenant il y a eu beaucoup d’amélioration à ce niveau. De plus en plus les gens se tournent vers le riz naturel, le riz sauvage. Ce riz qui a une valeur alimentaire, même si le Sénégalais est habitué à ce riz poli tout à fait industrialisé et qui n’a plus de valeur nutritive en tant que telle. Je pense que si le Sénégalais avait participé à bâtir cette politique et à voir tous les inconvénients et les avantages à se nourrir par soi même, il n’y aurait pas ce problème. Il n’y a rien à décrier. C’est du riz qui a une valeur nutritive qu’il faut conserver.
Pensez-vous que l’Etat a déployé suffisamment de moyens pour atteindre son objectif en 2017 ?
Je pense que si l’Etat s’est fixé comme objectif d’atteindre l’autosuffisance en riz en 2017, il mettra les moyens. Je le crois parce que c’est un «slogan politique ». Il faut le dire : Là on sort de la politique agricole en tant que telle. Si l’Etat se donne comme slogan politique d’atteindre l’autosuffisance en riz en 2017 , il mettra les moyens au niveau des producteurs ou au niveau malheureusement des entreprises agricoles qui ne sont pas nécessairement les producteurs Sénégalais pour produire suffisamment de riz et combler le déficit que nous notons sur cette denrée qui change de nature d’une gouvernance à une autre. Avant c’était la tyrannie du riz, on voulait promouvoir les autres céréales que nous avons, ce qui est vraiment très louable parce qu’on n’a pas que le riz et tout le monde sait la date d’introduction du riz et comment nous l’avons adopté par la facilité de sa préparation.
Au Sénégal, l’agriculture constitue la principale activité économique en milieu rural et occupe plus de 65% de la population active. Malgré ses potentialités, elle tarde toujours à décoller du fait de nombreux problèmes structurels et conjoncturels. Comment expliquez-vous cette situation ?
En effet, malgré ces potentialités certaines, l’Agriculture évolue en dents de scie, au gré des bonnes années pluviométriques. Il reste beaucoup à faire sur les approches stratégiques et les politiques agricoles pour traduire les potentialités en atouts de développement du secteur et d’émergence pour l’économie nationale. Au niveau structurel, le mal de l’agriculture est le même que celui de l’Éducation, de l’Aménagement du territoire ou de la Décentralisation : à savoir une réflexion intellectuelle toujours fortement guidée par l’exemple français au lieu de se focaliser sur les problèmes qui sont les nôtres. Il n’existe pas de modèles de «recettes» dans le développement de spécificités tels que les territoires ruraux. Notre pays est un conglomérat de territoires ruraux, il faut cerner les spécificités de chaque territoire et les liens qu’il développe avec les autres afin de constituer des ensembles «homogènes» à des échelles localement gouvernables et administrativement gérables. Et bâtir avec les populations de chaque ensemble de véritables plans et programmes de développement, à partir d’une réflexion inclusive nourrie par la maîtrise des potentialités et des contraintes. Le mérite des «modèles» des puissances européennes, américaines brésiliennes ou asiatiques est d’avoir répondu aux problèmes qui se posaient à leur peuple conformément à l’organisation et aux valeurs de leurs sociétés.
Les semences et le foncier constituent souvent une entrave au développement de l’agriculture. Quelle solution préconisez- vous pour remédier à ce problème ?
Le foncier n’est rien d’autre que la terre à laquelle est jointe la valeur juridique dans toutes ses dimensions, donc une ressource naturelle fixe d’un territoire donné. A ce titre, il doit être connu dans son étendu et ses caractéristiques intrinsèques pour être approprié d’une part par la communauté qui l’habite, d’autre part par l’Etat qui en a la charge ultime de legs aux générations futures. C’est ce qui avait présidé à la création en 2004 de l’Institut National de Pédologie (INP).
Une fois les ressources en terres maîtrisées, il devient aisé de régir les règles et lois sur le foncier ; c’est la séparation entre les sciences de la nature et celles sociales qui fondent les difficultés de régir le Foncier et celles d’asseoir dans la durée, la réussite de toute activité pour laquelle le principal facteur de production est la terre, parmi celles ci, la production de semence.
La dépendance annuelle des producteurs de la chaîne de production de semence ne doit en aucune façon continuer à constituer un choix de politique agricole, dans un pays qui se veut émergent. Chaque territoire rural ou chaque ensemble homogène constitué doit pouvoir assumer sa propre chaine de production de semences. Ceci est un pré requis à tout développement agricole inclusif, il faut en finir avec les intermédiaires et les monopoles de recherche. La centralisation de cette dernière obéit à des schémas qui ne collent pas avec les déclarations de politique de développement.
Sud Quotidien