L’exercice du pouvoir a grossi les rêves des libéraux, telle une loupe au-dessus des écritures. Les spadassins les plus modestes font actuellement montre d’une ambition politique colossale. Les prétendants déclarés au poste de secrétaire général du parti se multiplient au fur et à mesure que l’on s’achemine vers le congrès. Dans leurs différentes déclarations d’intention, chaque candidat affirme qu’il prendra un chemin opposé, sil n’est pas choisi. « Moi ou le chaos », semblent dire plusieurs caciques du parti. Dans la chaleur de la défaite du 25 mars, l’ancien Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye avertissait « qu’après Wade, il ne sera plus derrière personne ». L’ex-chef du gouvernement adopte depuis la chute du régime une démarche dans laquelle il cherche à se tailler l’étoffe d’un chef qui sait se hisser au-dessus de la mêlée. Refusant de défendre ses frères de parti visés par des enquêtes dans le cadre de la traque des biens mal acquis, Ndéné a aussi démissionné de son poste de député pour « convenances personnelles ». Des indiscrétions évoquent le niveau médiocre des débats parlementaires. Dans sa quête d’une stature de leader, il participe également aux sujets les plus brûlants de l’actualité à travers des contributions. L’homme connu pour son goût à la bagarre fait lentement sa mue. Mais, pour matérialiser sa prétention de prendre l’héritage, il est contraint d’affronter certains de ses frères libéraux. Son jeune camarade Alioune Sow, ancien ministre de la décentralisation, ne manque pas d’ambition.
Lui qui déclarait vouloir devenir le cinquième président de la République. Dans une de ses sorties médiatiques, il lâche son intime secret de trôner à la tête du parti. « Le poste de secrétaire général du Pds m’intéresse, si on arrive à organiser des renouvellements honnêtes de la base au sommet en évitant de faire des pseudo-congrès ou des pseudo-renouvellements ». avertit-il. En attendant la grand-messe, il affûte ses armes en créant un mouvement citoyen. Dans ce combat qui s’annonce rude, le « wadiste éternel » ne fait pas mystère de ses intentions fractionnistes. Il déclare qu’il est toujours dans les rangs libéraux parce qu’Abdoulaye Wade est encore le maître du Pds. A côté de ces prétendants déclarés, Serigne Mbacké Ndiaye confesse lui aussi sa convoitise. Il déclare : « je veux succéder à Wade. Je ne m’en cache pas. Ça m’intéresse ». Une ambition souvent défendue par des arguments scissionnistes. D’ailleurs, la création d’un courant dénommé « koleuré » cache mal son intention de pousser ses camarades de l’exclure du parti. Car les textes du Pds ne prévoient pas l’existence de courant. À côté de ces aspirants qui élèvent la voix, d’autres travaillent en sourdine. Omar Sarr, Ousmane Ngom, Modou Diagne Fada et consorts profitent de la tribune offerte par l’Assemblée nationale pour asseoir, chacun de son côté une légitimité. Par contre, les barons libéraux qui n’ont pas de chance de prendre la direction du parti ont préféré créer simplement un parti. A défaut de pouvoir transhumer.
Le facteur argent
A la perte du pouvoir, une ribambelle de partis politiques est issue des flancs du Pds. Dans ce dérèglement, l’argent a joué un rôle déterminant. L’immense fortune amassée par ces anciens dignitaires libéraux a contribué à gonfler les ambitions. Les quelques bribes d’informations, dégoulinant des enquêtes sur les biens mal acquis, prouvent que le passage au gouvernement a permis à chacun d’entre eux d’amasser une richesse colossale. Le président du Sénat Pape Diop, chef de file de Bokk Gis Gis, a occupé des postes qui lui ont procuré beaucoup d’avantages. Le cambriolage perpétré chez lui, lève un coin du voile sur son immense fortune. Les malfaiteurs ont emporté la coquette somme de 200 millions de F CFA. Des informations des témoins indiquent « qu’en plus de l’argent liquide, deux lingots d’or font partie du butin emporté par les voleurs ». Son fils qui a organisé la rapine avec quelques coquins s’adonnait à un jeu de gamin. Abdoulaye Baldé qui a déserté le parti n’est pas lui aussi un indigent. L’ancien commissaire de Police devenu secrétaire général de la Présidence et directeur exécutif de l’Anoci avoue publiquement sa richesse. En campagne pour les élections locales de 2009, Baldé révèle l’immensité de ses avoirs. « On me reproche de gaspiller beaucoup d’argent, mais c’est parce que je suis généreux. Je peux offrir cent millions sans problème. Ce n’est pas l’argent de l’Etat, c’est mon propre argent que mes amis arabes me donnent et que j’offre à mes frères », avoue-t-il, le mardi 10 mars 2009. Aujourd’hui, grâce à son immense fortune, Baldé n’a aucune difficulté à entretenir une clientèle politique et faire fonctionner correctement son parti. Quant à Mbaye Jacques Diop qui a fêté ses cinquante ans passés aux affaires, la question de l’argent ne se pose pas chez lui. D’ailleurs, le rapport de la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif) le mettait en cause dans une opération de blanchiment de 2 milliards de F CFA, au moment où il occupait la présidence du Conseil de la République pour les affaires économiques et sociales (Craes). L’avocat Me Abdoulaye Babou a aussi déserté les rangs libéraux. Ce politicien aux convictions souples a créé Alliance pour l’alternance (Alal). Suivant l’exemple de Sitor Ndour qui pris son Elan. Dans un régime où le milliard constituait l’unité de mesure, il n’est pas surprenant que tous les anciens dignitaires parviennent à entretenir un parti politique.
Baye Makébé SARR
Le PDS cherche un homme
« Je ne peux pas abandonner le navire libéral. » Ce propos de Me Wade hante encore le Pds qui cherche dans l’obscurité des audits un homme pour le tenir en vie. Au Parti démocratique sénégalais (Pds), il n’est, sans doute, pas pudique de parler de succession. Aujourd’hui, nombre de caciques, naguère, haut placés et roulant pour certains avec des bolides, fréquentant les supermarchés les plus huppés, sont dans le pétrin. La prison menace, elle menace dangereusement d’autant que le pouvoir en place a fini de mettre les instruments juridiques destinés à tracer la voie. La Crei tant décriée est là. Son rôle ? Demander aux riches qui se sont faits par la politique de justifier leur fortune. Le débat juridique que charrie cette cour n’a pas réfréné l’ardeur des tenants du pouvoir. Le jeudi 10 janvier dernier, 113 députés ont voté la levée de l’immunité parlementaire d’Abdoulaye Baldé, Oumar Sarr et Ousmane Ngom. Cette nouvelle donne laisse croire que les autorités comme l’a souvent martelé le chef de l’Etat Macky Sall iront jusqu’au bout de la traque des biens supposés mal acquis. Dans ce climat, tout porte à penser qu’à la permanence Oumar Lamine Badji, on se projette moins sur des questions du genre qui pour remplacer Wade et redonner au Sopi son éclat d’alors. Quelques petits jours après la débâcle de mars 2012, le Pds était en congrès extraordinaire au Cices. Ce week-end-là, l’ancien président de la République très en verve avait raffermi chez ses militants l’espoir de le voir toujours aux commandes. « Le vieux ne partira pas ! », avait hurlé un sopiste. Le Cices, lieu de la rencontre était plein comme un œuf. La chaleur d’étuve qui plombait l’air obligeait Wade à arracher mouchoir après mouchoir pour s’essuyer le front huilé par la sueur. Un climat d’enfer qui a été exacerbé par le discours de feu du pape du Sopi. Ruminant encore sa colère après sa « surprenante » défaite, il attaque les puissances occidentales qui à ses yeux devraient aller mettre de l’ordre dans leurs pays. Le geste raide, Wade martèle être capable de bloquer le pays pendant 10 ans. « Je ne le ferai pas. Je n’ai pas la culture bolchévique (sic) », rassure-t-il. Les militants, eux, commencent à se rendre à l’évidence : « Gorgui » a la poitrine en feu. Un militant qui tentait de l’interrompre par des propos du genre « Gorgui dolignou » s’est vu arrêter net par le vieux. Moins d’une semaine après sa défaite de mars 2012, Wade convoque ses troupes. Objectif ? Cap sur les Législatives. « Le parti doit aller résolument vers la conquête de l’Assemblée nationale », lance-t-il, non sans trahir l’apparence d’une volonté ferme de tenir le gouvernail. Pour autant, une question subsiste : pourquoi Wade a subitement tenu à dicter sa loi à l’agenda politique ? Les bruits de fissures y sont incontestablement pour quelque chose. En véritable « bête » politique, il a dû flairer que ses héritiers risquent de se livrer un combat de gladiateurs pour occuper le fauteuil de secrétaire général nationale du Pds. « Je reste à la barre du parti et je vais rester secrétaire général », avait dit Me Wade, fondateur d’un parti politique dont il a le gouvernail depuis 1974. « Je ne peux pas abandonner le navire libéral », renchérit-il. Pour respecter les formes, il a demandé à Oumar Sarr, le chargé des élections des libéraux d’être le mandataire du parti pour le dépôt des listes. C’est après seulement les Législatives que Me Wade promet de renouveler les bases de son parti pour ensuite dénicher à l’issue d’un congrès l’oiseau rare. Depuis lors qu’y a-t-il à la tête du Pds ? Un corps acéphale que tente de contrôler Modou Diagne Fada, président du groupe Liberté et démocratie. La mission d’Oumar Sarr a visiblement pris fin depuis que les Législatives sont dépassées. Et puis, le maire de Dagana n’a pas la tête à piloter un parti où les ténors cherchent à se la couler douce plutôt que de s’attirer les foudres de l’Apr. Quelques-uns ont trouvé pied chaussures à leurs à la convergence démocratique Bokk Gis Gis, d’autres à l’Apr ou dans des initiatives qu’ils ont eux-mêmes lancées. Oumar Sarr fait, en effet, partie de ces caciques visés par la traque des biens supposés mal acquis. Il est cité dans cette affaire de marché de produits phytosanitaires qui aurait englouti près de 6 milliards de FCFA dans le cadre du plan Jaxaay. Depuis quelque temps, Sarr, brillant informaticien, ne parle que Droit. Même s’il clame partout que cette traque a des relents politiques. Il en est de même pour Ousmane Ngom, l’ancien ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur sous Wade. Il a la carrure d’un bon leader libéral. Habitué aux bagarres politiques, Ousmane Ngom est la tête de pont du débat juridique qui tente de battre en brèche la légalité de la Crei. Le débat a été si intense et les arguments apparemment très sérieux au point que le Pr Seydou Madani Sy, ancien recteur de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar a conseillé de saisir les hautes juridictions comme le Conseil constitutionnel ou la Cour suprême pour vider la controverse. Les libéraux ne lui feront, sans doute, pas le cadeau de le voir diriger le Pds. Ils garderont toujours en mémoire sa défection au profit du Parti socialiste. Me Ngom s’est pourtant, entre-temps, beaucoup investi aux côtés de l’ancien chef de l’Etat. C’est lui qui a, le premier, déclenché les hostilités contre Idrissa Seck sur les chantiers de Thiès. Néanmoins, il reste toujours Ousmane Ngom, celui qui a failli soumettre Me Wade à l’épreuve de jurer dans une mosquée de Dakar pour justifier sa bonne foi. L’homme convoite la direction du Pds. Il a sûrement à cœur de continuer le combat de son généreux bienfaiteur. Adversaire de Wade en 2000, il s’est vu ouvrir les portes des ministères au grand dam des compagnons de toujours comme Idrissa Seck. Mais, Ngom devra auparavant soigner la désastreuse image qu’il a laissée à l’opinion suite aux manifs du M23. L’ex-Premier ministre, Souleymane Ndéné Ndiaye connu pour son orgueil débordant, voire agaçant a laissé entendre qu’après Wade, il ne serait derrière personne. On peut bien le croire sur parole. D’ailleurs, il s’est envolé pour l’Angleterre où il doit suivre pendant six mois des cours intensifs d’anglais. Et c’est pour trouver une planque d’avocat à la Cour pénale internationale. Celui-là donc, ne pense plus à une carrière politique. Mais au fait, qui ne se souvient des « humiliations » qu’il a essuyées, alors directeur de campagne de Wade. D’abord l’incident du meeting de Wade à Fatick. Le Pm a été rabroué par le chef de l’Etat lorsqu’il a quitté sa place pour lui souffler des noms de responsables à remercier dans la mobilisation. « Va t’asseoir ! », lui a lancé Wade. Ensuite, cette déchéance de l’entre-deux-tours a dû le blesser. « Ndéné », directeur de campagne a vu le candidat Wade remplacer le directoire de campagne par un comité de pilotage. Il y en a qui évoquent Karim Wade, à tort ou à raison. Les audits et les interminables interrogatoires auxquels le fils de Me Wade est soumis en ont fait pour le Pds un martyre. Il est tantôt porté en triomphe lorsqu’il sort de chez les enquêteurs, tantôt sujet d’une folle attraction les jours de mobilisation des libéraux. Il traîne toutefois le handicap de ne pas parler la langue ouolof et surtout d’une gestion catastrophique qui devrait à jamais compromettre son rêve ( ?) de diriger le Pds. Il reste alors Modou Diagne Fada. « Modou Diagne Fada est incontestablement la meilleure carte pour relancer le Pds. » C’était il y a quelque huit mois, la conviction du secrétaire général du Comité de liaison fédéral du Pds à Ranérou Ferlo, Aliou Souleymane Sow. L’idée est loin d’être ridicule. Car, Fada est un militant de la première heure. Il a été à la tête de l’Ujtl, ce réceptacle qui a vu grandir la nouvelle génération incarnée par le jeune député El Hadj Wack Ly. Autre fait intéressant, débarqué du gouvernement, il est revenu aux affaires grâce à « Waar Wi », instrument qui lui a permis de défier Wade et d’être député en 2007. Redevenu ministre de la Santé, Fada, complètement absorbé par les dossiers n’était visible sur quasiment aucun plateau. L’image de gaffeur qu’il a donnée au lendemain de l’Alternance l’a quitté. Seulement, redevenu député de l’opposition dans ce contexte explosif pour ses frères sous la menace certaine d’un embastillement, Fada perd le nord. Il retombe dans la fièvre des années de jeunesse. Des années où l’invective et la défiance des adultes était de mise. Peu lui pardonnent sa subite perte de sérénité. Il pourra toujours se justifier en évoquant la volonté des apéristes de déglinguer leur parti. Mais, il parviendra péniblement à se mettre dans les habits du leader libéral que le Sopi attend. Les chaussures semblent trop grandes pour lui. Autant dire que le Pds, torche en main en plein jour, cherche un homme pour ses troupes. Félix DIAGNE
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